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Hausse de la taxe foncière et coupes dans le RSA… Ces départements qui reviennent sur leurs promesses plutôt que de revenir sur leurs frais de fonctionnement
©Aidemoi.net

Asphyxie volontaire

Dans son programme de 50 milliards d'euros de baisse des dépenses publiques, le chef de l'Etat a prévu de tailler de 11 milliards en trois ans dans ses dotations aux collectivités locales. Quatre conseils départementaux d'Ile-de-France (LR) viennent d’annoncer qu’ils s’apprêtent à prendre des mesures d'économies pour faire face aux coupes budgétaires.

Agnès  Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié est directrice de la Fondation IFRAP(Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques).

Son dernier ouvrage est "Ce que doit faire le (prochain) président", paru aux éditions Albin Michel en janvier 2017.

 

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Atlantico : Selon quatre conseils départementaux d’Île-de-France, les réductions de dotation de l'Etat les condamneraient à augmenter la fiscalité locale. Les difficultés sont-elles réelles au niveau local ou bien s'agit-il d'une complainte de localités ayant été trop souples concernant leurs dépenses ?

Agnès Verdier Molinié : Les quatre départements en question ne sont pas forcément les moins bien gérés. En Île-de-France, ils sont même en-dessous des montants de dépenses par habitant par rapport aux Hauts-deSeine, à la Seine-Saint-Denis et au Val-de-Marne. Les dépenses totales par habitant sont par exemple de 803 euros dans les Yvelines quand elles sont de 1299 euros en Seine-Saint-Denis… Par ailleurs, ces quatre départements reçoivent moins de péréquation et de Dotation Globale de Fonctionnement que le 93 et le 94… En Seine-Saint-Denis, la péréquation entre collectivités est de plus de 93 millions d’euros par an et la DGF de 280, alors qu'en Essonne, la DGF est de 158 et la péréquation de 26 millions.

Quand on regarde les montants de taxe foncière perçus par habitant, c’est aussi édifiant. La strate est à 188 euros par habitant. Les Yvelines ont le montant de taxe foncière le plus faible par habitant avec 132 euros. Le Val d’Oise est à 178 euros, quand l’Essonne est à 195 et la Seine-et-Marne à 198 euros. Mais ce n’est encore rien par rapport aux départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne qui explosent tous les scores avec respectivement 230 et 207 euros par habitant. 

Certes, ces départements pourraient réaliser des économies sur le fonctionnement courant s’ils s’alignaient sur le département le moins dépensier de la strate des départements de plus d’un million d’habitants (en l’occurrence, les Yvelines). L’Essonne pourrait économiser ainsi 220 millions par an sur ses dépenses de fonctionnement, le Val-d’Oise 129 millions et la Seine-et-Marne 179 millions. Là encore, rien à côté de ce que pourraient économiser les Hauts-de-Seine (361 millions), le Val-de-Marne (399 millions) et la Seine-Saint-Denis (770 millions). En matière de dépenses de personnel, l’Essonne et la Seine-et-Marne pourraient économiser environ 50 millions d’euros par an. 

On sait d’ailleurs par exemple que le temps de travail des agents de Seine-et-Marne est largement inférieur aux 35 heures annualisées (1550 heures au lieu des 1607 heures) et que l’absentéisme y est important (26 jours par an et par agent). Mais c’est toujours moins grave qu’en Seine-Saint-Denis où le temps de travail est encore inférieur et l’absentéisme de plus de 29 jours par an et par agent… Et les économies potentielles sur les dépenses de personnel de 180 millions d’euros par an (comme dans le Val-de-Marne).

Ces élus dénoncent "l’asphyxie budgétaire" orchestrée selon eux par le Gouvernement, mais n’est-ce pas une manière de se dédouaner en rejetant sur l’Etat leur incapacité à maîtriser leur dépenses et à faire les réformes nécessaires ?

