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60 pages supplémentaires par an : l'explosion pathologique du Code du travail
©Reuters

Bonnes feuilles

Cet essai veut affirmer qu’un autre droit du travail est possible, fondé sur le dialogue social et qui renoue avec trois missions essentielles : libérer les forces productives, organiser l’activité économique et protéger les travailleurs. Extrait de "Un autre droit du travail est possible", de Bertrand Martinot et Franck Morel, aux éditions Fayard 1/2

Franck Morel

Franck Morel

Expert reconnu du droit du travail depuis plus de vingt ans, Franck Morel est avocat associé chez Flichy Grangé Avocats. Franck Morel est expert auprès de l’Institut Montaigne. Il avait déjà auparavant été plusieurs années avocat associé en droit du Travail chez Barthélémy avocats. Conseiller du Premier ministre Edouard Philippe sur les questions de relations sociales, de travail et d’emploi de 2017 à 2020 et de quatre ministres du travail de 2007 à 2012 (Xavier Bertrand, Brice Hortefeux, Xavier Darcos et Eric Woerth), il a contribué à l’élaboration d’une quinzaine de réformes dans le champ du travail et de l’emploi (ordonnances Macron de septembre 2017, réformes de la formation professionnelle de 2011 et 2018, de la santé au travail, du temps de travail, du dialogue social, création de la rupture conventionnelle…).

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Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Une vraie pathologie :  l’explosion normative

S’il est assez vain de prétendre tirer des enseignements généraux de la seule observation du volume du Code du travail dans l’absolu, son évolution au cours du temps, elle, se révèle immédiatement pathologique. De ce point de vue, en effet, les statistiques sont précises, sans appel. Elles témoignent de la profondeur du mal qui ronge notre droit.

Pour mener à bien cet examen chronologique, il suffit d’analyser l’évolution du volume et de la structure de notre Code du travail sur une longue période, par exemple entre 1985 et 2015. L’année de référence 1985 ne renvoie aucunement à une sorte de préhistoire du droit du travail : le Code intégrait déjà les très importantes lois Auroux de 1982 relatives aux relations collectives et au temps de travail ; les libertés syndicales et les institutions représentatives du personnel avaient déjà leur forme actuelle ; quant aux éléments essentiels de la protection des salariés contre les licenciements et l’organisation du système de formation professionnelle, ils étaient déjà solidement installés. Et personne ne peut affirmer avec certitude que les salariés étaient globalement moins heureux au travail, plus stressés et plus « exploités » il y a trente ans !… 

L’examen statistique des évolutions du Code du travail sur cette période révèle que son volume est passé, dans l’édition Dalloz de référence, de 1 013 à 3 077 pages, soit une multiplication par un facteur trois et en moyenne soixante pages supplémentaires par an. Cette croissance régulière, qui concerne toutes les parties du Code sans exception, est à elle seule un indicateur plutôt inquiétant.

Une analyse plus précise des moteurs de cette évolution permet d’attribuer sans conteste la palme à la quatrième partie (400 pages de plus pour la seule partie réglementaire), qui porte sur la santé et la sécurité au travail. Cette évolution est elle- même le résultat de nombreuses transpositions de directives européennes et ne peut donc pas être considérée comme totalement autonome.

Le deuxième moteur de cette explosion normative, largement indépendant, lui, de la construction européenne, est la première partie, relative aux relations individuelles du travail, avec 282 pages ajoutées en trente ans. À l’intérieur de cette partie, c’est incontestablement le corpus relatif au seul contrat de travail qui détient le record, avec 205 pages supplémentaires. 

L’inflation normative sur le contrat de travail est suivie de près par celle de la deuxième partie – consacrée aux relations collectives du travail, 262 pages de plus –, elle- même largement conditionnée par la prolifération des normes relatives aux institutions représentatives du personnel. On pourrait a priori se féliciter d’une augmentation aussi forte touchant les chapitres consacrés à la négociation collective, signe d’une extension du champ du dialogue social. Mais l’examen détaillé de cette partie nous apprend que les ajouts ont souvent eu pour but ou pour conséquence d’encadrer toujours davantage les procédures et même la substance de la négociation collective plutôt que de lui donner plus de liberté. 

Enfin, la troisième partie – rémunération, temps de travail, congés, participation, intéressement – n’est pas épargnée par cette dérive, avec une progression de 140 pages…, les chapitres consacrés au temps de travail et aux congés affichant une progression record. Si l’on peut comprendre pourquoi les chapitres consacrés aux durées hebdomadaire et annuelle du travail ont fortement grossi depuis les lois Aubry sur les 35 heures et leurs innombrables correctifs, l’inflation des chapitres relatifs aux repos et jours fériés (70 contre 19, pour la seule partie législative) est pour le moins surprenante.

Au total, en excluant provisoirement de l’analyse la quatrième partie très spécifique, relative à la santé et à la sécurité, on constate que l’inflation normative a été la plus forte en matière d’encadrement du contrat de travail et du dialogue social dans l’entreprise – en l’occurrence une multiplication par quatre du volume. Autrement dit, la norme générale et nationale s’est surtout alourdie sur les éléments les plus contractuels du droit du travail, limitant d’autant la liberté des acteurs dans l’entreprise, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif.

Cette simple analyse, purement quantitative, fournit déjà un indice de l’une des principales pathologies qui frappent notre droit du travail, celle d’un droit de la défiance, qui prétend régler les relations de travail dans les moindres détails et qui n’en étend les dimensions contractuelles que pour mieux pouvoir les contrôler et les encadrer. Mais la situation et encore plus inquiétante si l’on intègre le poids de la jurisprudence. 

Extrait de "Un autre droit du travail est possible", de Bertrand Martinot et Franck Morel, publié aux éditions Fayard.Pour acheter cet ouvrage, cliquez ici

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