Terrorisme : voir clair, voir tôt, voir juste… Comment les criminologues peuvent aider à prévenir la société des prochains Merah, Abdeslam et autres Kouachi<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Les criminologues peuvent aider à prévenir la société des prochains terroristes.
Les criminologues peuvent aider à prévenir la société des prochains terroristes.
©

Minority report

L'analyse des modes opératoires et des profils psychologiques permet de dégager plusieurs caractéristiques communes entre terroristes islamistes.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

Voir la bio »

Dans la réplique des faits et des causes, un implacable cauchemar à 130 morts. Comme toujours en effet depuis Mohamed Merah, les terroristes sont :

  • Connus des services de police et de renseignement, fichés, signalés et (en théorie) surveillés "radicalisés... islamistes", certains depuis six ans.
  • Des bandits, certains huit à dix fois condamnés. D'autres, pire encore : le pedigree du "logeur de Saint-Denis" est un effarant abrégé du Code pénal : homicide, détention d'armes ; même, violences conjugales.


Or pour le carnage du 13 novembre, le tableau est plus sombre encore : les tueurs y sont bien sûr des hybrides, mais au mode de vie désormais extravagant : "gros buveurs et fumeurs" ; tenant un bistrot (où l'alcool coule, fermé pour trafic de drogue). Des Merah au carré, des Kouachi au cube :

  • L'un d'entre eux fréquente des bars homosexuels bruxellois. Prédateur ? Consommateur ? On ne sait.
  • Aux Pays-Bas, l'un des dealers-assassin -"Machiavel de la terreur" pour des officiels français- réussit l'exploit d'être cravaté pour "possession de cannabis" et écope de 70 euros d'amende. En Hollande ! Autant dire, arrêté à Montélimar pour détention de nougat.
  • La "première femme- kamikaze en Europe" (péroraient nos experts en carton-pâte) titube entre sexe, drogue et alcool ; dans l'appartement de Saint-Denis, la terrible terroriste larmoie "j'ai envie de partir" et périt sous des gravats.


Ces branquignols massacrent 130 personnes, mais :

  • Dans un bar de Molenbeek, les fêtards cessent un jour de picoler- nul ne voit rien.
  • Sur la télé de leur bistrot, les vidéos islamistes remplacent le rap - nul ne tique.
  • L'évaporée passe du brandy à la burqa - nul ne s'inquiète.
  • Pendant des semaines, voire des mois, vingt individus (repérés à ce jour) sillonnent l'Europe à leur aise, de la Grèce à Paris via les Pays-Bas et Bruxelles - Alerte, zéro.


Or ce noyau d'assassins va brutalement muter de la fête au jihad-minute, variante mystico-psychopathe du potage en sachet. Hier, joint au bec et cheveux gominés ; demain, bombe humaine et ceinture d'explosifs.

Racailles, hybrides, bombes humaines : depuis 2012 et l'initial Merah, je multiplie là-dessus articles et interviews. Alors, les médias-des-milliardaires s'effraient de la "stigmatisation de pauvres victimes de l'exclusion et du racisme", en chœur avec la Garde des Sceaux et sa cour libertaire. Hier encore, M Macron dénonce dans Le Monde "la part de responsabilité de la France" dans le carnage. Pensez donc ! La "fermeture de son économie", les discriminations, l'ascenseur social en panne - ces pauvres jihadis obligés d'emprunter l'escalier.

Faste nouvelle cependant : le 27 novembre, "Le Monde" réalise : finalement, ces terroristes sont des voyous. Un message pour Mme Taubira, tant qu'ils y sont : l'un des assassins avait "rompu son contrôle judiciaire" et déambulait de Raqqa au Bataclan. Ne faudrait-il pas resserrer ces contrôles ?

Lucidité, prise de conscience : que faire maintenant ? Répondons à l'inéluctable question que les autorités doivent se poser – espérons-, avant le prochain massacre.

D'abord, virer les hauts fonctionnaires et ministres, qui, de lubie idéologique en aveuglement bureaucratique, n'ont rien vu ni compris, interdit qu'on y voie clair.

Crucial mais insuffisant. En criminologues, pensons donc clair, tôt et juste.

La France est répétitivement frappée, selon un immuable schéma :

  • L'humain : il s'agit toujours ou presque d'hybrides, criminels fanatisés basculant dans la rage homicide.
  • Le collectif : Merah... Kouachi... Abdeslam, des fratries prédominent, dans lesquelles s'instaure, dit la psychiatrie, un invisible "délire à plusieurs",
  • La topographie : toujours en cause, les territoires de la "politique de la ville"; lieu de naissance ou de vie ; bases de prédations et de repli - souvent, de pures et simples pépinières à fanatiques.


Territoires, entités, profils : les criminologues savent que cela est utile, mais ne résout rien, faute d'un cadre de compréhension sans lequel l'analyste du terrorisme se condamne au petit bout de la lorgnette, à la guerre de retard - avec les résultats qu'on sait.

Cadre : notre société vit dans un flux-tendu qui affecte ses forces vives, médias, classe politique, finance, communication. Ce flux-tendu est au rythme social d'hier ce que le fast-food est à la cuisine : un insidieux poison. Devenue banc de poissons, la société plongée dans l'urgence sombre dans la stérile logique linéaire, perd son sens critique.

Ouvrir la voie à une cohérente politique antiterroriste ; penser des stratégies efficaces, exige d'abord de s'extraire du tsunami d'informations creuses qui au quotidien, nous noie et nous aveugle ; de rejeter l'idée que des machines penseront à notre place.

La génération spontanée n'existe pas plus dans le terrorisme qu'en biologie. Préparer l'assaut du 13 novembre suscite forcément de ces phénomènes qualifiés d'"épiphanies" par la sagesse originelle ; de "signaux faibles" ou "ruptures d'ambiance" en criminologie. Exemple : dix fois fichés, les Kouachi rôdent autour de Charlie-Hebdo, illustre objet de la vindicte islamiste ; achètent fusils d'assaut et cagoules et chargent ce mortel outillage dans un véhicule volé; ils cheminent, armés jusqu'aux dents, vers Charlie-Hebdo. Cela peut, cela doit se détecter.

A ce besoin de repérer à temps les signes avant-coureurs, les criminologues offrent le décèlement précoce des dangers et menaces. En cas de danger mortel, avant le drame, cette méthode prédictive donne à la fois :

  • Une orientation par rapport à l'écoulement du temps,
  • Une conscience de l'importance de la source de tout phénomène,
  • Une attention précise portée au latent, au possible.

Le décèlement précoce vise en effet à accéder au possible, l'un des trois modes de la pensée humaine (l'existant - le nécessaire - le possible). Abstrait certes mais riche, proche de la médecine préventive, le décèlement précoce fournit à qui le maîtrise et prend le possible comme ligne d'horizon, la capacité :

  • De repérer et d'écarter les apparences, donc d'accéder au réel,
  • De poser à temps d'efficaces diagnostics,
  • D'agir tôt, avec précision et autorité.

Que ceux qui ne savent pas prévoir ; ceux dont le radar ignore l'autre côté de la montagne ; ceux qui croient que demain sera la banale prolongation d'hier, cèdent désormais la place.

Nous ne sommes pas condamnés à ramasser des corps ensanglantés dans les rues de nos villes. La plupart des mortels préparatifs ci-dessus dépeints sont détectables.

Le décèlement précoce est possible. Il s'enseigne, il s'apprend. Les criminologues sont là pour ça.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !