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Cachez ce conservatisme que je ne saurais voir : pourquoi le plus grand tort de la droite a été d’abandonner le thème de la nation
©Reuters

Bonnes feuilles

Le conservateur, en France, est comme l’enfer : c’est l’autre, et plus encore, un autre qui suscite l’incrédulité, provoque la dérision et soulève le cœur. Autant son contraire, le progressiste, est auréolé de toutes les vertus, autant lui est suspecté de tous les vices. Pourquoi cette réduction obligée du conservatisme à un méli-mélo contradictoire de réaction politique, d’ordre moral et de libéralisme économique ? Extrait de "Vous avez dit conservateur ?" de Laetitia Strauch-Bonart éditions du Cerf 2/2

Laetitia Strauch-Bonart

Laetitia Strauch-Bonart

Essayiste, Laetitia Strauch-Bonart a publié Vous avez dit conservateur ? et Les hommes sont-ils obsolètes ?. Rédactrice en chef au Point, elle est responsable de la rubrique « Débats » et de la veille d’idées « Phébé ».

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Le lieu conservateur par excellence est le lieu politique –  la vie en communauté. Tout projet conservateur, en France, doit être d’abord politique. Mais il ne peut se contenter de la grande politique – les idées, les partis et les gouvernements  – et doit savoir être politique de façon plus large, en incluant une ambition qui touche aux institutions du pays. Or ces institutions ne sont pas seulement étatiques ou publiques. Plusieurs thèmes, de l’éducation à la famille en passant par la culture, peuvent donner lieu à des réflexions conservatrices dont la traduction peut être concrète.

Le sujet conservateur sans doute le plus incontournable, dont la droite a fait par le passé son cheval de bataille, est celui de la nation. Comme l’explique Paul Thibaud, la droite a commis l’erreur d’abandonner ce thème et n’a trouvé que le projet européen comme support de sa vision raisonnable et post-traditionaliste. Ceci a sans doute mis la droite française dans une position suicidaire. L’Europe en effet rend la vie facile à un gouvernement de droite mais il rend aussi la droite inutile pour freiner les excès démagogiques de la gauche. Et qui plus est, il l’oblige à mettre sous le boisseau la référence, essentielle, à la nation. […] On pourrait attendre que les champions de la droite changent de représentation de la nation sans la rejeter ou l’ignorer, qu’ils lui donnent la forme d’un programme et non d’un héritage. Mais il faudrait pour cela qu’ils aient non seulement un sentiment mais une pensée de la France, qu’ils réfléchissent à ce que peut produire l’histoire si originale de cette nation. […] L’Europe telle qu’on la pratique est fondée sur une erreur conceptuelle. On présuppose que pour s’unir il faut être semblables. Il ne s’agit donc pas d’agir ensemble, mais de se rapprocher dans une intégration " de plus en plus étroite ". C’est absurde. L’Europe est depuis toujours un ensemble de nations. On nous dira que cette Europe (l’Europe historique) a fait la guerre, et donc que les nations ne peuvent qu’entraîner la guerre, mais on oublie que cinq ou six grandes cultures nationales ont sur un espace très réduit, vécu côte à côte et échangé pendant des siècles sans penser à se détruire –  jusqu’à Hitler, ce représentant de l’anti-Europe. C’est une merveille ! Ce qu’a produit l’Europe, c’est une circulation culturelle et intellectuelle extraordinaire, où tous connaissent les contes et récits fondateurs des autres, où les écrivains symboliques des grandes cultures sont presque toujours tributaires d’une ou de plusieurs cultures voisines. Si c’est cela l’Europe, son uniformisation ne pourrait être que sa destruction. Sur un autre plan, la contradiction entre le projet et la mise en œuvre n’est pas moins flagrante : l’Europe est une grande ambition, mais pour l’atteindre on nous éduque à renoncer à toute ambition. Injonction contradictoire ! Quel homme de droite aura le courage d’affronter la question de l’Europe ?

Bien sûr, les critiques de l’Union européenne abondent, à droite comme à gauche, mais c’est le Front national qui en tient le flambeau politique, pas la droite modérée, celle qui devrait être conservatrice.

En revanche, l’existence de causes conservatrices explicites ne garantit en aucune façon l’existence d’un parti politique nommément conservateur et converti à ce courant. Pour Philippe Bénéton, "il […] paraît difficile, en France, qu’un parti se nomme " parti conservateur ". Je crois plus largement qu’il faudrait plaider pour un libéralisme conservateur, une attitude qui ne rejette pas l’entièreté du monde moderne mais essaie de séparer le bon grain de l’ivraie. C’est dans le cadre du libéralisme que l’on peut développer certaines vertus conservatrices ou certains principes conservateurs […]".

Pour Philippe Raynaud, le projet semble tout aussi impossible, l’idée que l’on va reconstruire la politique autour d’un tel axe étant "une véritable chimère […] parce que les affects conservateurs sont présents à droite dans deux familles politiques qu’il est très difficile d’accorder. […] Vous trouvez des affects conservateurs chez les souverainistes […] ; vous en trouverez aussi chez des européistes traditionnels, c’est-à-dire des personnes qui croient encore au projet de Robert Schuman et de Jean Monnet d’une Europe atlantique à base culturelle chrétienne, qui exclurait la Turquie. Simplement l’une de ces familles est étatiste, l’autre libérale, et surtout elles ne peuvent s’accorder sur leurs fondamentaux de politique étrangère. […]. Je pense donc que l’unification de ces familles n’est pas possible."

La constitution du RPR puis de l’UMP répondait bien à cette ambition de réunir les uns et les autres. Ce grand parti de droite existe bel et bien, mais il ne réunit pas l’entièreté des libéraux, ni celle des conservateurs. Le succès du FN en est la preuve, puisque ce parti a réussi à capter des électeurs modérés mais dont l’attachement envers la nation ne trouve pas satisfaction dans la droite gaulliste. Inversement, le Parti conservateur britannique a toujours réussi à mettre d’accord, non sans remous, les deux familles de la droite, libérale et conservatrice.

Si l’on était moins ambitieux, on se contenterait d’espérer qu’un jour les hommes politiques de droite se convertissent à quelques thèmes conservateurs. Comme le fait remarquer Philippe Raynaud, ils sont " anticonservateurs et un petit peu poujadistes ; je crois que s’ils apprenaient à faire l’inverse cela irait beaucoup mieux".  Pour ce faire, "ce qui me paraît important, poursuit Raynaud, c’est un travail intellectuel pour expliquer discrètement aux hommes politiques qu’il ne faut pas heurter les sensibilités conservatrices et qu’il faut traiter les gens avec délicatesse. […] Dans la droite française par exemple, on observe un mépris direct de ces sensibilités, considérées comme des passions de beaufs sans intérêt."

Mais il faudrait aussi " que les courants de droite osent […] parler par eux-mêmes et pas seulement avec les mots de la gauche, en répétant ce que la gauche permet de dire ", ajoute Chantal Delsol.

Extrait de Vous avez dit conservateur ? de Laetitia Strauch-Bonart, publié aux éditions du Cerf, mars 2016. Pour acheter ce livre cliquez ici

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