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La rente pétrolière, seul facteur d'unité en Irak
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Good morning Irak !

Les milliers de soldats américains stationnés en Irak quitteront le pays fin décembre. En instaurant une gouvernance basée sur la régionalisation, les Américains qui visaient une meilleure répartition des revenus pétroliers, ont finalement encouragé la corruption et le clientélisme.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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A la fin du mois de décembre, les quelques milliers de soldats américains qui stationnent encore en Irak auront quitté le pays. Le retrait s’effectue sans heurt, au profit de l’armée nationale irakienne, qui hérite en prime d’un matériel trop coûteux à rapatrier.

Les troupes américaines ne sont pas harcelées par les groupes d’Al-Qaida ou les milices chiites de Moqtada al-Sader. Leur départ, préparé à l’avance, ne donne pas lieu à des affrontements entre milices rivales et l’armée régulière. Seule l’évacuation de la base aérienne « Hourriya » - située au cœur de Kirkouk, ville disputée entre le gouvernement de Bagdad et le Gouvernement Régional du Kurdistan - a failli provoquer des heurts entre les Peshmergas (combattants autonomistes kurdes en Irak du Parti Démocratique Kurde de Massoud Barzani) et l’armée irakienne, obligeant les troupes américaines à se maintenir jusqu’à ce qu’un terrain d’entente soit trouvé.

Les régions de Kirkouk et de Mossoul constituent des zones disputées entre les Kurdes et le gouvernement central. Ce dernier refuse qu’elles soient annexées au Kurdistan irakien, car d’une part elles ne sont plus à majorité kurde, et d’autre part leurs richesses pétrolières offriraient aux Kurdes les moyens d’une véritable indépendance économique, et par conséquent politique. Jusqu’à présent, le Kurdistan irakien est sous perfusion de Bagdad, qui lui verse 18% des revenus pétroliers du pays. Cette manne financière contribue à la croissance économique exceptionnelle de cette région déshéritée.

La régionalisation américaine au service de la corruption et du clientélisme

Les États-Unis ont promu en Irak une nouvelle forme de gouvernance basée sur la régionalisation. En théorie, cela doit permettre de mieux répartir les revenus du pays dans les périphéries, afin que les populations bénéficient équitablement de la rente pétrolière. Il s’agit également de créer des espaces de pouvoir secondaires, où l’opposition pourra s’investir, et ainsi ne pas verser dans l’insurrection. Enfin, la décentralisation devrait permettre la promotion d’un nouveau personnel politique, plus efficace dans la gestion des affaires courantes que des administrateurs nommés par le pouvoir central.

Cependant ce système a renforcé les tendances centrifuges dans les régions kurdes et arabes sunnites, encouragé la corruption et le clientélisme à base ethnique, religieuse et tribal, accentuant la fragmentation territoriale du pays. Le gouvernement de Nouri al-Maliki maintient la cohésion de l’Irak, grâce à la rente pétrolière qu’il redistribue généreusement. Mais il risque de revenir à une politique beaucoup plus centralisatrice, une fois les États-Unis partis, ce qui ne se fera pas sans de fortes résistances.

L’Irak, un État tampon soumis aux caprices des différentes puissances régionales

Sur le plan géopolitique, l’Irak est devenu un État tampon soumis à diverses influences étrangères. L’Iran appuie les Arabes chiites, et l’Arabie Saoudite les Arabes sunnites. La Turquie protège la minorité turkmène et se poste en embuscade, au cas où les Kurdes auraient des velléités d’indépendance, mais reste la principale bénéficiaire du dynamisme économique de la région kurde. Quant à la Syrie de Bachar el-Assad, elle a cessé de soutenir les groupes armés qui opéraient depuis son territoire en Irak. Elle compte sur ses nouvelles relations privilégiées avec l’Irak de Nouri al-Maliki pour contourner les récentes sanctions internationales, et sauver son économie. Le croissant fertile est de nouveau réuni, non plus sous la houlette des Ottomans mais de Téhéran, le grand bénéficiaire de la chute du régime de Saddam Hussein.

Depuis 2008, la violence a diminué mais la sécurité n’est véritablement rétablie qu’au Kurdistan. Dans le reste du pays, les attentats meurtriers et les enlèvements crapuleux constituent le quotidien de la population. Les chrétiens furent les principales victimes de l’insécurité, puisque les trois quarts de la communauté ont fui l’Irak. L’essentiel des 300 000 chrétiens qui demeurent en Irak se trouvent au Kurdistan, dans des quartiers et des villages sécurisés par les Peshmergas et des milices communautaires.

Le Kurdistan séduit les investisseurs étrangers...

La sécurité qui règne au Kurdistan attire aussi les entreprises étrangères, qui affluent à Erbil pour profiter des pétrodollars. En janvier 2012, Carrefour ouvrira son premier magasin dans la capitale de la région autonome kurde, à partir de laquelle le groupe essaimera dans les autres villes contrôlées par le Gouvernement Régional  Kurde. Cependant, Carrefour attend 2015 pour ouvrir des magasins dans le reste de l’Irak, en priorité Bassorah, la deuxième ville du pays, avant d’atteindre Bagdad, jugée trop peu sûre pour encore de nombreuses années.

Tout comme l’enseigne française de grande distribution, les investisseurs parient sur une stabilisation de l’Irak au cours de la décennie, et s’ils investissent dans le Nord de l’Irak, c’est pour pouvoir fondre ensuite sur le Centre et le Sud du pays, dès que les conditions de sécurité le permettront. En fait, la manne pétrolière est plus efficace pour désamorcer les conflits internes et obtenir la paix sociale que la présence de 200 000 soldats américains. La rente pétrolière, tant qu’elle demeure entre les mains du gouvernement central et qu’elle est équitablement redistribuée, devient le véritable facteur d’unité de l’Irak.

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