Autrement dit, est-ce la faute de l’Etat ou bien celle des collectivités territoriales, qui n’ont pas voulu réduire leur train de vie et dont la gestion dépensière a été épinglée par la Cour des comptes ? Quatre départements de la grande couronne en Île-de-France (Yvelines, Seine-et-Marne, Essonne et Val-d’Oise) retiennent l’attention car ils annoncent de fortes hausses de la fiscalité locale pour financer le RSA. 

  • En Seine-et-Marne, le taux de la part départementale de la taxe foncière passera de 15,70 à 18%. Soit en moyenne une hausse de 50 euros par contribuable assujetti dans ce département.

  • Dans les Yvelines, le taux de la part départementale de la taxe foncière passera de 7,58 à 12,58%. Soit en moyenne une hausse de 125 euros par contribuable assujetti dans ce département.

  • Dans l'Essonne, le taux de la part départementale de la taxe foncière passera de 12,69 à 16,37%. Soit en moyenne une hausse de 90 euros par contribuable assujetti dans ce département.

  • Dans le Val-d'Oise, le taux de la part départementale de la taxe foncière passera de 13,25 à 17,18%. Soit en moyenne une hausse de 75 euros par contribuable assujetti dans ce département.

En Île-de-France, le nombre d’allocataires du RSA a augmenté depuis 2009 de plus de 26%, passant de 320 273 à 412 033. Rien qu’entre 2013 et 2014, cette augmentation dans la région est de plus de 6%. Mais certains départements voient le nombre d’allocataires augmenter encore plus sur un an : +9,5% en Essonne, +8,2% en Seine-et-Marne, + 7,9% dans le Val-d’Oise… La situation que traversent les départements sur le financement du RSA est très grave. Et le problème va beaucoup plus loin qu’une simple "guéguerre" de financement entre l’Etat et les départements. 

Le RSA (et les minima sociaux avec) est tout simplement devenu non finançable dans sa forme actuelle. Nos gouvernements successifs ont créé des aides sociales (RSA, APA, AAH…)  qui ne sont pas finançables, que ce soit par l’Etat ou par les départements. Les concepteurs (les gouvernements Sarkozy et Ayrault) de ces fameux grands plans successifs contre la pauvreté qui ont augmenté mécaniquement le RSA n’ont rien prévu pour leur financement. A aucun moment non plus, ils n’ont anticipé l’explosion du nombre d’allocataires. En cinq ans, le nombre d’allocataires a augmenté, lui, de 44% passant de 1,6 million en 2009 à 2,1 millions en métropole. Tandis que depuis 2001, le montant du RSA a augmenté de 28%. Et son coût budgétaire ces dernières années est passé de 6,5 milliards d’euros en 2009 à 9,3 milliards en 2014 (hors dépenses de personnels et coûts d’allocation, sinon le montant grimpe à 9,7 milliards). 

En 2014, les dépenses de RSA se sont élevées à 9,7 milliards d'euros. Ces dépenses ont été compensées par l'Etat à hauteur de 6,4 milliards d'euros, soit un reste à charge de 3,3 milliards d'euros pour les départements. En 2015, le reste à charge devrait atteindre 4 milliards d'euros. Même si tous nos départements faisaient l’effort de réduire leurs dépenses de fonctionnement en s’alignant sur les mieux gérés, les 3 milliards d’économies dégagées n’y suffiraient pas… 

Les problèmes de financement du RSA sont connus, pourtant. En septembre 2015, le RSA a été augmenté de 2%, passant de 513,88 à 524,16 € pour un célibataire sans revenus, augmentant donc de 10,28 €/mois. Pour un couple sans enfant et sans ressources, le montant sera de 786,24€, soit 15,42€ de plus mensuellement. Au premier janvier 2015, cette allocation a également été augmentée de 0,9% pour être alignée sur l'inflation. Ces augmentations sont appliquées conformément au Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté de 2013, et suite aux doubles augmentations des années 2013, 2014, et 2015 le montant du RSA socle aura donc progressé de 49,23 euros, soit  +10,4%.

