Faut pas se mentir : si Macron bouscule la gauche, il va aussi secouer la droite<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Emmanuel Macron a créé un nouveau parti politique, "En marche !"
Emmanuel Macron a créé un nouveau parti politique, "En marche !"
©Capture d'écran Dailymotion

L'Edito de Jean-Marc Sylvestre

Les critiques pleuvent sur Emmanuel Macron, mais si les élites politiques n'ont pas d’autres réponses que de ricaner, elles vont encore se déliter davantage.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Quoi qu’on pense de l’initiative d’Emmanuel Macron, elle a déjà touché en partie son objectif : faire bouger la gauche, mais cette onde de choc va aussi secouer sévèrement la droite. Explications.

Son projet de créer un nouveau parti politique, "En marche", son positionnement, ni à droite, ni à gauche, son discours, son vocabulaire, ses attitudes, son programme, tout cela constitue un package qui n’a rien d’une plaisanterie de cabinet. 

Rien n’a été improvisé. Tout a été remarquablement préparé à partir du jour où, entrant sur la scène du théâtre politique, il s’est aperçu qu’il y prenait du plaisir et que le spectacle qu’il offrait retenait l’attention des médias et des opinions publiques de droite comme de gauche.

Il a donc commencé à écrire un programme, ou plutôt un album, avec des auteurs, des amis et des compositeurs. Il a testé certains airs familiers aux chefs d'entreprise, certains refrains de liberté, de concurrence, et puis, quand tout a été prêt, il a décidé de se lancer tout seul comme une rockstar avec une tournée qui va lui permettre de parcourir la France entière. 

Alors son point fort, c’est évidemment d’appartenir à la nouvelle génération, et de porter un discours transgressif par rapport à celui des leaders politiques traditionnels. 

Il part du diagnostic que la France est menacée par le déclin parce qu’elle n’a pas su, ou pas voulu, s'adapter aux changements du monde. 

La France a, en grande majorité, refusé d'affronter la concurrence étrangère, la mondialisation, les contraintes européennes. Et plus grave, elle s'est protégée contre les assauts du progrès technologique dans tous les domaines. 

Contrairement à d'autres pays, qui ont affronté les mutations avec succès, la France dans son ensemble a pratiqué la culture du bouc émissaire, c’est de la faute à la mondialisation, à l'Europe, à la banque centrale, la faute aux allemands aussi, ou aux américains. Sans parler des patrons voleurs ou de la finance internationale, désignée comme l’ennemi numéro 1. 

Du coup, cette France assaillie de toute part s’est recroquevillée sur des milliers de petites protections rentières et un modèle social très déresponsabilisant. 

Le résultat de tout cela, c'est qu'aujourd’hui, plus de 56% du corps électoral vit avec des revenus de redistribution ; cette grosse moitié de la France défend donc toutes les solutions qui protègent les revenus de redistribution.
Les autres Français vivent avec des revenus de production, mais une bonne moitié (28%) se protège de la concurrence avec des systèmes de protection légaux ou professionnels (cf., les taxis, les pharmaciens, les notaires, les avocats, le commerce, les agriculteurs… tous sont abrités par des tonnes de normes et de règles administratives.) 
L'autre moitié (28%) est confrontée au grand vent de la concurrence nationale et internationale. 

Alors tout le monde travaille mais ces 28% du corps électoral ont le sentiment de travailler plus que les autres. 

Le drame c'est que l'immense majorité estime à juste titre que le système court à l’échec. Voire à la catastrophe.

Emmanuel Macron et ses amis pensent qu’en bousculant un peu la société française on devrait pouvoir dynamiser son système de production et mobiliser ses atouts qui restent formidables. 

En disant cela, il apporte à tous ceux qui se découragent, qui voudraient inventer et produire mais qui ne le peuvent pas, des alternatives possibles puisque toutes les autres recettes ont échoué. 

