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Le marché noir russe le plus fou ? Ni les armes, ni les drogues ni la vodka mais… les thèses de doctorat
©Reuters

Village de Potemkine

Avoir le titre de docteur apporte un prestige social en Russie. De nombreux personnages influents se font donc écrire de fausses thèses. Un marché organisé et florissant.

Combien de personnages importants en Russie ont plagié leur thèse de doctorat ? Il est impossible de le savoir avec précision, mais ce qu'on sait semble ahurissant. Des logiciels permettent maintenant de détecter les sites de plagiat dans les travaux universitaires. Une ONG, Dissernet, a décidé de passer au peigne fin toutes les dissertations publiées pour épingler les fraudeurs ; une fois une thèse signalée par le logiciel, des experts humains passent derrière pour confirmer.

Parmi ceux qui sont l'objet d'allégations crédibles : le président de la Douma, la chambre basse du Parlement, le ministre de la Culture, le gouverneur de Saint Petersbourg… et Vladimir Poutine lui-même. Dissernet a publié des rapports sur 1 300 plagiats, et selon eux, 1 membre sur 9 du Parlement aurait reçu un doctorat pour une thèse avec des quantités importantes de plagiat. Selon un autre rapport, qui ne fournit qu'une estimation parce que les données ne sont pas encore complètes, environ 4% des thèses de doctorat du pays seraient plagiées.

Et ça ne compte pas les thèses qui ne sont pas plagiées mais qui ont été écrites par des nègres. Car le plagiat n'est que la partie émergée de l'iceberg, un révélateur d'un phénomène beaucoup plus large. En Russie, le titre de docteur confère un statut social et un prestige, comme le ferait en France un statut d'ancien de grande école ou de membre d'un grand corps de l'Etat. Il existe donc un véritable secteur économique de l'obtention du doctorat.

Il y a d'autres raisons. Dans certains secteurs, notamment administratifs, il faut un doctorat pour être promu à certains postes. Un doctorat permet à un politicien peu chanceux d'être recasé en université. Voire, de blanchir de l'argent sale de pots-de-vin : un homme politique n'a pas le droit d'avoir d'activité commerciale, mais il peut enseigner en université - et donc avoir des "revenus" liés à des activités connexes comme des livres, des interventions à des conférences, ou du consulting.

Voici comment cela fonctionne, comme le raconte Slate. En Russie, pour obtenir un doctorat, il n'est pas forcément nécessaire d'être inscrit à un programme de doctorat - il suffit de soumettre une thèse à un panel de chercheurs et de la faire approuver. Donc, pourquoi ne pas faire écrire une thèse par un nègre, la soumettre à un panel et recevoir son doctorat ? Dans un pays où les professeurs d'université sont gravement sous-payés et doivent souvent avoir un second emploi pour payer leur loyer, il est possible de payer un bakchich pour faire approuver une thèse pas forcément brillante.

Selon une étude du professeur Ararat Osipian de Vanderbilt University, entre 20 et 30% des doctorats conférés en Russie et en Ukraine depuis la fin de l'Union soviétique l'auraient été pour des thèses achetées sur le marché noir.

Ce marché noir a pignon sur rue. Les entreprises peuvent être trouvées en deux clics sur Internet. Elles proposent toutes sortes de services. Elles peuvent écrire un simple article universitaire, mais il existe des solutions clé en main : on paye, la dissertation est rédigée (on ne sait comment ni par qui), l'entreprise trouve le "moyen" de la faire passer, et on reçoit son diplôme par courrier. On peut acheter une thèse pour la somme modique de 100 000 roubles, soit environ 1 500 euros, avec livraison sous 30 jours. Pour environ 25 000 euros, vous pouvez avoir une monographie et la création d'une bibliographie entière à votre nom de faux articles de journaux scientifiques.

Un vrai marché, et comme toute autre entreprise, ces entreprises vont chercher le client. "Si quelqu'un est propriétaire d'un magasin de vêtements ou d'une chaîne de magasins, il recevra un jour la visite d'un homme à l'allure respectable qui viendra à son bureau et lui dira : 'maintenant, vous devriez devenir docteur en économie, ça sera bon pour votre business'", explique Serguei Parkhomenko, membre de Dissernet. "Et il déroule son argumentaire commercial, avec les options, les différents prix, les remises. Comme un vendeur d'assurances-vie".

Mais le problème plus large est celui de l'indifférence. Les grands personnages qui se sont fait épingler pour des thèses plagiées n'ont pas été forcés à la démission - ils ont publié un déni improbable et ont continué comme si de rien n'était. "En Russie, le public dit : 'et alors ? Il a volé, mais tout le monde vole. Pourquoi est-ce qu'il serait bien placé s'il ne vole pas ?'", raconte Parkhomenko.

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