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Pourquoi Jean-Marc Ayrault ne sera pas en mesure de rééquilibrer le rapport de force avec l'Allemagne sur la diplomatie européenne
©DR

Nouveau signe d'allégeance

La nomination d'Ayrault pourrait signifier que Hollande ce concentrera un peu plus sur l'Europe, qu'il "collera" un peu plus à l'Allemagne. Mais cela n'est pas forcément de bon augure : au prix de quelles nouvelles concessions se fera ce rapprochement ?

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Jean-Marc Ayrault saura-t-il rééquilibrer le rapport de force avec l'Allemagne sur la diplomatie européenne ? Je ne le crois pas. Le fait qu'il sache parler l'allemand ne signifie pas a priori qu'il pèsera davantage dans les affaires européennes. Le fait d'être tenu pour germanophile ne veut pas dire qu'il sera mieux armé dans les négociations avec l'Allemagne. On peut y voir au contraire de la part de la France un nouveau signe d'allégeance, comme si notre ministre des Affaires étrangères devait être bien vu à Berlin. En matière diplomatique, il vaut mieux parfois, pour traiter certaines affaires, nommer un faucon qu'une colombe. On ne négocie pas toujours par la gentillesse et la proximité : quand on n'est pas capable se s'opposer à un partenaire, s'en rapprocher, c'est courir le risque d'être phagocyté.

Cela ne veut pas dire que la relation franco-allemande ne pourrait  pas évoluer : l'affaiblissement politique d'Angela Merkel dans son pays et sur la scène internationale du fait  de sa politique complètement irresponsable à l'égard des migrants, dont les autres pays d'Europe ne veulent pas partager le poids, pourrait modifier la donne.

La nomination d'Ayrault pourrait signifier que Hollande ce concentrera un peu plus sur l'Europe, qu'il "collera" un peu plus à l'Allemagne. Ayrault avait d'ailleurs été chargé en janvier d'une mission de réflexion pour une meilleure coordination avec l'Allemagne. Merkel et lui sont en graves difficultés chez eux, ils pourraient à travers Ayrault s'épauler l'un l'autre. Mais cela n'est pas forcément de bon augure : au prix de quelles nouvelles concessions se fera ce rapprochement ? 

Cela ne veut pas dire que Jean-Marc Ayrault n'a pas d'atouts.

En  succédant à Laurent Fabius, il ne pourra pas faire pire. Avant de quitter le Quai d'Orsay (où il garde d'ailleurs la COP 21 et, semble-t-il, d'autres attributions), ce dernier s'est encore fendu d'une nouvelle tirade contre Bachar el Assad renouvelant l'accusation obsessionnelle dont aujourd'hui tout le monde sait qu'elle est complètement fausse, d'avoir employé des  armes chimiques "contre son propre peuple". Quel besoin de revenir là dessus le jour de son départ, sinon parce que la Syrie est son grand échec ? Echec et bien pire parce que l'attitude de la France a contribué à allumer et entretenir un conflit qui a fait des centaines de milliers de morts et des  millions  de déplacés.

Même s'il ne connait sans doute pas à fond la question, Ayrault abordera le Proche-Orient sans préjugés. On peut même espérer que , en tant que breton , ancien du Mouvement des jeunesses rurales chrétiennes, il fera preuve de moins de cynisme que Fabius vis à vis des Chrétiens d'Orient et aura donc une position plus équilibrée entre ceux qui les protègent (notamment Assad) et ceux qui les exterminent, comme Daech mais aussi les autres mouvements islamistes que nous avons si longtemps appuyés. C'est d'ailleurs amusant de voir les deux grandes fonctions internationales, la défense et les affaires étrangères tenues par deux Bretons, Le Drian et Ayrault.

Ayrault est en outre  un homme chaleureux et en matière de relations diplomatiques , ça compte plus qu'on ne le croit. 

Enfin c'est un homme équilibré, ce n'est pas comme on dit, du moins je pense,  un "tordu". Il pourrait remettre sur les rails un Quai d'Orsay complètement désorienté par une politique purement idéologique aux partis pris hystériques, à l'opposé de toutes les traditions de cette maison.

Aura-t-il cependant le poids nécessaire pour peser sur la scène internationale ? Il est difficile de l'assurer.

Mais je ne suis pas sûr qu'en le nommant, Hollande veuille entreprendre   de grandes manoeuvres diplomatiques, au contraire.

Il l'a nommé d'abord parce qu'il n'avait pas le choix. Dans une classe politique de plus en plus à ras de terre, prisonnière de préoccupations électorales immédiates, les gens compétents en matière diplomatique se font rares. On a parlé d'Elisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères, mais elle est, dit-on, encore plus idéologue que Fabius. On a parlé de Ségolène Royal qui avait beaucoup de qualités pour représenter la France avec panache mais les étrangers auraient sans doute jasé en voyant le couple Hollande-Royal reconstitué se balader à travers le monde.

Je ne sais si Jean-Marc Ayrault s'intéresse vraiment aux affaires du monde en dehors de l'Allemagne et de l'Europe. Mais ce n'est pas un dilettante et c'est un calme ; il sera un partenaire loyal pour Hollande. Et peut-être écoutera-t-il un peu plus que ses trois prédécesseurs les diplomates de métier, tous les diplomates, pas seulement les idéologues néo-cons labellisés par Washington.

Dans la dernière ligne droite avant les présidentielles, Hollande ne veut pas d'histoires  en matière diplomatique. Quelque part, il veut se replier  sur les affaires européennes. Je note au passage qu'il pourra aussi parler allemand avec Poutine. Il veut l'appui de l'Allemagne pour sa réélection. Il a trouvé en Ayrault un homme qui gérera la diplomatie avec bon sens, rondeur, sans imagination probablement, mais aussi sans excentricités.  

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