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Talon d’Achille : pourquoi l’Arabie Saoudite se révèle incapable d’assurer véritablement sa sécurité malgré les milliards du pétrole
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Printemps saoudien ?

Taux de chômage des jeunes de moins de 25 de 30%, réserves de trésorerie en chute libre... Ces difficultés économiques menacent sérieusement la paix sociale en Arabie Saoudite et le pays n'est pas à l'abri du chaos.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico : Le Roi Abdallah a récemment déclaré que le chômage des jeunes était le défi numéro 1 pour la sécurité saoudienne. Quels risques le monarque évoque-t-il concrètement ? Qu'est-ce que l'Arabie saoudite peut craindre d'un niveau de chômage des jeunes endémique ?

Roland Lombardi : En Arabie saoudite, les trois quarts de la population ont moins de 30 ans et 58 % moins de 25 ans. Le taux de chômage y est de 12 % et il atteint jusqu’à 30% chez les jeunes de moins de 25 ans. Dans les faits, les Saoudiens sont nombreux à ne pas travailler et ce, grâce aux subventions de l’Etat. Ainsi, sur les 5,5 millions d’actifs, environ 3 millions sont fonctionnaires. Dès 2014, la monarchie a imposé aux entreprises privées et étrangères d’embaucher 20 % de Saoudiens afin de les encourager à choisir le secteur privé plutôt qu’une bureaucratie pléthorique. Mais en général, les employés saoudiens sont très mal vus car peu qualifiés et peu performants. C’est la même chose pour les plus diplômés puisque le niveau réel de l’enseignement supérieur saoudien est très en dessous des apparences… 

Par ailleurs, cette décision représenta un véritable virage à 180 degrés lorsqu’on sait qu’en 2011, le royaume avait évité le vent des Printemps arabes en entreprenant un vaste programme d’investissement public tout en augmentant les prestations sociales, les salaires des fonctionnaires et enfin, en embauchant massivement dans le secteur public pour justement essayer de diminuer le nombre de jeunes chômeurs.

Aujourd’hui, confrontée à la chute des cours du pétrole (dont elle est en grande partie responsable puisqu’elle espérait ainsi étrangler financièrement ses adversaires, principalement l’Iran et la Russie), l’Arabie saoudite, qui connaît des difficultés financières puisque 90% de ses revenus proviennent de l’or noir, ne peut plus jouer à l’Etat providence et redistribuer à volonté cette fameuse rente pétrolière.  

Ainsi, les fins de mois sont de plus en plus difficiles pour la majorité de la population fonctionnarisée et le royaume a de moins en moins les moyens d’entretenir une population toujours croissante et toujours aussi exigeante. Certaines études affirment même qu’un quart de la population vivrait déjà sous le seuil de pauvreté.

Sans la manne pétrolière, le royaume est-il capable de maintenir la paix sociale en son sein ? Comment le pays adapte-t-il son budget au manque de revenus, doit-il revoir son train de vie ?

Le pétrole rapporte 45 % de la richesse de l’Arabie saoudite. Comme je l’ai dit, il représente 90 % des recettes d’exportation et 80 % des revenus du budget de l’Etat. Avec un baril à 50 dollars encore aujourd’hui, les temps sont durs pour le royaume. Pour l’année dernière, le manque à gagner était de 49 milliards de dollars ! En 2015, le déficit budgétaire a atteint un record puisqu’il était de 99 milliards de dollars, soit 13% du PIB. En 2016, les estimations annoncent qu’il devrait avoisiner les 15 %. Riyad a déjà rapatrié de l’étranger plus de 70 milliards de capitaux ! Mais pour faire face à cette chute de 60 % des prix du pétrole depuis l’été 2014 et aussi financer ses interventions au Yémen et aux côtés de la coalition en Irak, la monarchie puise, chaque mois, une trentaine de milliards de dollars dans les réserves (750 milliards de dollars, destinés, à l’origine, à préparer l’après pétrole) de la Banque centrale saoudienne. Ainsi, selon un rapport du FMI, les réserves de la trésorerie saoudienne sont en chute libre et le royaume ne pourrait pas tenir plus de 5 ans à ce rythme.

D’importantes réformes structurelles seraient alors fort souhaitables pour diversifier et libéraliser l’économie mais aussi réduire les dépenses de l’Etat providence. C’est la raison pour laquelle, les autorités saoudiennes sont déterminées à diminuer leurs dépenses d'investissement et à ajourner plusieurs projets infrastructurels. Par ailleurs, le fils du roi Salman, le vice-prince héritier de 31 ans, Mohammed ben Salman, ministre saoudien de la Défense et actuel président du Conseil des affaires économiques et du développement (CEDA), a ainsi officialisé le 25 avril dernier, lors d’une intervention télévisée, la nouvelle vision du royaume à l’horizon 2030 au travers d'un plan de transformation de l’économie. Ce dernier prévoit en premier lieu d’introduire en Bourse, 5% de Saudi Aramco, la compagnie pétrolière nationale, qui permettra notamment de financer la création du plus grand fond souverain de la planète. En effet, celui-ci pourrait alors générer jusqu’à 2 000 milliards de dollars d'actifs d'ici à vingt ans. Le royaume envisage également de nouvelles mesures pour revoir et restructurer les subventions. Le plan prévoit ainsi la création d'une taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ainsi qu’une taxe sur l'énergie, les boissons sucrées et les produits de luxe…

Peut-être faudrait-il aussi revenir sur la gratuité de l’eau pour les nationaux et augmenter le prix des carburants ?

