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Un gouffre financier ! 30 ans de décentralisation mal maîtrisée
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Et ils pompaient, pompaient

Nicolas Sarkozy a annoncé ce mercredi la tenue d'un sommet des collectivités locales sur les déficits dans les semaines à venir. Il a clairement donné le ton en préconisant « une gestion plus rigoureuse des effectifs et des dépenses de la fonction publique territoriale ». Retour sur un dérapage incontrôlé.

Aurélien Véron

Aurélien Véron

Aurélien Véron est président du Parti Libéral Démocrate et auteur du livre Le grand contournement. Il plaide pour passer de l'Etat providence, qu'il juge ruineux et infantilisant, à une société de confiance bâtie sur l'autonomie des citoyens et la liberté. Un projet qui pourrait se concrétiser par un Etat moins dispendieux et recentré sur ses missions régaliennes ; une "flat tax", et l'ouverture des assurances sociales à la concurrence ; le recours systématique aux référendums ; une autonomie totale des écoles ; l'instauration d'un marché encadré du cannabis.

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Atlantico : En présentant ce mercredi ses vœux aux parlementaires, Nicolas Sarkozy a préconisé  « une gestion plus rigoureuse des effectifs et des dépenses de la fonction publique territoriale » avant de regretter lors de ses voeux aux fonctionnaires à Lille ce jeudi que les collectivités locales aient créé 500 000 postes en 10 ans quand l'Etat s'astreignait à en supprimer 165 000. Pourquoi les collectivités territoriales sont-elles au centre du débat ?

Aurélien Véron : Il y a beaucoup trop de fonctionnaires dans la fonction territoriale. Nous sommes près de 1 800 000 fonctionnaires territoriaux. Cela correspond à une hausse de quasiment 40% en 10 ans. Ces chiffres datent de 2009 et cela ne s’est pas arrangé depuis. Dans toutes les grandes villes, nous avons eu quasiment un doublement des effectifs.

Au-delà de l’aspect quantitatif, que dire de l’organisation de la fonction publique territoriale en France ?

Derrière la quantité il y a effectivement la question de l’organisation. Le premier problème qui se pose est, selon moi, ce fameux mille-feuille administratif et politique. Nous avons les municipalités, les agglomérations de commune, les départements, les régions puis enfin l’Etat. Tout ceci avec un partage des compétences complétement fou. Chaque tranche du mille-feuille peut s’attribuer les mêmes compétences que la tranche supérieure et la tranche inférieure. Nous avons une multiplication mécanique des phénomènes bureaucratiques, et cela à chaque étage.

Il faut clairement simplifier toutes ces strates. En unifiant par exemple les départements et les régions pour ne plus avoir qu’une seule tranche. Si l’on veut vraiment des municipalités et des régions autonomes, il faut supprimer la tranche du département. Nous aurions alors simplement trois échelons : les municipalités regroupées entre elles, les régions et bien-sûr l’Etat.

Un deuxième acte qui me parait important est la clause générale de compétence. Je pense qu’aujourd’hui une région peut très bien s’occuper des questions culturelles, sociales ou éducatives. Les régions doivent avoir des clauses exclusives de compétence qui l’empêchent de déborder sur d’autres activités qui ne relèvent pas de sa compétence. Cela limitera leurs dépenses, leur bureaucratie et leur rayon d’action à des compétences très strictes.

Le seul échelon qui a une légitimité à avoir une compétence générale sur tous les secteurs d’activité publique est la municipalité. C’est la proximité qui permet d’avoir la meilleure gestion, la plus proche des citoyens, incarnée par le maire et son équipe municipale.

Concrètement, en quoi la proximité permet-elle une meilleure gestion ?

Aujourd’hui quand l’on fait une piscine olympique dans un village de 5000 habitants, elle sera prise en partie par la région, en partie par le département et en partie par la ville. La ville finalement ne paye que le quart, le tiers voire la moitié dans le meilleur des cas. Ce qui incite fortement à la dépense.

Il y a un tel abondement de subventions de l’extérieur que cela incite à la dépense. C’est un peu les soldes en permanence… Le jour où il n’y aura plus de clauses générales de compétence pour les régions et pour les départements, les maires qui voudront investir dans une piscine olympique devront payer 100% de cette piscine. Lorsque l’on paye 100% d’un investissement, on est beaucoup plus sensible, car il faut répercuter directement le coût sur les contribuables locaux.

Je pense que la responsabilisation des villes va réduire considérablement la tentation de dépenser avec l’argent d’autres institutions.


François Sauvadet a reconnu que la règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux arrivait « au bout ». Préconisez-vous comme certains d’aller plus loin avec la règle du deux sur trois ?

