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Terra Nova : “L’UMP et le FN convergent vers le populisme”
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Conquérir les "nouvelles classes populaires" : voilà l'enjeu de la campagne de François Hollande, selon Olivier Ferrand, président du think tank de gauche Terra Nova qui n'hésite pas à évoquer un rapprochement idéologique sur les questions sociales et identitaires d'une partie de l'UMP et de Marine Le Pen.

Olivier Ferrand

Olivier Ferrand

Olivier Ferrand est président et fondateur du think tank de gauche Terra Nova.

 

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Atlantico : François Hollande a déclaré lundi qu’il avait le « devoir » d’appeler à lui « l’électorat populaire » qui peut  « être tenté par l'envie de renverser la table ». Une note de Terra Nova, le think tank que vous dirigez, conseillait au PS de se concentrer plutôt sur un électorat plus jeune, féminin et immigré que l’électorat populaire traditionnel. François Hollande fait-il donc une erreur politique stratégique en se concentrant vers un électorat peut-être déjà acquis par Marine Le Pen ?

Olivier Ferrand : François Hollande cherche à rassembler tous les Français autour et il a raison. C’est d’autant plus important que ce qui a marqué la mandature de Nicolas Sarkozy c’est d’avoir cherché des boucs-émissaires, d’avoir dressé les uns contre les autres, les centre-villes contre la banlieue, les salariés du privé contre les fonctionnaires, la France qui se lève tôt contre les « assistés », les seniors contre les jeunes, les Français de culture judéo-chrétienne contre les Français musulmans…

Le populisme du Front national est une version hystérisée de cela : il dresse la France contre la France, il casse la République, il nie l’identité de la France d’aujourd’hui. Le FN, c’est l’anti-France. Les Français sont fatigués de cette politique qui les a éreintés. Il y a une demande de pacification, de vivre ensemble. Les Français veulent « refaire société » selon la formule de Pierre Rosanvallon. Dans ce cadre, la stratégie de François Hollande est la bonne car elle correspond au moment de crise actuel du lien social.

J’en viens aux classes populaires. Il y a une confusion sur les catégories sociales que l’on met derrière la notion de classes populaires. C’était tout l’enjeu de la note de Terra Nova qui a été instrumentalisée de façon particulièrement malhonnête. Cette note souligne que les classes populaires ont évolué. En 1981, on sortait de la société du plein emploi : les classes populaires, c’était les ouvriers et les employés en emploi stable, en CDI. Aujourd’hui, nous sommes dans la société de la précarité : six millions d’actifs sont en emploi précaire (CDD, intérim, temps partiel subi, temps fragmenté…), trois millions sont au chômage, trois millions encore sont exclus. Au total, près de douze millions d’actifs sont déclassés : des outsiders, hors du cœur de l’emploi stable. C’est là que se recrutent la grande majorité des nouvelles classes populaires. On y trouve des jeunes sans diplômes, des femmes célibataires élevant seules leurs enfants – celles que décrit bien le livre Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas -, des habitants des quartiers populaires et notamment des Français issus de l’immigration, des ouvriers licenciés au chômage… Ce sont eux, les visages du peuple de 2012 – un peuple plus jeune, plus féminin, plus divers.

Ce que dit la note de Terra Nova, c’est que la gauche doit se préoccuper de ces nouvelles classes populaires. Parce que c’est juste : ce sont les principales victimes de la crise économique que traverse notre pays. Ce sont les Français les plus fragiles, les plus modestes aussi : la plupart d’entre eux (9 millions sur 12) vit sous le seuil de pauvreté. Et parce qu’elles sont au cœur de l’électorat de gauche contemporain. Elles ne sont pas tentées par le vote FN. Elles ne risquent pas, elles sont violentées par le discours de la droite sarkozyste et de l’extrême droite. Violentées dans leurs droits sociaux : ce sont des « assistés » qui parasitent la société. Et agressées dans leur identité culturelle : ce sont des jeunes « fainéants », de la « racaille » de banlieue, des Français issus de l’immigration à tout jamais considérés comme étrangers sur leur propre sol… Face à ces agressions, si la gauche ne les défend pas, le risque, c’est l’abstention.

En allant au Val Fourré et en s’adressant aux classes populaires déclassées, François Hollande cherche ainsi à signifier qu’il n’oubliera pas la France précaire, celle qui souffre le plus aujourd’hui.

Mais que faites-vous concrètement des ouvriers ? Il reste des ouvriers en France, tout de même…

Bien sur ! Il reste encore, fort heureusement, des classes populaires intégrées, en emploi stable. En 1981, il s’agissait pour l’essentiel d’ouvriers à l’usine. Aujourd’hui, il s’agit surtout d’ouvriers des services (magasiniers, manutentionnaires, chauffeurs…) et d’employés. Ils sont en CDI mais ils ont peur du déclassement : ils savent qu’ils sont les prochains sur la liste pour perdre leur emploi… Travaillés par cette peur du déclassement, ils sont vulnérables aux sirènes délétères du FN. Ils y sont d’autant plus sensibles qu’ils n’ont plus les forces de rappel dont bénéficient les ouvriers à l’usine : ils n’ont plus la fierté industrielle du produit, le collectif de l’usine, la présence syndicale… C’est ce qui explique qu’un ouvrier syndiqué à l’usine vote FN à moins de 10% alors qu’un ouvrier des services approche les 50%.

