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Les ultra orthodoxes radicalisés peuvent-ils faire vaciller 
la société israélienne ?
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Drôles d'indignés...

La société israélienne a été choquée par l'agression d'une fillette de huit ans par des ultra orthodoxes. Les violences seraient pourtant plus le fait d'une minorité radicalisée que d'une majorité ultra religieuse qui composerait de plus en plus avec la société sioniste.

Jean-Yves Camus

Jean-Yves Camus

Chercheur associé à l'Iris, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalismes européens et de l'extrême-droite. Il est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et senior fellow au Centre for the Analysis of the Radical Right (CARR)

Il a notamment co-publié Les droites extrêmes en Europe (2015, éditions du Seuil).

 

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Atlantico : A Beit Shemesh, une fillette de huit ans a été prise à parti par des juifs ultra-orthodoxes. Le reste de la population manifeste depuis son hostilité contre les plus religieux les plus rigoristes. Est-ce le début d’une rupture au sein des Israéliens ?

Jean-Yves Camus : La société israélienne est divisée sur cette question depuis longtemps. Lorsque l’Etat s’est créé, il a fallu arriver à une position de compromis entre la majorité laïque des citoyens et la population orthodoxe. Cet accord est bancal. Il n’y a pas de Constitution. Le monde orthodoxe bénéficie de privilèges comme les exemptions de service militaire pour les étudiants, les subventions au monde religieux ou encore l’importante place du rabbinat. En vérité, deux mondes coexistent chacun de leur côté en Israël.

Ceux que l’on appelle les ultra-orthodoxes ne sont pas idéologiquement sionistes. Cela ne veut pas dire qu’ils souhaitent la destruction de l’Etat. Cela signifie que, même s’ils vivent sur le territoire d’Israël, ils ne se sentent pas particulièrement concernés par la vie de la population sioniste et de son idéologie laïque. Cette réalité est évidente lorsque vous vous rendez à Tel Aviv par exemple : la ville est parfaitement laïque mais, à quelques kilomètres de là, à Bnei Brak, vous vous retrouvez dans une banlieue très religieuse qui relève d’un univers totalement différent.

A Jérusalem, à cause de la pression démographique, des ultraorthodoxes qui étaient jusque-là regroupés dans certains quartiers ont dû trouver de nouveaux territoires. Il a fallu aller ailleurs. Certains groupes ont rejoint d’autres quartiers. D’autres sont partis en banlieue comme à Beit Shemesh où a eu lieu cet incident. Le caractère religieux marqué de cette dernière ville est de plus en plus visible. Il y a eu un afflux de populations religieuses qui sont venues là parce qu’il y avait de la place. Il y a au quotidien une cohabitation entre des modes de vie radicalement opposés.

L’erreur que font beaucoup de médias dans leur analyse de cet incident, c’est qu’il y a au sein de la population orthodoxe une petite minorité qui multiplie les dérives depuis des mois. Ils ne sont cautionnés par aucune autorité religieuse. Ces gens ont un comportement de voyou et font un usage régulier de la violence. Nous avons ici le cas de violences perpétrées envers une jeune fille qui n’est d’ailleurs même pas une laïque. Elle appartient au monde sioniste religieux, des gens qui ressemblent aux juifs que l’on peut voir en France et qui allient parfaitement religiosité et modernité.

Qui sont les radicaux qui ont attaqué cette fillette ?

Cette minorité attaque aussi bien les laïques que les sionistes religieux. Régulièrement, ils affrontent les forces de l’ordre. Ils refusent toute possibilité de coexistence avec une population dont ils remettent en cause la judéité dès lors qu’ils n’ont pas le même mode de vie qu’eux. Cette petite minorité extrêmement vociférante et militante s’est rendu très visible. C’est la frange la plus radicale et la plus mal élevée du monde orthodoxe. Ils ne représentent absolument pas le monde orthodoxe dans son ensemble.

On remarque malgré tout des attitudes rigoristes dans tout le pays comme des bus ou des trottoirs réservés aux hommes ou aux femmes. En Israël, il existe toujours des différences traditionnelles entre les hommes et les femmes, sans qu’il s’agisse d’une inégalité. Au sein des ultra-orthodoxes, la coutume veut que l’homme se consacre à plein temps à l’étude et la femme au foyer et à l’éducation. Malgré les bourses qui leurs sont attribuées, cette population est plutôt dans la frange pauvre de la société israélienne. Nécessité faisant force de loi, un certain nombre de rabbins orthodoxes acceptent le travail des femmes. Reste une frange d’irréductibles qui rejette toute forme d’évolution.

Le pouvoir semble avoir des difficultés à contrôler les éléments les plus radicaux de la population orthodoxe. Comment réagit le reste des Israéliens ?

Les ultra-orthodoxes manifestent régulièrement pour des raisons récurrentes. Lors de projets de constructions sur d’anciens cimetières par exemple. Ils s’opposent ainsi régulièrement aux sites archéologiques. Mais malgré ces mouvements, nous n’avons encore jamais vu d’intifada des ultra-orthodoxes malgré un fantasme régulièrement évoqué dans les médias. C’est un souci qui découle directement de cette fraction radicalisée qui échappe effectivement à toute forme de contrôle. Ils rejettent d’ailleurs toute forme d’Etat : ils n’acceptent pas les allocations, les logements sociaux ou même les cartes téléphoniques de la compagnie nationale.

La majorité du monde ultra-orthodoxe, même si elle est opposée à l’idéologie sioniste, a appris à composer avec l’Etat et ses institutions. Les laïcs estiment d’ailleurs qu’elle l’a trop bien fait : grâce à un système de représentation à la proportionnelle quasi intégrale, les partis ultra religieux  détiennent à la Knesset [NDLR : le Parlement israélien] le nombre de sièges nécessaire pour être l’appoint indispensable à toute coalition gouvernementale. C’est le cas aussi bien à droite qu’à gauche qui doivent composer avec les pressions exercées sur certains sujets par les ultra orthodoxes. 

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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