Je pense que, dans la méthode, ce n’est pas à l’Etat central de dicter la politique des régions. Je crois quec’est aux régions de se prendre en main. Pour se prendre en main, elles ont besoin de clauses de compétences (et donc de recettes fiscales) bien plus claires.

Aujourd’hui chaque tranche du mille-feuille se sent moins responsable car le système est très opaque. L’Etat reverse une partie de certains impôts aux régions et cela donne lieu à beaucoup trop de négociations : « L’Etat a-t-il reversé trop ou pas assez ? ». Au final, c’est souvent un reversement arbitraire et incompréhensible.

En rendant beaucoup plus stricte les clauses de compétences, la fiscalité locale sera exclusive. Les régions et les villes ne vivront que de leurs impôts respectifs. Il y aura alors mécaniquement, sans que l’Etat ait à intervenir, une réduction de l’action et du nombre de fonctionnaires.

Qu’en est-il  du salaire des fonctionnaires territoriaux ?

Encore une fois, je pense que chaque entité locale devrait pouvoir pratiquer sa propre politique salariale. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Il existe des grilles. La catégorie A (la plus privilégiée) représente un fonctionnaire sur six. Je trouve cela assez limité. Il faut vraiment sortir de ce carcan de grilles qui sont archaïques et qui ne correspondent pas aux besoins que nous avons.

Il faut laisser les collectivités territoriales gérées les salaires de leurs effectifs en fonction des talents et des résultats. Un management moderne en définitive.

Pour revenir sur le terrain politique, la déclaration de Nicolas Sarkozy n’était-elle pas aussi un peu partisane ? Sachant que la gauche gère 20 des 22 régions françaises.

Il y a effectivement un côté électoraliste. Choisir ce thème aujourd’hui, à quelques mois de l’élection, n’est pas anodin. C’est le jeu politique qui veut cela.

Ce que l’on peut reprocher à Nicolas Sarkozy c’est d’attendre les cents derniers jours pour lancer des réformes alors que l’on préconise généralement de faire cela les cents premiers jours. Le calendrier est vraiment étrange. Nicolas Sarkozy nous a habitué à beaucoup de surprises. Encore une innovation stratégique de sa part…

La gestion de la gauche est cependant dramatique. La gauche est au pouvoir dans les régions et dans les grandes villes depuis des années. C’est à eux que l’on doit cette explosion des effectifs, avec des bureaucraties incroyables. A Paris, pour un problème de carrefour, de ramassage des déchets ou de sécurité, il y a peut-être dix services différents et personne n’est responsable. Cela crée une complexité, une opacité et un surcoût pour le contribuable extraordinairement élevé.

 Il ne faut pas se raconter d’histoire, tout cela c’est à la gauche qu’on le doit. Si l’Etat centrale a tout de même fait des efforts de rationnement (même s’ils ont été mal conçus), la gauche dans les régions a fait n’importe quoi pendant dix ans.

Vous insistez beaucoup sur l’opacité des régions et des communes. Que préconisez-vous dans ce domaine ?

Les régions et les villes sont déjà notées comme les Etats quand ils émettent une obligation pour emprunter de l’argent sur les marchés. L'agence de notation financière Standard and Poor's a d’ailleurs annoncé qu'elle envisageait d'abaisser la note de la dette de Paris et de la région Ile-de-France en cas de dégradation de la note française…

Peu de gens sont conscients du poids de la dette en Ile-de-France par exemple. Ce sont des données qui sont assez confidentiels. La transparence serait d’afficher en permanence, de manière claire, la dette et la pression fiscale des villes et des régions.

On voit de plus en plus d’officines comme l’Ifrap proposer des analyses comparées de la pression fiscale d’une collectivité territoriale à l’autre. L’idéal serait que les villes et les régions eux-mêmes publient ce type de données.

Pour résumer, quel bilan tirez-vous de plus 30 ans de décentralisation (commencée en 1981 par François Mitterrand) ?

L’Etat français a du mal à décentraliser, il y a clairement une réticence. La tendance est à la décentralisation. Aucun pays ne peut vivre dans un Etat centralisé jacobin. Le monde exige une décentralisation des pouvoirs.

Il y a donc un paradoxe entre l’évolution du monde, les exigences des Français et la capacité de l’Etat à perdre ses pouvoirs. Le résultat est que l’on décentralise mal, de manière incohérente. Au lieu de simplifier et de déléguer les pouvoirs, tout s’accumule, devient incompréhensible et très coûteux.

30 ans de délocalisation, mal conçue et mal gérée, explique en partie le gouffre financier dans lequel nous sommes.

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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