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Conditions de naturalisation : les Français se sont nettement raidis en 2015
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En plein débat sur la question de la déchéance de nationalité, le paysage politique français semble se crisper autour des questions d’identité nationale. Si cette tendance se remarque depuis 2007, l'année 2015 aura été décisive pour ancrer durablement ce thème dans l’agenda politique et médiatique.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : En 2013, un sondage IFOP affirmait que 63% des Français estimaient que la hausse du nombre de naturalisations était « une mauvaise chose » pour la France, quand 23% seulement estimaient que c’était « une bonne chose ». Pensez-vous qu’aujourd’hui la situation est la même au sein de la société française, ou les évènements de 2015 ont-ils fait évoluer les choses, dans un sens ou dans l’autre ?

Jérôme Fourquet : On peut penser que la très forte réticence des Français à ce qu’on augmente le nombre de naturalisations (réticence qui prévalait déjà en 2007 et qui se nourrissait plutôt de considérations économiques et de difficultés éventuelles d’intégration) se trouve renforcée aujourd’hui par une dimension supplémentaire : la menace terroriste et le fait que bon nombre de terroristes du 13 novembre, mais aussi des personnes qui ont été arrêtées dans le cadre de l’état d’urgence ou d’autres enquêtes, aient des profils binationaux et issus de l’immigration. Pas tous, il y a des convertis bien évidemment, mais on a une surreprésentation des personnes issues de l’immigration, dont certaines ont la double nationalité. Donc je pense qu’aux attitudes et motifs de refus qui se fondaient à l’époque sur les coûts économiques et sociaux de l’immigration, se sont ajoutés les problèmes d’intégration dans certains quartiers de nos villes. Les Français répondaient donc très majoritairement qu’ils étaient opposés à ce qu’on ouvre davantage le robinet des naturalisations. Même si encore une fois on ne dispose pas d’enquête plus récente avec la question posée à l’identique, on peut penser que le contexte récent ne va pas dans un sens d’inversion de la tendance. On peut aussi lier cette dernière avec la question du rapport à l’accueil des migrants. Les Français étaient l’un des peuples européens les plus réticents à l’accueil des migrants. Il y a certes eu des crispations début septembre au moment de la publication des photos du petit Aylan, mais on n’est jamais monté à plus de 50% de Français favorables à l’accueil de migrants. On était donc très en-deçà de ce qu’on mesurait en Allemagne. Depuis les attentats du 13 novembre et le fait que les terroristes étaient détenteurs de passeports syriens, la proportion de Français favorables à l’accueil de migrants est redescendue autour de 35-40%. Les craintes et les réticences classiques et traditionnelles de l’immigration, qui étaient déjà importantes ces dernières années en France, ont été renforcées par le contexte sécuritaire et les liens entre migrations plus ou moins récentes, actes terroristes et radicalisation de certaines personnes.

En termes de profil, qui sont les Français qui rejettent le plus le concept de naturalisation ?

En général, il s'agit d'un public appartenant à des catégories plutôt modestes, peu diplômées et habitant davantage les communes rurales que les grandes villes. Cela reste une tendance, on aura bien sûr des gens diplômés habitant les grandes villes qui vont être contre, mais en général les partisans du non vont plutôt se trouver dans les catégories que je viens de citer. Pour ce qui est de l’opinion politique, on reste dans un schéma assez classique avec une variable gauche-droite très structurante. Plus on se situe à droite de l’échiquier politique, plus on aura une propension à être hostile à une hausse des naturalisations. En 2013, il y avait 88% des électeurs de droite qui étaient contre.

En octobre dernier, un autre sondage IFOP indiquait que 82% des Français souhaitaient renforcer les critères d’obtention de la nationalité française. Comment peut-on expliquer un tel repli sur soi des Français, alors que la France a longtemps été considérée comme une terre d’asile ?

On a été exposé très récemment à cette question avec la question des migrants, en comparaison avec nos voisins européens. Pour expliquer cela, il y a d’abord un critère économique. Un nombre grandissant de Français pensent que notre pays n’a plus les moyens économiques et sociaux d’accueillir une immigration importante. Nous ne sommes plus dans la période de plein emploi des années 1960-70 où l’industrie et le bâtiment français manquaient de main-d’œuvre. Aujourd’hui, la France a 10% de chômeurs, des dettes faramineuses, des problèmes de logement… Beaucoup de Français pensent donc que l’heure est venue d’accorder la priorité aux gens qui sont déjà en France et essayent d’améliorer les conditions de vie des Français. Deuxièmement, nous avons une inquiétude identitaire qui est de plus en plus palpable dans l’opinion, principalement sur la question du rapport à l’islam et sur le fait que l’islam est de plus en plus visible et présent dans la société française : la question du voile, de la construction de mosquée, des quartiers qui tombent sous l’influence de fondamentalistes salafistes… Dans ce cadre-là, une bonne partie de la population française considère que le modèle tant vanté de l’intégration à la française a connu ces dernières années de sérieux ratés. Ces dysfonctionnements de l’intégration ont conduit au fait que, contrairement aux auteurs des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis qui n’avaient pas la nationalité et la citoyenneté américaine, les auteurs des attentats de janvier en France étaient des citoyens français qui étaient nés en France, qui étaient allés à l’école en France, qui pour certains avaient un travail en France, et qui pour autant se sont radicalisés et ont basculé dans le terrorisme. Même si on est ici face à des cas extrêmes, cela illustre pour beaucoup de Français le problème très sérieux de l’intégration. Beaucoup de Français de gauche ou de droite (à gauche on va déplorer le fait qu’on n’ait pas fait assez, à droite on va dire que c’est une menace) constatent que les choses ne se sont pas arrangées suite aux attentats de janvier. Un nombre croissant de jeunes venant de certains quartiers mais aussi de petites villes ou villages se laissent embrigader par l’islamisme, c’est la preuve par A+B que notre modèle d’intégration connaît de très sérieux ratés. Sans aller jusque dans le basculement vers le terrorisme, les polémiques sur les menus dans les cantines, l’extrême sensibilité de l’opinion publique sur l’histoire du voile dans les lieux publics, la jurisprudence sur cette fameuse crèche privée qui avait licencié une salariée parce qu’elle portait le voile, viennent souligner pour bon nombre de nos concitoyens les ratés de notre modèle d’intégration. Il leur apparaît totalement déplacé et inconscient de continuer à naturaliser et accueillir des populations nouvelles, alors même que notre pays ne parvient plus visiblement à intégrer les populations issues des vagues d’immigration précédentes.

