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Pourquoi Thomas Piketty se trompe dans son analyse de la tragédie économique européenne
©Reuters

Erreur d'analyse

Dans un article publié le 8 janvier, Thomas Piketty accuse l'Europe, au contraire des Etats-Unis, d'avoir pratiqué une politique budgétaire trop stricte, qui aurait empêché le retour de la croissance. Une analyse peu satisfaisante selon Alexandre Delaigue.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Dans un article publié le 8 janvier, Thomas Piketty accuse l'Europe, au contraire des Etats-Unis, d'avoir pratiqué une politique budgétaire trop stricte, qui aurait empêché le retour de la croissance. Pourtant selon les données fournies par le FMI, la politique budgétaire américaine aurait été plus restrictive encore qu'en Europe. Dès lors comment expliquer une telle divergence de croissance entre les deux continents ?

Alexandre Delaigue : Les politiques d’austérité budgétaire ont eu effectivement un effet récessif en Europe, en particulier dans les pays dits « périphériques » qui ont appliqué une austérité particulièrement forte au plus mauvais moment (à l’inverse de pays dont les politiques budgétaires ont été bien plus neutres, comme la France, l’Allemagne ou la Belgique). Il faut tordre le cou à l’idée que l’austérité aurait pu être une « bonne politique » qui n’a eu aucun effet sur la croissance des pays concernés et qui aurait ramené la « confiance ».

Mais il faut aussi rappeler que le budget n’est pas le seul instrument de régulation de l’activité : la politique monétaire est primordiale. C’est même selon les économistes l’instrument le plus efficace, même si cela nécessite des politiques « non conventionnelles » lorsque les taux d’intérêt atteignent zéro. Et cela conduit à rappeler que la Banque centrale européenne, qui dans un premier temps de la crise a soutenu l’activité en baissant ses taux, s’est arrêtée dès 2009 pour les remonter temporairement en 2011, et ne s’est vraiment lancée dans une politique expansionniste qu’après l’arrivée de Mario Draghi à sa tête. Le décrochement de la zone euro correspond exactement à ce moment.

Dans le même temps, Piketty exclut la Grande-Bretagne de son analyse, elle qui a pratiqué une austérité budgétaire plus forte qu’en Europe. Mais quand on l’intègre, on voit qu’elle s’est bien mieux sortie de la crise que tous les pays de la zone euro, en partant d’une situation comparable à celle de l’Espagne, malgré cette austérité budgétaire. Et on ne peut pas s’empêcher de noter que la politique monétaire a été bien plus expansionniste en Grande-Bretagne aussi.

Sur la base de son analyse, Thomas Piketty indique qu'une restructuration de la dette apparaît nécessaire en Europe. S'agit-il réellement d'un préalable obligatoire à la fin de la crise européenne ?

L’expérience historique montre qu’à long terme, les niveaux de dette publique du niveau des pays européens actuels se résorbent par la croissance, l’inflation, ou le défaut partiel. Les perspectives de croissance en Europe ne sont pas brillantes ; le biais anti-inflation est solidement installé à la BCE, et de toute façon toutes les banques centrales de pays développés aujourd’hui sont sous leur objectif ; Reste les restructurations de dette, qui peuvent être menées de différentes façons, sans passer explicitement par un défaut. Est-ce une nécessité pour que la crise s’arrête en zone euro ? Pas forcément. Est-ce que la très forte intégration souhaitée par Piketty permettrait cette sortie de crise ? Peut-être, mais partir du principe que la volonté politique d'une telle intégration en Europe est possible aujourd'hui, c'est considérer le problème résolu avant de le poser...

En se basant sur le précédent américain, est-il envisageable d'obtenir une baisse des dépenses publiques tout en soutenant la croissance économique ? Quels sont les méthodes permettant une tel résultat ?

Le débat sur l’austérité est pollué par un autre débat, qui porte sur la taille du secteur public. Les libéraux voient l’austérité comme un moyen de forcer la diminution des dépenses publiques qui n’est pas populaire. “il faut baisser les dépenses parce que l’on vit à crédit” est stupide mais cela passe bien auprès des électeurs. De l’autre côté, à gauche, on soutient les politiques expansionnistes lorsqu’elles conduisent à augmenter les dépenses publiques, et on critique les baisses d’impôt. Or soyons clairs : une politique consistant à baisser les dépenses publiques de 50 milliards d’euros et de baisser les impôts de 100 milliards est une politique expansionniste. On peut faire une politique budgétaire qui soutient l’activité quel que soit le niveau de dépenses publiques souhaité (qui est un débat politique, pas technique), surtout lorsque la banque centrale fait son travail de régulation de la conjoncture.

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