19 trillions de dollars : le montant astronomique de la dette américaine. Mais qui s’en soucie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Après le caucus dans l'Iowa, le sénateur américain Rand Paul s'est retiré de la primaire républicaine. Ce désistement a paradoxalement mis en lumière son principal axe de campagne : l'augmentation alarmante de la dette des États-Unis.
Après le caucus dans l'Iowa, le sénateur américain Rand Paul s'est retiré de la primaire républicaine. Ce désistement a paradoxalement mis en lumière son principal axe de campagne : l'augmentation alarmante de la dette des États-Unis.
©Reuters

Qui dit mieux ?

Le désistement du sénateur américain Rand Paul de la primaire républicaine a paradoxalement mis en lumière son principal axe de campagne : l'augmentation alarmante de la dette des États-Unis. Une situation qui ne préoccupe pas tant que cela les Américains, mais qui n'en demeure pas moins inquiétante.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Rand Paul, le sénateur "libertarien" du Kentucky a mis un terme à sa campagne présidentielle. Il est la seconde victime du "caucus" de l’Iowa, après Mike Huckabee, l’ex-gouverneur de l’Arkansas, qui avait jeté l’éponge dès lundi soir. Ironie de l’histoire, le jour même du caucus, le 1er février, la dette nationale des Etats-Unis a dépassé le cap symbolique de 19 mille milliards de dollars, ou 19 "trillions" de dollars, comme disent les Américains. Soit le chiffre 19 suivi de douze zéros. Or, Rand Paul avait articulé sa campagne autour de la menace que cette dette représente pour l’avenir des Etats-Unis. Une menace, à ses yeux, plus dangereuse que celle de l’Etat Islamique. Mais tel un monstre auquel on s’est habitué, à force de le voir sortir du placard, la dette semble n’effrayer plus grand monde, aujourd’hui, ni aux Etats-Unis, ni ailleurs.

Alors, faux problème ou aveuglement collectif ?

En apparence, la dette nationale est un sujet important de la campagne présidentielle aux Etats-Unis. Au moins parmi les candidats républicains qui y vont régulièrement de leur petite phrase choc. "Il faut agir tout de suite, nous avons une dette de 19 trillions de dollars qui ne cesse d’augmenter" dit Marco Rubio. "La dette et les déficits engendrés par Washington hypothèquent l’avenir de l ‘Amérique", renchérit Chris Christie. "Je ne veux pas que mes cinq petits-fils vivent dans les ruines de ce qui fut un grand pays, il faut nous sortir de ce pétrin", se lamentait Mike Huckabee. "Je suis entré en politique parce que cette dette est inquiétante… Chaque minute qui passe, nous empruntons un million de dollars supplémentaire. Il faut savoir dire stop, je vais y employer toute mon énergie", disait de son côté Rand Paul.

Il est arrivé cinquième du caucus de l’Iowa avec 4,5% des voix. Dans les sondages nationaux, il se traînait à la onzième place avec moins de 3% des intentions de vote. Sa participation au prochain débat était incertaine car seuls les dix premiers candidats des sondages sont invités à y participer. Paul a donc préféré jeter l’éponge et se concentrer sur son siège de sénateur du Kentucky, qu’il devra défendre à l’automne. C’était le seul de tous les candidats républicains à insister sur l’urgence de la dette. L’électorat ne l’a pas suivi.

Pourtant, le problème de la dette est bien là.

Le 1er février, la dette américaine a passé le cap des dix-neuf mille milliards de dollars. Mais la nouvelle est passée presque inaperçue. Pourtant, cela représente une dette de 58 000 dollars pour chaque Américain, du premier au dernier né ! Les seuls intérêts de cette dette se montent à 430 milliards de dollars chaque année. Ils constituent le premier poste budgétaire après la Défense. Un poste qui pourrait exploser si les taux d’intérêts venaient à augmenter. Alors que le gouvernement américain est déjà contraint d’emprunter pour payer ces intérêts…

Le cap des dix-huit mille milliards de dollars avait été atteint en décembre 2014. Il a fallu à peine plus de treize mois pour que la dette augmente d’un nouveau "trillion" de dollars. En comparaison, il avait fallu plus de deux siècles pour que les Etats-Unis accumulent le premier "trillion" de dette. C’était en 1981, sous la présidence de Ronald Reagan, 205 ans précisément après la déclaration d’indépendance !

Cette barre symbolique du "trillion", avait alors fait couler beaucoup d’encre. Il fallait limiter les déficits et réduire les dépenses gouvernementales pour contenir la dette. Il avait même été question de passer un amendement à la Constitution pour contraindre le gouvernement fédéral à présenter un budget en équilibre. Et puis, avec la croissance des années 1980, la question avait été remisée.

En 1992, Ross Perot, un milliardaire texan, l’avait relancé, en faisant de la dette l’axe central de sa candidature indépendante à la Maison Blanche. Entre-temps, son montant avait quadruplé. Mais elle n’était encore qu’à quatre "trillions" de dollars. Perot avait été battu et Bill Clinton élu. Propulsé par l’émergence d’Internet, le pays s’était lancé dans une croissance économique effrénée. Cet afflux de capitaux avait permis au dernier budget de Bill Clinton d’être équilibré. Et la question de la dette avait semblé résolue. Sans effort. Il n’en était rien, elle continuait de grandir, dans l’ombre.

