Aux oubliettes
Les Occidentaux renforcent leur capacité d’action en Irak et en Syrie… mais qui va s’occuper de l’EI en Libye ?
Mercredi 2 décembre au soir, les députés du Royaume-Uni ont décidé de voter l’autorisation de frappes britanniques contre l'Etat Islamique, auprès des alliés de la coalition internationale en Syrie. Les bombardements devraient rapidement débuter. Mais la Libye, fief de l'islamisme, est totalement mise de côté.
Alain Rodier
Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.
Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.
Atlantico : La Grande Bretagne s'est dite prête à bombarder l'Etat Islamique en Syrie et en Irak. Quel sera le rôle et l'impact des Britanniques dans coalition de l'OTAN ? Qu'est-ce que l'entrée en action de la GB pourrait changer ?
Alain Rodier : A ma connaissance, les Britanniques participent déjà à la coalition en Irak avec notamment huit chasseurs-bombardiers Tornado et des forces spéciales. Le fait d'étendre leur zone d'opérations à la Syrie ne va pas changer grand chose en dehors du fait que Daesh va prendre un peu plus de bombes sur la tête.
Les États-Unis réfléchissent à une intervention limitée au sol (Congrès), que penser de cette volonté affichée ?
Les Occidentaux bombardent la Syrie et l'Irak mais en attendant personne ne semble s'occuper de la Libye qui pourtant "héberge" des djihadiste de l'EI. Comment l'expliquer ? Ont-ils les moyens d'agir sur les deux théâtres d'opération ?
Les Européens ont monté l'opération navale "Eunavfor Med" destinée à traquer les passeurs de migrants. De premiers résultats ont été enregistrés. Mais les moyens manquent pour envisager d'aller plus loin. Les Britanniques et les Français sont à bout de souffle, les Italiens et les Espagnols n'ont que des moyens militaires limités et les Allemands vont faire déjà un gros effort sur le front syro-irakien. Les autres pays européens ont des armées qui n'ont pas des capacités de projection significatives.
Les pays voisins de la Libye pensent plus à sécuriser leurs frontières et à se protéger à l'intérieur contre le terrorisme que de passer dans une phase offensive, même conjointe.
En résumé, l'enthousiasme pour intervenir dans ce "noeud de vipères" comme le qualifiait notre ministre de la Défense est pour le moins modéré. Il est urgent d'attendre.
Cette question de la Libye se pose car en ce moment de nombreux redéploiements ont lieu au Moyen-Orient et en Méditerranée. Hollande avait notamment demandé à l'UE de soulager la France dans l'effort de guerre au Moyen Orient et en Afrique. En quoi cette situation peut amener à une redistribution des cartes ?
La réponse est simple : rien ne devrait changer à court ou moyen terme.
Les djihadistes de l'EI en Libye ont pourtant revendiqué un certain nombre d'attentats terroristes dans le pays mais aussi à l'extérieur, en Tunisie (Prado). Comment expliquer le manque de réaction des gouvernements occidentaux ? Que ce soit la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou encore l'Allemagne et même les pays limitrophes ou la Russie…
1/ les effectifs son estimés à 2500/5000 alors qu'en Syrie et en Irak ils seraient dix fois plus (mais il est vrai que 2500/5000 fanatisés, cela peut faire du bilan).
2/ en Syrie et en Irak, les ennemis de Daesh sont clairement désignés : les gouvernants alaouites et chiites, des "apostats" (des traîtres à l'islam") qui "maltraitent" les populations sunnites. Ce n'est pas le cas de la Libye où il n'y a pour ainsi dire pas de gouvernement (en fait, il y en a deux, l'un à Tripoli, l'autre à Tobrouk) et en plus, ils sont sunnites. Difficile des les traiter d'apostats. Comment mobiliser contre un ennemi qui n'existe pas ?
3/ les populations locales ne sont pas très favorables à l' EI et surtout, aux combattants étrangers. Même les mouvements islamistes radicaux libyens combattent Daesh, ce qui explique son relatif échec de Derna d'où il a été chassé du centre-ville.
4/ il reçoit peu de renforts de l'étranger et surtout, n'a pas beaucoup de moyens financiers car il n'a pas accès en permanence à des sources d'hydrocarbures. Il doit se contenter du racket pratiqué sur les populations qu'il contrôle, ce qui le fait un peu plus détester. Les aides en provenance de Syrie et d'Irak restent limitées.
5/ bien que le but du commandement central de l'EI soit d'étendre le djihad à l'ensemble de l'Afrique en s'appuyant sur la Libye et le Nigeria (avec Boko Haram), pour le moment, il n'en n'a pas les moyens. Cela dit, étant en relative faiblesse militaire, il utilise le moyen de combat le plus simple et le moins coûteux : le terrorisme. C'est ce qui explique les attentats en Libye, en Tunisie, au Nigeria et dans les pays périphériques. Le but est de provoquer le chaos et des affrontements entre populations locales, voire de déstabiliser des gouvernements comme en Tunisie.
6/ le mouvement Al-Qaida est implanté historiquement en Libye mais, pour des problèmes de stratégie, il ne combat pas directement sous sa bannière mais sous d'autres couleurs comme celle d'Ansar al-Charia. Or Al-Qaida veut étendre son influence au détriment de celle de l'EI. Cela ne veut pas dire que c'est une bonne chose mais, au moins, ces deux mouvements salafistes-djihadistes s'opposent. Espérons qu'il ne se réuniront pas un jour.
En résumé, la communauté internationale tente de contenir la poudrière libyenne dans les limites de son territoire en bloquant les frontières. Elle essaye aussi, sous l'égide de l'ONU, d'unifier les deux gouvernements mais pour le moment, sans trop de résultats car les intérêts des uns et des autres sont divergents. Enfin, elle observe avec inquiétude l'évolution de Daesh et peut déclencher des opérations ponctuelles pour amoindrir ce mouvement.
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