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Perte du triple A français : un mauvais coup des Anglo-saxons contre l’euro ?
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Very bad trip

L’agence Standard & Poor’s a dégradé vendredi la notation triple A de la France. La présidente du MEDEF Laurence Parisot dénonçait en août dernier "une orchestration outre-Atlantique des difficultés de l'Europe". Réalité ou fiction ?

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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Atlantico : L’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé ce vendredi la note du triple A français. Alors que Fitch Ratings, supposé plus "europhile", ne l’a pas encore fait. Croyez-vous à un complot des Anglo-saxons contre la monnaie unique ?

Jean-Marc Daniel : Le mot "complot" est un bien grand mot. La tonalité générale est quand même qu’un certain nombre d’institutions aux États-Unis et en Angleterre sont farouchement hostiles à l’euro.

Pour les États-Unis, si l’euro émerge en tant que monnaie concurrente du dollar, ce serait la fin des privilèges exorbitants des Américains, soit la capacité à vivre au-dessus de leurs moyens. En effet, les États-Unis ont aujourd’hui la capacité de solder leur déficit de balance des paiements courants par l’émission de leur propre monnaie. Historiquement, ils se sont déjà débarrassés de la livre sterling et de l’or, ce n’est pas pour laisser émerger une monnaie forte comme l’euro...

En termes de compétitivité, un euro plus faible ne servirait toutefois pas les intérêts des Américains ?

Je crois effectivement qu’il y a dans les pays anglo-saxons des gens qui ont des intérêts très divers. Cependant, la constante dans la démarche américaine ne peut consister à vouloir détruire l’euro, sachant qu'il y a quand même des opérateurs économiques qui font un usage régulier de la monnaie unique, et qui eux sont plus inquiets de son évolution.

Un certain nombre d’opérateurs économiques américains, notamment dans le secteur industriel, s'offensent de cette baisse du taux de change avec l'euro. Le résultat étant clairement à leur détriment, puisqu'il profite avant tout à la compétitivité de l’industrie européenne.

L’idée poursuivie est en réalité la suivante : "Quand on a commencé une bataille, il faut la mener jusqu’au bout. Soit vous arrivez vraiment à détruire l’euro et vous mettez le « paquet », soit vous renoncez".

L’attitude des Britanniques est également ambivalente. Les intervenants du Financial Times, notamment l’éditorialiste Martin Wolf, sont prêts à raconter n’importe quoi par pure haine de l’Europe. Ils tirent à boulets rouges sur l’euro, avec des arguments relevant de l'absurde. Je pense que le cas britannique, il est plus question d’idéologie que d’économie.

Comment expliquer les différences de timing et de notation entre les grandes agences de notation ?

Les agences de notation sont autant « idiot utile » que « maître du complot ». Un certain mécanisme de l’économie spectacle s’est mis en place, dans lequel elles jouent évidemment un rôle central. Et l’enjeu principal réside dans la conservation de ce statut.

Si Standard & Poor’s a "déclassé" la France, c'est uniquement parce que Moody's s'était donné jusqu’au 18 janvier pour examiner le cas français. Il s'agit en quelque sorte de court-circuiter l’effet d’annonce de Moody’s. Pour cette dernière, le problème qui se pose est plus communicationnel que macro-économique. Et c'est donc en toute logique que les communicants de Moody's vont prendre la main quant à la marche à suivre.

Quant à Fitch Ratings, ils ont déclaré ne pas vouloir se mêler de cela... Et pourtant, Fitch Ratings n’est pas l’agence de notation que l’on nous décrit : européenne ou europhile. Marc Ladreit de Lacharrière en est effectivement l’un deux des principaux actionnaires, mais toute la structure est anglo-saxonne. Autant dire que ce n'est pas le propriétaire français qui dicte la conduite à adopter.

La situation économique et financière actuelle pourrait-elle se retourner contre les agences de notation ?

Je pense que les agences de notation sont en train de perdre le contrôle de la situation. Certes elles ont acquis, par un mécanisme de gestion de la communication et de la calomnie, un rôle central dans notre économie, mais elles sont en train de s'embourber dans une fuite en avant qui consiste à s’acharner sur l’Europe.

Pareille démarche pourrait se retourner contre elles. Jusque-là, les textes relatifs à la règlementation bancaire et financière font leur force, puisque seuls les actifs notés triple A sont considérés comme sûrs. Autant dire que ce sont elles qui définissent ce qui est un actif sûr, et ce qui ne l'est pas. Ce qui pourrait se produire, c'est une contestation de leur légitimité. D'autant plus qu'elles ont déjà manqué la faillite de la banque américaine Lehman Brothers en 2008. 

Les agences de notation sont donc bloquées dans une logique de fuite en avant, qui pourrait provoquer une réaction épidermique conduisant à leur perte.

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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