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Palantir, la startup de la Silicon Valley à 20 milliards de dollars qui traque les terroristes, bat les pirates et aide les banques à gagner de l’argent
©Palantir

Boule de crystal

Palantir est une startup de la Silicon Valley qui ne cherche pas à vous faire liker ou partager quoi que ce soit, et ne vous vent aucune pub. Au lieu de cela, elle aide la CIA à traquer des terroristes et des banques à résoudre des problèmes. Elle a aussi une technologie et un business model très innovants.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Palantir est peut être l'entreprise la plus importante dont on n'entend jamais parler. Cette startup de la Silicon Valley vient de lever 129 millions de dollars auprès d'investisseurs privés, la valorisant à 20 milliards de dollars, selon la presse. Que fait Palantir ? C'est normal que l'entreprise reste discrète. Elle est surtout connue pour son travail avec la CIA, le FBI, le Pentagone, et les autres agences du gouvernement américain, même si aujourd'hui la majorité de son chiffre d'affaires vient du secteur privé. Ses logiciels analysent des quantités énormes de données non structurées pour permettre à des analystes de répondre à des problèmes épineux. 

Son logiciel a été utilisé pour analyser les attentats à Bagdad et déduire les chemins les plus sûrs pour les convois de l'armée américaine, analyser les fraudes de Bernie Madoff, défendre JP Morgan contre des hackers chinois et même, selon la rumeur, aurait aidé à trouver Ben Laden. 

Une approche unique du Big Data

Aujourd'hui tout le monde ne parle que du "Big Data", le fait de faire sortir de la valeur des océans de données que produit tous les jours le monde du 21ème siècle. Palantir, fondée il y a dix ans, se présente souvent comme "la première entreprise de Big Data." Mais c'est surtout son approche unique qui la différencie. 

Palantir naît du travail effectué par PayPal, une des startups les plus iconiques de la Silicon Valley, car elle a survécu à presque toutes les catastrophes--y compris des hackers russes qui utilisaient le service pour blanchir de l'argent. Etant donné que PayPal garantissait ses utilisateurs contre la fraude, ces hackers auraient pu faire couler l'entreprise, et aucune solution ne fonctionnait. PayPal avait tout simplement trop de transaction pour que des êtres humains en vérifient la validité. Mais créer des algorithmes ne fonctionnait pas : les hackers russes étaient trop malins. Un système hybride fut inventé : des algorithmes détectent les transactions suspicieuses, et des analystes humains bloquent celles qui sont frauduleuses. Les hackers furent battus et l'entreprise sauvée. 

C'est cette trouvaille qui est au coeur de l'approche de Palantir. Dans l'Amérique post-11 septembre, les fondateurs de l'entreprise veulent appliquer leurs talents à la lutte contre le terrorisme. L'idée qu'on se fait souvent du Big Data est d'un logiciel proche de l'intelligence artificielle qui, par des algorithmes, va sortir les pépites de la mer de boue de la donnée. L'approche de Palantir est de combiner les compétences du logiciel avec celles de l'humain, qui sont complémentaires. Les ordinateurs sont très doués pour certaines tâches, mais pas d'autres pour lesquelles les humains sont très doués, et vice versa. On parle souvent du fait qu'aujourd'hui les ordinateurs battent les joueurs humains aux échecs ; on parle moins du fait qu'un humain assisté d'un ordinateur bat souvent les meilleurs ordinateurs, car ils sont complémentaires. 

Le logiciel de Palantir ne cherche donc pas à donner des réponses aux questions, mais à aider des analystes dans leur travail pour trouver des réponses aux questions. Ce n'est pas un logiciel de data mining ou de statistique, mais d'analyse, qui permet non seulement de brasser énormément de données, mais à un humain de rechercher dedans, de les analyser, de les utiliser, de les combiner. 

Au sein de cela, Palantir a accompli de nombreuses innovations :

  • Pour chercher dans une base de données, il faut souvent maîtriser un langage informatique relativement complexe, comme le SQL. Palantir permet de taper une recherche en termes humains--comme dans Google.
  • Palantir a découvert que la plupart des bases de données des agences gouvernementales--et de nombreuses grandes entreprises--sont dans des silos qui ne se parlent pas. Par exemple, le FBI a une base de données pour les braquages à main armée, et un autre pour les meurtres. Palantir a développé son logiciel pour aller chercher dans tous les silos de bases de données et permettre de les réunir, un travail pharaonique et extrêmement complexe, mais extrêmement puissant. 
  • Palantir permet de travailler sur des données non structurées, et de mettre ensemble des données structurées différemment. Un analyste aura aussi bien besoin d'étudier une carte, un rapport ou une feuille de calcul. Gérer les données non structurées est un énorme défi informatique, et de l'avis de la plupart des utilisateurs Palantir est bien meilleur que les alternatives. 

