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Pourquoi il est plus compliqué de vivre en couple pour deux personnes issues de milieux sociaux différents que pour deux personnes d’origines ethniques différentes
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Selon que vous serez puissant ou misérable ...

Dans son dernier livre, The Power of the Past, la sociologue américaine Jessi Streib met en avant le rôle joué par les différences en termes d'origine sociale et d'éducation reçue au cours de l'enfance pour expliquer les tensions et divergences de vue au sein des couples.

Jessi Streib

Jessi Streib

Jessi Streib est sociologue et maître de conférences à la Duke University.

Son dernier livre est The Power of the Past : Understanding Cross-Class Marriages

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Atlantico : Dans votre dernier livre, The Power of the Past, vous démontrez que dans les couples, les conjoints qui ne viennent pas du même milieu social sont plus susceptibles de se disputer sur des sujets tels que l’éducation, la carrière, les loisirs, que ceux qui se sont issus de milieux identiques ou proches. Comment avez-vous conduit cette recherche ? Quels groupes sociaux avez-vous étudiés ?

Jessi Streib : Pour mener cette recherche, j’ai interviewé des couples au sein desquels l’un des partenaires a grandi dans une famille de col bleu et l’autre dans une famille de col blanc. Parmi les couples que j’ai pu rencontrer, dans la grande majorité des cas, les deux conjoints étaient diplômés d’une université et avaient un emploi (ou étaient parents au foyer). Il s’agit bien là de mariages interclasses car si les individus que j’ai étudiés appartiennent à la même classe sociale à l’âge adulte, ce n’était pas le cas durant leur enfance.

Quelle proportion des mariages, les mariages interclasses représentent-ils ? Comment ces derniers ont-ils évolué au cours des dernières années ?

Les mariages interclasses liés au milieu social d’origine des conjoints (c’est-à-dire la classe au sein de laquelle ils ont été élevés) sont de plus en plus communs. A l’inverse, les mariages interclasses tenant aux différences de position sociale des conjoints sont de plus en plus rares. Cela montre que l’on se soucie plus de la situation sociale et de l’éducation de notre conjoint que de l’éducation et l’occupation de ses parents. 30 à 40% des mariages aux Etats-Unis sont des mariages interclasses liés à l’origine sociale des conjoints.

Pouvez-vous expliquer pourquoi dans certaines situations ou face à des problèmes donnés, les conjoints ayant des origines sociales différentes ont tendance à s’opposer ? Quels exemples issus de la vie quotidienne illustrent ce phénomène ?

La classe au sein de laquelle un individu a été élevé ne se limite pas à l’argent qu’il avait en grandissant ou au genre de maison que ses parents pouvaient s’offrir. Le salaire, le métier et l’éducation de nos parents déterminent la façon dont nous sommes élevés et les opportunités que nous avons. Tous ces éléments façonnent l’individu que nous devenons – ce que nous pensons être, ce que nous attendons de la vie, et la façon dont nous construisons nos relations aux autres.

Par exemple, Leslie (aux origines col blanc) pleurait lorsqu’elle me confiait que son mari n’avait aucun objectif de carrière. Son mari, Tom (aux origines col bleu), était heureux en tant qu’informaticien car il gagnait suffisamment d’argent pour soutenir leur style de vie de classe moyenne. Cependant, Leslie ne comprenait pas pourquoi il ne voulait pas progresser dans sa carrière. Leslie a grandi auprès de professionnels qui associaient leur métier à leur passion, étaient reconnus socialement grâce à leur occupation professionnelle et avaient de nombreuses opportunités de monter dans l’échelle sociale. Tom, quant à lui, a grandi auprès de travailleurs col-bleu pour lesquels le travail était un moyen au service d’une fin, les activités extra-professionnelles importaient davantage dans la construction du statut social que le travail, et les promotions étaient accordées en fonction de l’ancienneté et non du mérite. Leslie luttait donc pour comprendre pourquoi Tom ne voulait pas se fixer des objectifs de carrière et associer son travail à ses passions ; Tom ne comprenait pas pourquoi Leslie n’était pas satisfaite de sa situation. Le sujet du travail était donc pour eux source de tensions, et ces désaccords étaient liés à leurs milieux d’origine.

Un autre exemple concerne Mary (aux origines col blanc) et Ben (aux origines col bleu). Mary est la fille d’un professeur. Elle a grandi en apprenant ses leçons pour les bienfaits tirés de la connaissance et ses parents avaient assez d’argent pour l’inscrire à des activités extrascolaires. Ben est le fils d’un électricien. Il a grandi en passant son temps libre à trainer avec ses amis et à s’amuser. Mary voulait inscrire leurs filles à des leçons d’allemand, mais Ben considérait qu’il s’agissait d’une perte de temps. Mary voulait que leur fille de quatre ans prenne des cours de violon mais Ben n’en voyait pas l’utilité et estimait qu’ils se fichaient que leur fille devienne musicienne professionnelle. Chacun des conjoints se référait à sa propre enfance pour décider de ce qu’ils voulaient pour leurs enfants. Comme ils ont grandi avec des ressources et des expériences différentes, ils ne sont pas arrivés aux mêmes conclusions.

Comparées aux différences culturelles ou de race, dans quelle mesure les différences de classe expliquent-elles les tensions ou incompréhensions entre conjoints ?

Les couples issus de mariages "interraciaux" sont conscients d’appartenir à des "races" différentes. Il est donc plus facile pour eux de parler de leur différence et de trouver des solutions pour gérer les situations difficiles tandis que les couples issus d’une relation interclasse ne réalisent pas forcément que du fait de leurs origines sociales, ils n’ont pas reçu la même éducation. Un grand nombre de couples que j’ai rencontrés niaient ou minoraient leurs différences de classe. Beaucoup considéraient que la classe n’était liée qu’à l’argent dont ils disposaient en grandissant, et que, depuis qu’ils partagent leurs revenus, la classe n’importe plus. Les classes sociales affectent donc les mariages d’une manière particulière dans la mesure où elles sont invisibles aux yeux des couples alors même qu’elles façonnent chaque aspect de leurs mariages.

Propos recueillis et traduits par Emilia Capitaine

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