La percée électorale du Front national depuis quelques années a-t-elle entraîné mécaniquement un intérêt accru des Français pour la question de la naturalisation ?

C’est un thème qui est depuis longtemps en débat et porté par le Front national. Je dirais que c’est plutôt l’inverse. C’est parce qu’il y a des tensions et une sensibilité accrue de toute une partie de la population française à ces questions-là que le Front national trouve un carburant supplémentaire. Il y a aussi une dialectique subtile que le FN tend à survendre, c’est qu’en raison du poids pris récemment par le FN dans les élections, ces thématiques portées par son discours prennent davantage de poids dans le monde politique. Certains cadres dirigeants du Front national, Florian Philippot par exemple, ont communiqué ces derniers jours en revendiquant comme une victoire idéologique l’engagement de François Hollande et Manuels Valls en faveur de la déchéance de nationalité. Monsieur Philippot a affirmé que c’était pour eux une première étape gagnée qui en appelait une deuxième : demander la déchéance de nationalité pour d’autres motifs. Quelques jours auparavant, au moment où Hollande confirme au grand dam de toute une partie de la gauche son annonce du 16 novembre, un cadre du FN a indiqué que c’était le premier effet concret des 6 800 000 voix que le FN a obtenues au deuxième tour des régionales. Nous sommes bien ici sur une mise en scène d’un Front national dont le succès grandissant viendrait mettre sous pression les autres formations politiques. Cela a été dit pendant longtemps par le Parti socialiste, qui affirmait que l’UMP était sous la pression du FN et que nous étions donc dans une course à l’échalote entre une droite de plus en plus radicalisée et le Front national. Il semblerait aux yeux du FN et d’une partie des opposants socialistes au gouvernement que sur le sujet de la déchéance de nationalité, cette pression ait été ressentie jusqu’au sommet de l’exécutif.

D’après vous, est-ce que le thème des naturalisations et, par extension, celui de l’identité nationale, peut s’imposer comme un sujet majeur de la campagne électorale présidentielle de 2017 ?

La question n’est pas forcément celle des conditions d’accès à la nationalité française ou de la déchéance, qui reste une décision symbolique qui ne s’appliquera qu’à quelques cas. Mais on peut élargir le sujet en se posant des questions comme "Qu’est-ce qu’être français ?", "Quels sont les enjeux identitaires ?", "Quelle place pour l’islam dans la société française ?", "Quelle doit être notre réaction collective à ce phénomène sans précédent qu’est le djihadisme ?". Il y a 150 ressortissants français jusqu’à présent qui sont morts en Syrie et en Irak, ce qui représente un chiffre très élevé, à rapprocher du nombre de victimes des attentats du 13 novembre et de début janvier. On est là face à un phénomène sans précédent. D’après les chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur, nous avons franchi la barre des 2000 personnes impliquées dans les filières djihadistes là-bas, ici en France ou en plein recrutement d’autres volontaires. Il faut ajouter à ces 2000 personnes toutes les autres qui, sans avoir encore basculé dans ces filières, sont idéologiquement radicalisées et pourraient franchir le pas demain. En termes de volume de personnes, la France n’a jamais connu une telle menace terroriste. Quand nous regardons ce que représentait à l’époque Action Directe ou autres, cela concernait alors plutôt 20 ou 30 personnes. Pareil pour le GIA dans les années 1990. Toutes ces questions de radicalisation, d’identité, de menace terroriste, de place de l’islam dans la société française vont assurément occuper une place grandissante dans le débat public dans les prochains mois. Nous ne sommes déjà aujourd’hui qu’à 18 mois de la présidentielle, et nous sommes bien partis pour que ces thèmes-là soient placés de manière récurrente au cœur de l’actualité. Il n’y a qu’à regarder les unes des journaux ou l’ordre d’apparition des sujets dans les journaux télévisés ou les flashes infos à la radio : c’est l’Irak, la Syrie, les suites des attentats du 13 novembre, l’arrestation de telle ou telle personne, les projets d’attentats déjoués à Bruxelles, et bien évidemment le débat sur la déchéance de nationalité. Ces sujets-là sont déjà omniprésents. D’aucuns diront que c’est parce que les médias les instrumentalisent. On peut avoir cette vision-là, mais on peut aussi regarder les chiffres objectivement… Nous sommes face à un problème majeur qui a mis des années à monter en puissance et qui ne va pas se régler comme cela. Pour reprendre l’analyse du juge Trévidic, qui est quand même expert en la matière, la société française en aurait pour une dizaine d’années au bas mot pour régler ce problème-là.

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