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Permis de conduire : 40 millions d’euros partent au drain
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Pour rien

Le 25 mars dernier, la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) à la Cour des Comptes, chargée de réprimer les infractions en matière de finances publiques, révèle quelques pratiques particulièrement croustillantes ayant cours au ministère de l’Intérieur, dans ce cadre de réforme du permis de conduire. Une bonne partie des marchés publics (dont un, estimé à 140 millions d’euros) sont entachés de malhonnêtetés diverses.

Hash H16

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H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Mai 2014 : la France n’est pas encore en état d’urgence, même si son économie pourrait le laisser croire. Pour fêter dignement sa deuxième année au pouvoir et les résultats flamboyants qu’il accumule alors, François Hollande prend la parole et, au cours d’un discours qui, comme tous ses discours, ne laissera à peu près aucune trace dans l’Histoire, propose une réforme du permis de conduire.

Deux ans plus tard (à quelques jours près), la réforme a été lancée et, comme un dessert lacté très mou, s’est écrasée quelques mètres plus loin dans un splotch humide.

Rendons à César ce qui est à César et au pédalomane ce qui lui appartient : comme d’habitude, Hollande n’avait en réalité que médiatisé une réforme qui devait avoir lieu de toute façon, celle-ci s’inscrivant dans le cadre d’une directive européenne de 2006 pilotant le changement de format de ce permis. Et l’écrasement mouillé qui s’en suivit n’est pas le fait du petit clerc de notaire arrivé à la présidence sur un malentendu, mais bien celui, parfaitement typique, d’une situation inhérente à l’administration française dans toute sa splendeur.

Pour le moment, à l’exception de l’article de Caradisiac cité plus haut, la presse n’a que très très mollement repris l’information. Pourtant, on parle de dizaine de millions d’euros dépensés n’importe comment, de marchés publics passés dans des conditions plus que douteuses et d’un rapport assassin de la Cour des Comptes. Tous les ingrédients sont réunis pour, encore une fois, observer l’un de ces échecs épiques que seul l’État jacobin français peut se permettre avec l’argent gratuit des autres.

Jugez plutôt.

Le 25 mars dernier, la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) à la Cour des Comptes, chargée de réprimer les infractions en matière de finances publiques, révèle quelques pratiques particulièrement croustillantes ayant cours au ministère de l’Intérieur, dans ce cadre de réforme du permis de conduire. Apparemment, des millions d’euros sont effectivement partis au drain, dans la décontraction la plus totale, et une bonne partie des marchés publics (dont un, estimé à 140 millions d’euros) qui furent passés pour la refonte du système national de permis de conduire sont entachés de malhonnêtetés diverses.

De façon étrangement similaire aux précédents ratages informatiques dont l’État est maintenant coutumier, on retrouve les ingrédients d’une gabegie annoncée : une agence nationale (l’ANTS, celle des Titres sécurisés) en charge de cette réforme, un projet pharaonesque, Faeton, capable de centraliser toutes les opérations liées au permis de conduire, depuis l’inscription en auto-école jusqu’à la délivrance des titres, en passant par la gestion des points et donc des droits à conduire, projet dont le marché public aura été géré de façon alternative au point de mener les dirigeants de l’agence devant la justice, des bugs, des dérives, des atermoiements, etc…

À ce jour, et alors que les dépenses engagées par l’État pour Faeton dépassent déjà les 41 millions d’euros (ce qui représente déjà un dépassement de plus de 26% des devis établis), le système ne fonctionne toujours pas. Ce petit parfum de Louvois est décidément entêtant.

Cependant, rassurez-vous : l’argent dépensé dans ce fumiciel, s’il est bel et bien perdu pour les contribuables, les candidats au permis de conduire et leurs détenteurs, ne sera pas du tout perdu pour ceux qui participaient à sa réalisation.

On apprend en effet, parallèlement à ce projet dont la facture ne cesse d’enfler (ce n’est pas grave, c’est l’État qui paye – donc vous) que l’affaire se double d’une bonne couche de capitalisme de connivence sans lequel les petits et moins petits dérapages financiers de notre administration seraient vraiment en pure perte. Apparemment, la Cour des Comptes, en épinglant la gestion calamiteuse de Faeton, en mettant sur la touche les dirigeants de l’ANTS, ferait en réalité le jeu d’un groupe privé (composé de Morpho, filiale de Safran, et d’Atos) actuellement en charge des « Titres électroniques sécurisés » (TES) et qui risquait de voir le gros marché juteux auquel il participait se faire découper en plusieurs marchés plus petits. D’après un cadre de Morpho, ce découpage en trois lots aurait été entrepris par les dirigeants de l’ANTS pour évincer cette société du renouvellement du marché (TES2) en 2012. Du reste, Morpho ne sera pas choisie dans le nouvel appel d’offre.

Si l’on ajoute à ce tableau particulièrement confus l’information selon laquelle le cadre en question avait été précédemment chef de cabinet adjoint de Nicolas Sarkozy, à l’Élysée, ainsi que son chef de cabinet adjoint plus tôt, à Beauvau, et que le projet Faeton fut lancé alors que – justement – Sarkozy était ministre de l’Intérieur, on a bien du mal à ne pas trouver tout l’édifice particulièrement sulfureux.

Je résume : nous avons ici une contrainte légale (changer le format physique du permis de conduire) à laquelle l’État français aura du mal à échapper, à laquelle s’ajoute l’hybris naturel des politiciens (en l’espèce, Sarkozy qui en profite pour réclamer une remise à plat totale) ; l’ensemble de la manœuvre est pilotée et gérée par des organismes publics, dont l’empilement aide naturellement à disséminer l’information et les moyens financiers ; l’interface avec le privé se fait dans un cadre relativement confus, prône aux ententes amicales, terreau d’un capitalisme de connivence débridé, et ce d’autant plus que les montants sont élevés. Bien sûr, l’ensemble concerne un système informatique, domaine dans lequel l’État a, de façon systématique, prouvé son incompétence totale…

Comment, au vu de ce résumé, imaginer que l’ensemble pourrait aboutir à autre chose qu’une catastrophe financière monumentale et un système informatique rigoureusement inexploitable ?

Une autre question s’impose : au vu des sommes impliquées (plus de 40 millions d’euros d’un côté, plus de 140 millions de l’autre), et en constatant que, pour une fois, des responsables se retrouvent effectivement sur le banc des accusés, on ne peut que s’étonner de l’étourdissant silence qui entoure les révélations de cette affaire. Ou bien la presse, trop fiévreusement concernées par les Panama Papers ou trop tendrement impliquée dans de palpitants reportages animaliers sur les Dormeurs Debout de la place de la République, n’a-t-elle plus le temps de s’occuper de ce genre de dérapages tellement courants qu’ils n’étonnent plus personne… Quelque part, c’est inquiétant, non ?

On doit constater qu’une fois encore, une réforme administrative, pourtant initiée et poussée par deux présidents de la République successifs, aboutit à un fiasco phénoménal tant sur les plans opérationnel et administratif (rien ne marche) que financier (des millions ont été dépensés en pure perte).

À l’aune de ce constat, on ne peut que cauchemarder sur l’issue de l’autre réforme informatique en cours, celle du prélèvement à la source…

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