La gauche généreuse ne peut fonctionner que s'il y a des surplus à redistribuer. Des profits. Or, il n'y a plus de surplus. Il n'y a plus de croissance. 

La droite jacobine et souverainiste n'a pas réussi à convaincre que la France seule pouvait s'en sortir. Elle a cédé à la tentation fédéraliste européenne sans aller jusqu'à en accepter les contraintes. D'où l'échec de l’Europe.

Les libéraux, eux, sincères ont été très souvent marginalisés et culpabilisés. Les libéraux, depuis Tocqueville jusqu’à Schumpeter, en passant par Maurice Allais, ou aujourd’hui Jean Tirole prix Nobel 2015, n’ont jamais eu beaucoup d’écho auprès des décideurs politiques. Ils ont, beaucoup plus d’influence dans les universités américaines et même à la Maison Blanche puisqu’un des conseillers économiques de Barack Obama est une jeune française du collège de France.

Emmanuel Macron est dans cette galaxie avec autour de lui des chefs d’entreprise comme Henry Herman, un familier de la grande distribution et contributeur important de groupes de réflexions comme la République des idées ou Terra Nova. Dans l’entourage on croise Jean Peyrelevade qui avait travaillé avec Jacques Delors, Pascal Lamy, l’ancien directeur de l'OMC, et sans doute une grande partie des jeunes patrons de startups rabattus par Marc Simoncini, le fondateur de Meetic ou Geoffroy Roux de Bézieux , le vice-président du Medef .  

Macron est bien suivi aussi par quelques députés, mais ils préfèrent encore rester discrets. Macron c’est un peu tabou au PS. Peu importe, il a la machine et les réseaux de Jacques Attali ou des économistes libéraux comme Philippe Aghion ou même Elie Cohen du CNRS. 

La semaine où Macron se lançait sur le marché, Jacques Attali sortait lui, en librairie et dans L'Express un programme de gouvernement qui donne une cohérence et un calendrier à toutes les réformes de déblocages de la société française. 

Alors une telle entreprise politique de transgression, n’est pas nouvelle. Le mal français est un pur produit du dynamisme des trente glorieuses. Le dynamisme de l’après-guerre a donné au pays des habitudes de facilités partagées, jusqu’au jour où le grain à moudre s’est fait plus rare. Pendant plus d'un demi-siècle, la démocratie française a servi à partager ce grain. La droite et la gauche ont pris chacun leur part.

Mais à toutes les époques depuis la fin des trente glorieuse, depuis les premiers chocs pétroliers (1974), on a eu des hommes (et des femmes) qui ont tiré la sonnette d’alarme en disant qu’on ne pouvait pas ne pas tenir compte des changements, on ne pouvait pas vivre à crédit sans évoluer. 

On en s’en souvient pas bien sûr, mais Alain Peyrefitte avait obtenu un succès considérable, en dénonçant "le mal français" c’était en 1976. Le journaliste français François de Closets a vendu, lui plus de 2 millions d’exemplaires d’un essai qui s’intitulait "Toujours plus"... 

Ne parlons pas de Jean-Jacques Servan-Schreiber qui en 1967, avec le défi américain annonçait le déclin français et appelait la jeunesse à se révolter, faute de pouvoir se réveiller. Le succès de Jean-Jacques Servan-Schreiber fut mondial. 

Quant à ceux qui sont allés sur la scène politique, avec un discours pro-business et pragmatique, il n’y a guère que Valery Giscard d’Estaing qui a réussi à gouverner la France. Mais il faut dire que le pays était dans la tempête pétrolière et que la classe politique était passablement éprouvée par le départ du général de Gaulle et la mort de Georges Pompidou ... Ceci dit, quand on repasse le film des responsables politiques qui n’ont pas respecté la culture de droite et de gauche, ils n'ont pas été opérationnels très longtemps : Pierre Mendès France, Jacques Chaban-Delmas, Raymond Barre, Jean-Jacques Servan Schreiber, Simone Veil, jacques Delors. Michel Rocard, Hubert Védrine, Bernard Kouchner. Leurs one-man-shows n’ont pas été programmés très longtemps. 

