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Tout ce qu'on ne vous dit pas sur les agences de notation
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Le nettoyeur

Rendez-vous Atlantico. Cette semaine, Pascal Emmanuel Gobry, le "nettoyeur" fait voler en éclat les idées reçues sur les agences de notation, cet oligopole installé au coeur des marchés financiers pourtant sensés être des bastions du libéralisme...

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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La montagne a accouché d'une souris : ce qu'on présentait comme une catastrophe économique à venir, la perte de sa note AAA par la France, n'a pas eu les effets attendus. Tous les commentateurs répétaient cette vulgate : une dégradation de la note de la France augmenterait les taux d'intérêts auxquels elle emprunte. De là, calamités budgétaires, économiques, voire même panique sur la zone euro.

C'est tout le contraire qui s'est passé : la dégradation s'est déroulée vendredi soir dernier après la fermeture des marchés, et le lundi à l'ouverture, les taux de la dette française ont... baissé ! Et ils sont restés au plus bas depuis. Les taux auxquels empruntent les autres pays dégradés, notamment des pays sensibles comme l'Espagne et l'Italie, sont également stables ou en baisse.

Pourquoi ces commentateurs ont-ils fait cette erreur monumentale ? Ils nous expliquent aujourd'hui doctement que les effets de la dégradation de la note de la France avaient été anticipés par les marchés, et étaient donc “intégrés” dans les prix. (Ils ne nous expliquent pas pourquoi ils n'ont pas anticipé l'anticipation des marchés, par contre...)

C'est tout aussi faux : ça fait plusieurs semaines, précisément alors que les rumeurs d'une dégradation s'amplifiaient, que les taux de la France baissent.

Alors, que s'est-il passé ? La réponse est aussi simple que difficile à admettre dans un climat de peur de ces agences depuis des mois : les agences de notation n'ont aucun impact sur les taux d'intérêts que payent les Etats.

Aucun. Pas un peu. Pas beaucoup. Pas un impact contraire à ce qu'on pourrait attendre. Aucun impact.

Comme l'a démontré mon collègue de Business Insider Joe Weisenthal, ce phénomène se retrouve pour tous les grands pays. La dette des Etats-Unis a été dégradée avec perte et fracas à l'été dernier, et depuis ses taux n'ont que baissé. Mais l'exemple le plus criant est le Japon qui, avec sa dette énorme et sa démographie et sa croissance en berne, s'est fait dégrader de nombreuses fois au cours des années. A aucune fois, à part un petit soubresaut au moment de l'annonce, une de ces dégradations n'a eu d'impact décelable sur les taux japonais. Ce phénomène n'est pas limité aux Etats : pendant la crise, des très grandes entreprises américaines comme General Electric et Berkshire Hathaway ont perdu leur AAA, et leurs taux sont restés stables ou ont baissé.


Pour ceux qui prêtent attention aux faits, et non aux lieux communs, la réaction du marché à la dégradation française était donc parfaitement prévisible.

Mais pourquoi donc les agences ont-elle si peu d'impact, alors qu'on nous dit le contraire?

Tout simplement parce que les marchés sont des machines à agréger les opinions de nombreux acteurs, et que les trois agences ne sont que trois parmi des centaines. Les acheteurs de dette souveraine sont presque exclusivement des institutions financières qui ont, elle même, leurs équipes d'analystes aussi chevronnés que ceux des agences, et se font leur propre opinion. C'est comme ça qu'un marché fonctionne : ses prix reflètent les informations et les prises de positions d'un grand nombre d'acteurs. Sauf exceptions, le changement d'opinion d'un seul acteur n'a pas d'influence.

Alors, est-ce que les agences de notation sont inutiles ? Pas vraiment. Elles jouent le rôle de tout analyste, qui est de produire une opinion informée qui peut aider les acteurs du marché à se former leur propre opinion. Les analystes aident à informer le marché et sont donc utiles, mais il est rare qu'un seul analyste puisse faire bouger le marché à lui tout seul, et on ne considère pas que c'est leur rôle.

On se retrouve donc dans une situation absurde où on a d'un côté des acteurs comme Jean-Luc Mélenchon, qui hurlent à une dictature que feraient subir aux pays les agences de marché, alors qu'elles n'ont aucun impact, et de l'autre côté un Gouvernement français qui tremble de peur à l'idée d'un mauvais verdict des agences... alors qu'elles n'ont aucun impact.

Quelles leçons alors tirer de cette farce ?

  • D'abord, que, comme disait Lénine, les faits sont têtus : au lieu de répéter une théorie abstraite selon laquelle une dégradation ferait monter les taux, les commentateurs auraient dû regarder ce qui se passe après une dégradation, et constater la réponse : presque rien.
  • Ensuite, que le rôle des agences de notation est trop important, puisqu'elles nous font trembler alors qu'elles n'ont pas d'impact sur les marchés. Mais ce rôle important, c'est nous qui l'avons créé: ce sont les réglementations qui donnent un rôle aux notes des agences et imposent des barrières à l'entrée à d'éventuelles nouvelles agences. Dans la vraie vie, pour émettre une opinion sur un homme politique, je n'ai qu'à ouvrir un blog. Dans les marchés financiers, qu'on décrit comme des bastions du libéralisme, on a là un oligopole dont l'existence ne se justifie aucunement, eu égard à leurs nombreuses erreurs.


La bonne réponse aux agences de notation, ce n'est donc pas de les punir comme le propose Jean-Luc Mélenchon, puisqu'elles ne peuvent pas faire de mal à une mouche, ni de changer les priorités budgétaires comme le penserait le Gouvernement, puisque se soucier de son AAA est une perte de temps, mais tout simplement d'abolir leurs privilèges et de leur rendre leur rôle naturel d'analystes qui émettent une opinion parmi de nombreuses autres.

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