Tout cela fait de Palantir une plateforme extrêmement puissante et dont les applications sont potentiellement infinies. L'entreprise a commencé dans le renseignement, puis dans les applications militaires, et fonctionne maintenant dans le secteur financier, le commerce et les pharmaceutiques.

Evidemment, le fait de créer des logiciels pour le renseignement n'a pas manqué d'attirer l'ire des défenseurs des libertés publiques. Mais pour Palantir, c'est justement son approche qui permet de préserver les libertés publiques. Le fameux programme de metadata de la NSA--dont la France s'inspire d'ailleurs--, où les données téléphoniques de tous les citoyens américains sont siphonées dans une grande base de données pour ensuite essayer d'en faire sortir des schémas statistiquement corrélés à une activité terroriste, sont le genre d'approche "Big Data" qui vont à l'opposé de la vision de Palantir. Ce genre d'approche statistique et de data mining demande, effectivement, d'avoir accès aux données de tous. A contrario, un analyste de Palantir n'a besoin de données que très spécifiques. Et le logiciel Palantir inclut un journal de ce que font tous les utilisateurs, pour que soit vérifié le fait qu'ils ne cherchent rien auquel ils ne devraient pas avoir accès.

Un business model innovant

Un autre aspect de Palantir est intéressant : son business model. Vendre au secteur public est souvent perçu à raison comme un cauchemar, dans tous les pays. Pour valider les besoins de ses clients, les concepteurs du premier produit prenaient l'avion de la Silicon Valley à Washington tous les quinze jours pour leur montrer des démonstrations du produit et le changer en fonction de leurs demandes. Comme le dit Bob McGrew, directeur technique : "On leur montrait dix fonctionnalités dans une démonstration live, et en général ils en aimaient une ou deux, donc on abandonnait les autres. C'était douloureux, mais nous sommes devenus très bons à les bâtir juste assez pour leur permettre de décider si ils la voulaient ou pas. Nous avons aussi découvert que les démonstrations en direct valent mieux que les captures d'écran, malgré le travail supplémentaire, parce que nos clients comprenaient mieux le logiciel et pouvaient nous donner plus de feedback."

En restant très proche du client et en incorporant son feedback très régulièrement et rapidement, il renforce la relation avec son client et rapproche le logiciel de ses besoins. 

Le fait de rester proche du client est en réalité la clé de la stratégie marketing redoutable de l'entreprise. Par exemple, l'entreprise a offert des formations gratuites avant signature de tout contrat dans de nombreuses agences de renseignement américaines ; lorsque les vendeurs arrivaient, Palantir était déjà connu par bouche à oreilles. Intelligemment, ils ont fait exprès de faire ressembler l'interface de leur logiciel aux genre de logiciels qu'on voit dans les films, pour leur donner un côté "James Bond."

Mais le secret de Palantir, c'est que c'est au moins autant une entreprise de conseil que de logiciel. En théorie, l'entreprise ne pratique pas le marketing ou la vente. En réalité, l'entreprise emploie énormément de "forward deployed engineers" (ingénieurs déployés en avant-garde) qui sont à mi-chemin entre des consultants et des vendeurs. Le consulting permet de faire rentrer de l'argent (avec une marge brute à court terme meilleure que le logiciel), mais surtout de s'intégrer au client. Les ingénieurs forment les employés du client au logiciel et à la plateforme, et permettent d'en démontrer l'utilité. Palantir arrive à recruter les meilleurs ingénieurs de la Silicon Valley parce que c'est une startup sexy, alors que les cadors des grandes écoles d'ingénieur américaine dédaignent en général le consulting IT, et donc les consultants, ou plutôt les ingénieurs déployés, de Palantir sont d'un calibre supérieur et savent se rendre indispensable.

Le bouche à oreilles fonctionne bien, et valide la qualité du produit. Par exemple, c'est sur une recommandation de la police de New York que Palantir a obtenu son premier client du secteur privé, la banque JP Morgan. 

Pas difficile de comprendre qu'avec cette technologie innovante et ce business model intelligent, Palantir soit aujourd'hui une des entreprises les mieux valorisées de la planète--et une des plus fascinantes.

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