Tous, avec plus ou moins bonne fortune, ont essayé de travailler, ni à droite, ni à gauche. Tous ont laissé une trace à la bibliothèque des sciences politiques, mais tous ont été très rapidement laminés, épuisés par la mécanique broyeuse des partis politiques. 

Emmanuel Macron aujourd’hui est face à un enjeu identique : comment réussir à gouverner, puis à reformer un pays qui est globalement structuré en deux grandes familles politiques antagonistes presque plus pour la forme que pour le fond.  

La logique interne aux partis peut évidemment le dévorer. Cette logique à un carburant : la démocratie et le peuple.

En attendant, il a réussi son coup. Il cristallise toutes les critiques. Depuis deux jours, selon tous les responsables politiques installés et qui ont un droit à la parole médiatique, il a tous les défauts. 

Il n’a pas d’expérience de la chose politique, il est trop jeune, il n’a jamais été élu, il n'a même jamais rencontré un électeur, il ne connaît que les chiffres, les banques et les cabinets du pouvoir ... Il n ‘est pas structuré, il part dans tous les sens, il est trop organisé, trop marketing, trop fabriqué par des conseillers issus de la culture américaine, et puis ce qu’on accepte surtout pas à gauche, c’est qu’il n’a aucun respect pour les anciens, les cadres du partis, les codes, donc ça ne peut pas marcher. Ça ne marchera pas ... 

La droite n’est pas plus tendre, pas plus cohérente. A droite on lui reproche de piquer les programmes de Juppé ou de Fillon, on lui rappelle qu'il est membre d’un gouvernement de gauche, il devrait se taire ou démissionner, ce banquier égaré en politique, cette preuve vivante que François Hollande n’est pas capable de remplir ses engagements de campagne.

Bref pour la droite comme pour la gauche, ça ne peut marcher, ça ne marchera pas … 

Quel tollé !!!  Et bien, la droite comme la gauche aurait tort de prendre ce tremblement de terre politique à la légère.

La gauche est bousculée certes et il y a fort à parier que si François Hollande peut se représenter (et ça dépend essentiellement de lui) Macron lui rendra service en captant le segment libéral de ceux qui, à gauche, veulent participer à la modernisation du pays. 

La gauche est bousculée parce qu’en braquant la lumière sur le segment social-libéral, géré désormais par le couple Valls-Macron qui seront obligés de s’entendre avant de s’affronter, la gauche conservatrice, des frondeurs à Mélenchon, cette gauche-là va être obligée de travailler à un programme alternatif. Or c’est, cette gauche-là qui s’est accrochée au programme de départ qui a provoqué l'échec du quinquennat de François Hollande. Elle va devoir travailler. Martine Aubry va devoir travailler. Enfin. 

Mais à droite, les leaders vont être obligés eux aussi de se livrer au même exercice. Emmanuel Macron a beaucoup plus de succès à droite qu’à gauche. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour ces leaders.

Ce qui veut dire que l’électorat de droite ne trouve pas dans les candidats de la droite les idées et les projets qu’il attend, alors que ces projets seraient chez Macron. Il va falloir que la droite se droitise ou se mette à travailler... Ce que peu de candidats à l’exception notable de François Fillon ont fait. 

Emmanuel Macron fait donc bouger les lignes, c’est vrai. Emmanuel Macron fait avancer les idées d’un libéralisme responsable et régulé, c’est vrai, il déculpabilise tous ceux qui portaient cette expérience dans leur entreprise, c’est vrai. 

Ou bien, les hommes de droite et de gauche en tiennent compte, et ils bougent et ils réussiront à digérer Emmanuel Macron, ou bien, ils continuent de ricaner et de critiquer et ils seront débordés par leurs extrêmes. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !