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72% des Français pensent que la France pourrait connaître une explosion sociale dans les prochains mois
©REUTERS/Gonzalo Fuentes

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Depuis 1998 au moins, près de deux Français sur trois sont persuadés que l'explosion sociale est imminente. Si jusqu'à présent on ne peut pas véritablement dire qu'elle soit arrivée, ce sentiment traduit néanmoins une forte insatisfaction de la population à l'égard des (nombreux) dysfonctionnements de notre société.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : A en croire les Français, la situation de notre pays serait critique, puisqu'ils sont 72% à penser que la France peut connaître une explosion sociale dans les prochains mois. Seuls 3% de la population pensent que ce ne sera certainement pas le cas. Au regard de ces résultats, quels sont les enseignements à tirer de ce sondage ?

Jérôme Fourquet : En premier lieu, il est important de préciser qu'il est possible de lire ce sondage de plusieurs manières. Parmi ces différentes façons d'interpréter les chiffres, la première consiste à une lecture intrinsèque, sans comparaison, au pied de la lettre (ou plutôt des statistiques). En optant pour cette approche, on constate effectivement qu'une majorité claire et indiscutable, puisqu'il s'agit de presque trois Français sur quatre, de la population estime notre société soumise au risque d'une explosion sociale imminente. Pour bien comprendre ce chiffre, il est nécessaire de le relier à deux éléments de notre culture nationale. L'un est assez ancien : cette vieille tradition de contestation (voire de révolution) propre au pays. L'autre est plus récent : le contexte immédiat de la situation. Nous assistons aujourd'hui à un enracinement réel de la contestation (que ce soit dans la rue ou au sein des entreprises) de la loi Travail portée par Myriam El Khomri. Ces deux éléments, tant la tentation de renouer avec une tradition contestatrice et révolutionnaire que les tensions contemporaines à la mobilisation sociale d'aujourd'hui, font partie intégrante des points expliquant le sentiment des trois quarts de la population. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'autant de Français anticipant l'explosion sociale la craignent : il est possible de penser que certains la souhaitent, en vérité.

La deuxième approche est nettement moins spectaculaire, mais pas forcément anodine. Certes, le mouvement social contre la loi El Khomri est particulièrement dur et le contexte général est effectivement tendu. Néanmoins, pour quiconque s'intéresse un peu plus au détail des chiffres, force est de constater que le niveau d'anticipation actuel n'est pas nécessairement aussi historique qu'on pourrait le penser. Et pour cause ! En janvier 1998, une étude IFOP soulignait déjà cette tendance et le sentiment d'une explosion sociale imminente, partagé par 64% des Français. En avril 2009, les débuts de la crise économique accentuaient cette impression et 66% des Français faisaient part de ce même sentiment. 2013 constitue un pic, puisqu'en avril 70% des Français pensaient que l'explosion ne tarderait pas et qu'ils étaient 76% en novembre. La crise économique avait été particulièrement virulente à ce moment. Très concrètement, on constate une forte proportion (elle n'est jamais inférieure à 2 Français sur 3) qui estime que le bouchon va bientôt sauter. Cela renvoie bien évidemment à un certain discours tenu par les médias et les experts (celui qui consiste à dire de la rentrée sociale qu'elle sera "chaude") et c'est pour partie lié à notre histoire et notre culture. Dans les faits, tout ce discours ambiant qui consiste à dire que la France est le pays records des grèves (ce qui pourrait être nuancé) et qu'elle est irréformable est un héritage de notre histoire comme de l'actualité récente. La France est en permanence confrontée à cette idée de la surchauffe. S'attarder sur cet aspect de la lecture nuance évidemment le côté historique qu'on pourrait prêter aux chiffres de cette étude.

Attention, néanmoins : il ne s'agit pas de dire des Français qu'ils sont experts en sciences sociales et voient venir les événements : mai 1968 ou décembre 1995 illustrent bien le fait qu'une majorité de la population n'est pas nécessairement détentrice d'un savoir particulièrement affûté en la matière. Cependant, il s'agit d'un ressenti généralisé et aujourd'hui les Français ont à peine plus le sentiment d'une explosion à venir que d'habitude. L'inversion de la courbe constatée en 2014 est due à une tension sociale moins forte quand, fin 2013, celle-ci atteignait un pic. Cependant, d'un point de vue global, la fourchette reste assez stable dans le temps, quand bien même elle connaît quelques petites oscillations. Encore une fois, c'est dû à l'intégration du trait historique et culturel, particulièrement présenté médiatiquement. En partie, du moins, mais pas que. En effet, cela s'explique aussi parce qu'une partie de la population se sent exclue et a du mal à joindre les deux bouts. Se savoir dans une situation objective qui touche également d'autres personnes peut pousser à une volonté de voir les choses changer, estimer que cela ne peut pas continuer de cette façon et que tout cela finira par déborder. En un sens, ces chiffres (et c'est d'autant plus parlant qu'il s'agit d'une tendance continue dans le temps) disent beaucoup de la perception que les Français peuvent avoir de notre société. Cette dernière apparaît bloquée, le jeu semble fermé et, au final, la pression monte. Elle se traduit par une défiance forte vis-à-vis des politiques, que nous avons déjà abordée à plusieurs reprises chez Atlantico. Cette insatisfaction à l'égard du fonctionnement de notre société pousse généralement au vote extrême et se traduit très clairement dans les chiffres du sondage. L'ensemble des dysfonctionnement accumulent, in fine, des frustrations et des colères qui s'épanchent dans le désir de voir tout cela bouger.

Si une majorité de l'opinion s'accorde sur ce point, les résultats divergent bien plus entre électeurs de droite et de gauche qu'entre les extrêmes. Le clivage politique et partisan traditionnel se traduit-il dans ces chiffres ? La surreprésentation de cette prédiction dans l'électorat des extrêmes peut elle découler d'un électorat qui souhaite une telle explosion plutôt qu'il ne la craint ?

Il ne s'agit pas, ici, d'un clivage gauche-droite, bien que les pronostics soient assez élevés. Un autre clivage s'y substitue en vérité : celui des extrêmes contre les autres, en cela qu'on a des scores de 82% au Front de gauche, 86% au FN, mais 57% au PS pour 74% chez LR. Concrètement, il serait possible de dessiner une courbe en U avec des extrêmes plus durs, où se polarise la question. C'est assez cohérent : l'insatisfaction vis-à-vis de notre édifice social pousse à vouloir le voir dérailler, puisqu'il n'est pas fonctionnel. Un autre phénomène assez classique se constate également, en parallèle à cette courbe en U. Il s'agit du jugement assez optimiste, voire "protecteur", de la part du parti en place. C'est au PS qu'on prétend le moins que cela risque d'exploser. De la même façon, il y a fort à parier que lors du mandat de Nicolas Sarkozy, la situation s'inversait : le catastrophisme était probablement moins répandu au sein des électeurs UMP que chez ceux affiliés au PS.

Quant au souhait d'une explosion plus que sa peur, je pense qu'il y a effectivement des deux. Un pan de l'électorat extrême souhaiterait sans doute cette explosion. C'est très vraisemblable au Front national... et ne fait aucun doute au Front de gauche, qui fait office de figure de proue dans les mobilisations actuelles. Après tout, le slogan de Jean-Luc Mélenchon est bien "La France insoumise"...

De toutes les catégories de population, les plus de 65 ans sont ceux qui jugent le plus probable un tel phénomène, puisque 80% d'entre eux l'anticipent. Ces chiffres traduisent-ils une déconnexion entre générations, sur ce que devrait être la société française ?

Je ne crois pas qu'on puisse décemment parler de fracture générationnelle au travers de ces chiffres. Certes, la propension des seniors a estimer que la situation est fort propice à une explosion sociale imminente est très élevée (80%), mais la rupture n'est pas si marquée avec les moins de 35 ans, qui sont 70% à s'y attendre également.

Il y a là aussi deux niveaux d'analyse. Les raisons de cette attente ne sont globalement pas les mêmes. Chez les plus de 65 ans, il s'agit essentiellement d'une inquiétude. Cela traduit et dénote très clairement une importe inquiétude, relative à la déstabilisation du système en place. Sans dire des jeunes qu'ils souhaitent tous cette évolution, les plus âgés restent néanmoins moins révolutionnaires qu'eux. Et pour cause : ils sont plus tributaires du système de retraite, sont généralement propriétaires de leur logement et, d'une façon générale, ont plus à y perdre. De facto, ils constituent donc la tranche d'âge la plus sensible à ce genre de menace, susceptible de secouer l'édifice actuel. C'est également la tranche d'âge la plus en demande de réformes sur les déficits publics ; et la moins tentée par le vote Front national. En fait, les personnalités qui récupèrent le plus de satisfecit de la part de cet électorat sont ceux qui rassurent le plus. Respectivement, il s'agit d'Alain Juppé et d'Emmanuel Macron : ils ne promettent pas plus le grand soir que de renverser la table, mais s'engagent à réformer le pays pour mieux faire durer le système actuellement en place.

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