Ces revalorisations successives sont annoncées par le ministère des Affaires sociales dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté lancé en janvier 2013 qui avait décidé d'augmenter ce revenu minimum pour personnes sans ressources de 10% sur cinq ans, en plus de l'inflation. Tout cela est décidé à chaque fois par décret. De surcroît, depuis la loi de 2010, les jeunes entre 18 et 25 ans qui ont travaillé au moins deux ans dans les trois dernières années sont désormais intégrés au dispositif, ce qui contribue à accroître "par le bas" les effectifs des bénéficiaires de plein droit. 

Les impacts observés sur les réductions des dépenses d'investissement  ne vont ils pas nuire à la politique des collectivités sur le long terme ? Existe-t-il un risque de désorganisation des services qui aurait un résultat contre-productif par rapport aux objectifs ?

D’après les chiffres cités plus haut, force est de constater :  

  • que les départements les moins bien gérés sont aussi ceux qui ont les dotations globales de fonctionnement les plus importantes et la péréquation la plus importante, tout en ayant aussi les taux de taxe foncière les plus élevés 

  • que les gouvernements qui ont décidé de grands plans pauvreté n’ont prévu en face aucun financement suffisamment dynamique pour en absorber les surcoûts, ni aucun mécanisme obligeant à la bonne gestion et permettant aux collectivités de dégager des marges de manœuvre nécessaires

  • que le RSA tel qu’il est calibré avec l’explosion du chômage n’est pas finançable et qu’il faudrait en réalité en baisser son montant nominal mensuel afin de le rendre soutenable, que son financeur soit l’Etat ou le département. Ce qui est compliqué dans la mesure où il s’analyse à une dépense de guichet dont les bénéficiaires sont de droit (il s’agit d’ailleurs d’une dépense obligatoire des départements), et dont le nombre est relativement imprévisible

  • que la logique voudrait que l’on revienne sur ce sujet des minimas sociaux (les départements financent aussi l’aide sociale à l’enfance, le grand âge et le handicap) avec une vraie logique de décentralisation, plus que de subsidiarité, ce qui supposerait une décentralisation des taux pour une réelle cohérence de financement sur l’ensemble du territoire.

  • qu’il faudrait avant tout récompenser les bons gestionnaires qui taxent moins et dépensent moins en frais de fonctionnement et en dépenses de personnel plutôt que les mauvais qui taxent lourdement et dépensent sans compter (on fait l’inverse aujourd’hui), ce qui devrait aboutir à une limitation de la logique de péréquation (péréquation dégressive).

  • que la logique sous-jacente du Gouvernement est relativement cynique et consiste à dire que les départements qui ont des difficultés pour financer le RSA et ne sont pas au taquet de la pression fiscale n’ont qu’à augmenter la pression fiscale sur les ménages qui sont propriétaires pour le financer.

Les habitants qui ont donc choisi en s’installant dans le Val-d’Oise ou dans les Yvelines d’avoir une fiscalité locale plutôt faible sont donc piégés tout comme le sont les gestionnaires locaux, prisonniers d’une dépense obligatoire dont ils ne votent pas la revalorisation (décision de l’exécutif national) et dont ils ne connaissent pas précisément le nombre de bénéficiaires.

Il n’y a plus que deux solutions possibles :

  • soit donner de l’autonomie et permettre aux départements de décider du montant du RSA local qu’ils peuvent financer et arrêter tout de suite cette logique d’augmentation discrétionnaire centralisée par décret, qui ouvre la porte aux démarches les plus électoralistes. 

  • soit sortir du département la gestion des aides sociales, les regrouper, les plafonner, les financer intégralement par l’Etat avec le vote au Parlement d’une enveloppe fermée pluriannuelle maximum pour les minimas sociaux à répartir entre les bénéficiaires (ceci dans une logique de frein à l’endettement)

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