La gauche ne doit pas abandonner ces Français au FN et au populisme, bien sur. Ce que dit la note de Terra Nova, c’est qu’il ne faut pas aller les chercher au prix d’un renoncement à ses valeurs. Il faut aller les convaincre sur les questions économiques : le retour de la croissance, la réindustrialisation, la réussite économique de la France dans la mondialisation. C’est ce que fait François Hollande avec son « pacte productif ».

Tout est donc peut-être une affaire de mots. Un livre co-dirigé par François Kalfon et Laurent Baumel, tous les deux membres du PS, s’intéresse aux « classes populaires ». Laurent Wauquiez vient de publier un livre intitulé « La lutte des classes moyennes ». Vous évoquez les « nouvelles classes populaires »… On finit par s’y perdre… Parlez-vous tous de la même chose ?

On s’y perd en effet ! C’est symptomatique : nous n’arrivons même plus à désigner la réalité sociale. Pour simplifier, les classes populaires d’aujourd’hui sont divisées en deux. Il y a les classes populaires « traditionnelles », intégrées (ouvriers et employés en emploi stable) : ce sont celles qui sont visibles dans le débat public, celles qui concentrent l’attention de tous les politiques – du FN à la gauche de la gauche.

Et il y a les nouvelles classes populaires, « déclassées » (les précaires) : majoritaires en nombre, elles sont stigmatisées par la droite et sont parfois oubliées par la gauche. La droite sarkozyste et le FN ont accentué cette division des classes populaires, en dressant les classes populaires intégrées (« la France qui se lève tôt ») contre les classes populaires déclassées (« les assistés »). L’enjeu politique, c’est de mettre un terme à ce rejet de l’autre et de réapprendre la solidarité.

Iriez-vous jusqu’à affirmer que, sur ces questions là, on peut aller jusqu’à dire « UMP, FN : même combat » ?

Oui, ce n’est pas aller trop loin. Nous assistons à une convergence rapide entre une partie d’une UMP radicalisée et un FN déghettoisé. Du côté de l’UMP, Nicolas Sarkozy a fait bouger le centre de gravité de la droite de gouvernement. Il était au centre droit, que ce soit avec le gaullisme social (ex-RPR) ou avec les chrétiens-démocrates (ex-UDF). Il a fortement glissé sur la droite avec un durcissement sur l’immigration, l’identité nationale, la suspicion sur les Français musulmans. L’UMP entre désormais en porosité avec l’extrême droite avec deux éléments précurseurs : la Droite populaire et la Droite sociale (la mal nommée) de Laurent Wauquiez. Quant au FN, sous l’impulsion de Marine Le Pen, ce n’est plus un parti néo-nazi : c’est devenu un parti certes xénophobe, populiste dur, mais républicain, tel qu’on en retrouve partout en Europe, et qui veut gouverner. Pour accéder au pouvoir, il fera la jonction avec l’UMP.

Cette convergence UMP-FN va provoquer une recomposition politique profonde : le centre droit refuse cette radicalisation et l’alliance à venir avec le FN ; il va faire sécession pour rejoindre la gauche et former un grand camp humaniste et progressiste. Il suffit de voir l’évolution sur dix ans de François Bayrou... Cette recomposition marque la fin de l’exception politique française. La France va rejoindre le reste de l’Europe avec une nouvelle polarisation politique : l’opposition droite-gauche laisse la place à une opposition populisme-progressisme.

Vous incluez la droite sociale de Laurent Wauquiez dans la droite dure ?

Tout à fait. Ce que fait Laurent Wauquiez est d’un cynisme absolu. Il fait l’équivalent sur le terrain social de ce que fait la Droite populaire en matière d’immigration et d’identité nationale. Il tisse des liens avec le FN pour récupérer son électorat. Il participe de la lepénisation des esprits. Il est moteur dans cette UMP radicalisée qui va - à terme - gouverner avec le FN.

Vous partagez donc sans doute l’avis d’Audrey Pulvar qui a accusé ce samedi Laurent Wauquiez d’opposer les pauvres à d’autres pauvres ?

Elle a raison ! On dresse les classes populaires intégrées contre les classes populaires déclassées. Laurent Wauquiez comme d’autres essaye de casser la France en opposant les différentes composantes de son peuple : il s’agit d’un ressort utilisé par le FN, mais aussi par cet UMP radicalisée.


Depuis trente ans, n’a-t-on pas finalement occulté des questions dont s’est emparé exclusivement le FN ? N’a-t-on pas été aveugle sur la réalité de certaines pratiques, comme le détournement d’aides sociales ? Quand aujourd’hui François Bayrou parle du « made in France » ou Arnaud Montebourg de protectionnisme européen jouent-ils également sur les terres du FN ou ne font-ils que s'emparer d'une réalité délaissée pendant longtemps par la gauche ?

C’est mal poser la question, me semble-t-il. Le problème, c’est l’échec économique de notre pays depuis trente ans, cette crise à mèche lente dans laquelle nous sommes englués. La bonne réponse – celle des hommes de progrès de droite comme de gauche - est économique : il faut retrouver le chemin de la prospérité, produire à nouveau en France, être compétitif dans la mondialisation, créer des emplois… Les scores du FN sont indexés au taux de chômage de notre pays !

La mauvaise réponse – celle des populistes – est de trouver des boucs émissaires, des « profiteurs du bas » aux « profiteurs du haut » pour reprendre les termes pervers de Laurent Wauquiez. Certains, pour récupérer l’électorat du FN, sont prêts à abandonner leurs valeurs humanistes et sociales pour rejoindre les valeurs lepénistes. Mais ceux-là ne combattent pas le FN, ils font son lit. Et ils mènent la France à sa perte.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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