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Offensive sur l'Europe : comment la Chine déploie de plus en plus sa rivalité avec les Etats-Unis sur le vieux continent
©Reuters

Guerre des blocs

A l'occasion de la parution de son dernier livre, "China's Offensive in Europe", Philippe Le Corre revient sur l'intérêt de Pékin pour le continent européen, ses investissements économiques et le déficit d'image dont elle continue à souffrir.

Philippe Le Corre

Philippe Le Corre

 
Philippe Le Corre est chercheur associé à l’IRIS, spécialisé sur le monde chinois et l’Asie du Sud-Est. Depuis octobre 2014, il est chercheur à la Brookings Institution. Il est également un professionnel de la diplomatie publique et des relations interculturelles.
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Atlantico : Votre dernier livre s'intitule L'offensive de la Chine sur l'Europe*, pourquoi l'Europe est-elle devenue une priorité stratégique pour la Chine ? Quelles formes la percée chinoise en Europe prend-elle ? Quels sont les pays privilégiés par la Chine ?

Philippe Le Corre : Après avoir inauguré la politique de la "porte ouverte" dans les années 1980, la Chine a décidé de s’internationaliser il y a une quinzaine d’années à travers une politique lancée par Jiang Zemin et Zhu Rongji. Le nom de cette politique était zou chu qu (ce qui signifie "sortir") et le but était d’encourager les entreprises chinoises à investir à l’étranger. Concernant l’Europe, il y a bien sûr des opérations de groupes privés, notamment dans l’immobilier –de Londres à Lisbonne- mais 70% des investissements réalisés depuis 2008 –année de la crise de la dette- sont le fait de sociétés d’Etat (SOE). L’an dernier, les investissements chinois en Europe ont connu un véritable bond, +44%. Aucun pays ou presque n’est oublié. Le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Allemagne, la Grèce, le Portugal, la République tchèque… Cela constitue-t-il pour autant une stratégie ? Jusqu’en 2015, on pouvait en douter. Mais le lancement du concept One Belt, One Road, ainsi que la création de la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures (AIIB) ou encore du Silk Road Fund sont autant de signes que Pékin veut avancer. Une soixantaine d’Etats ont adhéré à la nouvelle banque et un nombre important de pays déclaré être intéressés par OBOR. Dans ce domaine, l’intérêt chinois pour l’Europe de l’Est est manifeste. Xi Jinping était à Prague en mars, il sera à Belgrade prochainement. Les Etats-Unis ont fait le choix de ne pas adhérer à l’AIIB et sont exclus de OBOR. Les relations sino-américaines se situent davantage sur le terrain de la concurrence voire de la défiance que de la coopération. C’est aussi l’une des raisons de l’intérêt pour l’Europe.

Quelle est la place de la France dans cette offensive chinoise ?

La France a accueilli quelques investissements importants : le fonds souverain chinois CIC a pris une participation de 30% dans les activités d'exploration et de production de gaz naturel d'ENGIE. Dans l’automobile, le chinois Dongfeng a pris 14% du capital de PSA; Fosun a racheté Club Med ; des marques de luxe ont été acquises, ainsi que des hôtels. Le groupe Synutra a investi 100 millions d’euros dans une gigantesque usine de lait en Bretagne ; des parcs industriels sont prévus à Chateauroux et en Lorraine… Pour autant, la France a adopté une attitude plus prudente que d’autres, en particulier dans les domaines sensibles (télécommunications).  Il y a un débat, illustré par la controverse autour de l’aéroport de Toulouse. Fin 2014, un consortium a racheté 49,9% de l’aéroport mais le patron du consortium a disparu sans laisser d’adresse quelques mois plus tard. Du coup cela a conforté les opinions de certains.

Pourquoi la Chine réussit-elle mieux à s'"imposer" en Europe qu'aux Etats-Unis ?

Actuellement, les Etats-Unis attirent davantage d’investissements chinois que n’importe quel pays européen ($15 milliards pour l’année 2015). Mais lorsqu’on additionne les 28 membres de l’UE, on atteint le total de $23 milliards, sans compter l’énorme acquisition du suisse Syngenta (agri-business) que le groupe ChemChina, déjà acquéreur du fabriquant de pneus Pirelli, pourrait racheter pour $62 milliards. La Chine investit dans le transport ferroviaire, l’énergie, la gestion portuaire et aéroportuaire, la finance, la technologie, … ce ne sont pas des secteurs mineurs, et cela suscite un débat dans chaque pays européen.  Aux Etats-Unis, le débat se situe davantage sur le terrain de la concurrence stratégique en Asie (mer de Chine, péninsule coréenne) et concernant les investissements étrangers, il existe un système plus strict qu’en Europe appelé CFIUS (Committee on Foreign Investment in the US) qui a barré la route à certains investisseurs chinois…

Néanmoins, la Chine ne continue-t-elle à souffrir d'un "déficit d'image" en Europe ? Comment pourrait-elle relever ce défi du "soft power" ?

La Chine fait des efforts importants pour redresser son image. Elle est active dans les médias (CCTV, Xinhua), dans la culture, dans l’organisation d’évènements de prestige (aussi variés que les JO d’été de Pékin en 2008 ou le G20 cette année à Hangzhou). Elle a aussi mis en place un réseau important d’Instituts Confucius, calqué sur le concept des Alliances françaises ou des instituts Goethe, mais ils apparaissent souvent comme des officines de propagande. Le problème est que la Chine est depuis quatre ans en pleine période de reprise en main. Le parti communiste ne veut laisser aucune place à la contestation, ni parfois même au débat.  La censure augmente, les organisations non-gouvernementales doivent s’immatriculer, des dissidents sont emprisonnés. Tant que la Chine aura cette image, nombre d’Européens continueront à douter des intentions chinoises, y compris sur le plan économique : l’objectif des investissements chinois à l’étranger n’est-il pas principalement d’utiliser la surcapacité de production chinoise (acier, charbon…) et d’alimenter une croissance flageolante en raison du ralentissement de l’économie mondiale – donc chinoise ?

* China’s Offensive in Europe, Brookings Institution Press, 2016 (co-écrit avec Alain Sepulchre)

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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