En attendant, les autorités saoudiennes semblent prendre conscience du danger. Déjà en 2014, Riyad a investi massivement dans l'éducation, la santé et les infrastructures mais actuellement, ce sont toujours les dépenses militaires qui absorbent la plus grosse part du budget soit 35 %.

Enfin, reste à savoir si ces réformes trop tardives, qui vont inévitablement chambouler les habitudes et les traditions culturelles des saoudiens, ne vont pas aussi alimenter une nouvelle et naissante colère populaire ou pire, envenimer les tensions politiques déjà existantes au sein des sphères du pouvoir… 

Quelles seraient les répercussions d'une crise politique et sociale en Arabie saoudite au niveau régional ?

Les plans régionaux de Riyad (comme d’Ankara d’ailleurs) et sa politique de soutien aux islamistes depuis les fameux printemps arabes sont un échec. Son intervention au Yémen est un fiasco. En Syrie, même si le royaume saoudien soutient encore, avec l’énergie du désespoir, certaines milices rebelles djihadistes, ce n’est qu’une question de temps pour voir l’acte final de sa stratégie échouer lamentablement. L’Arabie saoudite (comme encore une fois la Turquie) s’est voulue être un tigre mais aujourd’hui, elle ne se révèle être qu’un "tigre de papier".

Pour ma part, je pense même que la Turquie et l’Arabie saoudite sont actuellement les "deux hommes malades" du Moyen-Orient.

La puissance et l’influence relative mais aussi l’existence même de l’Arabie saoudite étaient fondées sur le pétrole et le statut de gardienne des Lieux saints de La Mecque et Médine.

Avec une rente et des réserves pétrolières beaucoup plus modestes que par le passé, aucun investissement sérieux dans les domaines universitaires et technologiques, un stress hydrique sans précédent et le retour de l’Iran, l’avenir du royaume semble bien incertain.

Je rappelle aussi, et encore une fois, qu’à l’inverse des dynasties chérifienne du Maroc et hachémite de Jordanie, la dynastie wahhabite n’est pas descendante du Prophète. L’image des Saoud s’est d’ailleurs grandement ternie depuis sa stratégie inconséquente dans la région à partir de 2011 (même chez ses alliés) mais aussi et surtout, à cause de sa politique et ses actions sur les prix du pétrole. Ainsi, les tensions au sein de la Ligue arabe et de l’OPEP sont prégnantes. Effectivement, de nombreux pays producteurs de pétrole, comme par exemple l’Algérie, en veulent beaucoup aux Saoudiens, considérés comme les responsables directs de cette baisse funeste du prix des hydrocarbures.

Sur le plan interne enfin, le royaume est traversé aussi par de fortes tensions au sein du pouvoir. Il y a environ 20 000 princes et princesses, dont 4 000 princes de sang royal et un millier d’entre eux sont réellement puissants et dangereux pour le roi. En effet, le gâteau de la rente pétrolière n’étant plus aussi gros qu’avant, les parts que se redistribuaient les princes, se sont considérablement réduites. Tout cela a eu pour conséquence de réveiller ou d’aviver les jalousies, les rivalités ainsi que les vieilles luttes d’intérêts entre les clans.

Alors, quelles seraient les répercussions dans la région en cas de déstabilisation du royaume ? D’abord, les Saoudiens apportent une aide économique conséquente à de nombreux pays de la zone comme le Pakistan, la Jordanie ou l’Egypte. Si Riyad réduisait drastiquement son aide extérieure, certains Etats seraient en grande difficulté. En cas de graves troubles, qu’adviendrait-il aussi aux étrangers et aux travailleurs immigrés, qui représentent le tiers des 30 millions d’habitants du royaume ? S’ils devaient fuir, quels contrecoups cela provoquerait dans les pays voisins ou dans leurs pays d’origine déjà en crise (Bangladesh, Pakistan, Philippines, Indonésie) ? 

Dans le passé, l’Arabie saoudite a déjà connu de graves secousses comme l’assassinat du roi Fayçal en 1975 ou encore la prise d’otages de La Mecque en 1979.

Aujourd’hui, on peut faire confiance à la fermeté et à la férocité du roi, de son fils, Mohammed ben Salman, ainsi qu’à celle de Mohammed ben Nayef, "l’homme fort du royaume". Certes, comme Erdogan d’ailleurs, ils ne sont pas le genre d’hommes à vaciller à la première émeute ou face à une quelconque tentative de coup d’Etat. Mais l’Histoire nous apprend qu’aucun pays, aussi riche et dirigé d’une main de fer qu’il soit, n’est jamais totalement à l’abri du chaos… 

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