Dans les années 2000, l’administration Bush et le Congrès avaient laissé filer les déficits, au nom de la guerre contre le terrorisme. De sorte qu’à l’entrée de Barack Obama à la Maison Blanche en janvier 2009, la dette nationale américaine venait de franchir la barre symbolique des dix mille milliards.

Elle a quasiment doublé depuis. En huit années de présidence de Barack Obama, de 2009 à 2016, les Etats-Unis auront donc accumulé une dette plus importante que durant leur 230 années d’histoire jusque-là, de 1776 à 2008. Le cap des vingt mille milliards sera sans doute atteint avant la fin du mandat de Barack Obama. Car au rythme actuel, le gouvernement américain dépense, toutes les heures, cent millions de dollars de plus qu’il n’encaisse. Et il n’y a aucun mécanisme pour stopper ses dépenses.

En effet, les particularités de la législation américaine font que le gouvernement fédéral peut actuellement emprunter sans limite. Le "plafond de la dette", une limite imposée par le Congrès, concernant le niveau d’endettement du pays, est actuellement "suspendu". Le dernier plafond a été atteint en novembre 2015 et les élus du Congrès – où les Républicains sont majoritaires – se sont retrouvés devant le choix de maintenir ce plafond, donc de priver le gouvernement de sa capacité à emprunter de l’argent et forcer l’arrêt de certains services par manque de financement, ce que les Américains appellent un "government shut down" ; ou bien de suspendre temporairement ce plafond, en attendant d’en fixer un nouveau, afin de permettre à l’ensemble des services du gouvernement de fonctionner. Ils ont choisi la deuxième solution. Sauf Rand Paul. Dans une manœuvre "donquichottesque", celui-ci tenta un "filibuster". C’est un artifice législatif par lequel un élu prend la parole et la garde aussi longtemps qu’il peut, pour empêcher le vote de la loi en discussion. Personne ne peut lui prendre cette parole tant qu’il l’utilise. Quoiqu’il dise ! Si cet élu pouvait parler éternellement, il aurait le pouvoir de repousser éternellement le vote d’un texte ; et toute autre action du Congrès. Ce n’est pas le cas. Le filibuster de Rand Paul dura vingt et une heures, au bout desquelles il abandonna son droit de parole, épuisé. On procéda au vote et le plafond de la dette fut suspendu à une simple majorité.

Où va l’argent de la dette ? Pas à la guerre ! Mais aux dépenses sociales. Selon le Congressional Budget Office (CBO), l’augmentation de la dette est pour 83% due aux dépenses liées à Medicare (l’assurance santé fédérale des plus de 65 ans), Medicaid (l’assurance santé des défavorisés), Obamacare (l’assurance santé universelle mise en place sous Obama) et au paiement des retraites (que les Américains appellent "social security"). Sans réforme de ces systèmes, la dette va inévitablement progresser. Selon le CBO, elle dépassera vingt-cinq "trillions" de dollars avant 2020 et pourrait atteindre trente trillions d’ici 2024 !

La dette américaine est due pour 34% à des "investisseurs internationaux", ce qui inclut des gouvernements étrangers. Les deux principaux Etats détenteurs de dette américaine sont la Chine et le Japon, avec près de mille cinq cent milliards chacun. Viennent ensuite les pays de l’OPEC. La France est au modeste 17e rang des créanciers de l’Amérique, entre le Mexique et la Turquie…

41% de la dette sont dus à des institutions américaines, qu’il s’agisse de la Réserve Fédérale, 1er banque du pays (13%), des Etats (13%), ou du public et des banques privées (15%). La menace qui pèse sur ces créanciers et l’ensemble du monde, c’est qu’un jour le gouvernement ne soit plus en mesure de remplir ses obligations et se retrouve en défaut de paiement. Peu probable, mais possible. Il est d’ores et déjà acquis pour beaucoup d’observateurs que les Etats-Unis ne rembourseront jamais l’ensemble du principal de leur dette ! Mais un défaut de paiement précipiterait une hausse des taux d’intérêts à travers le monde et une panique financière aux conséquences incalculables…

Ce qui n’empêche pas certains économistes de sourire devant ces scénarios. Ed Nolan a récemment publié sur le site de l’econo-monitor une tribune intitulée "La dette n’est pas un problème" (Don’t sweat the debt !). Son argument est construit autour de deux points : un, la dette n’est pas aussi lourde qu’il y paraît car près du tiers consiste en des créances du gouvernement américain à lui-même, via des prêts entre agences fédérales ; deux, le ratio de la dette ramené au PIB américain baisse. Si l’on exclut la partie de la dette qui est intergouvernementale, ce ratio est à 74% aujourd’hui, en très léger recul sur un an. Si l’ensemble de la dette est pris en considération, ce ratio est de 103%. En-deçà du record de 121% atteint en 1946. Mais le pays sortait alors de cinq années de guerre… Toutefois, ce ratio est considéré comme gérable, car l’économie croît actuellement plus rapidement que la dette. Le poids relatif de celle-ci est donc moindre aujourd’hui qu’il ne l’était hier et ne le sera demain. "Notre conclusion est que la politique fiscale actuelle est suffisante pour que la dette se réduise progressivement" écrit Nolan.

Si les choses continuent d’aller dans le même sens, oui. Mais rien ne peut le garantir.

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