Aymeric Chauprade claque la porte du FN : l’implosion du parti a commencé <!-- --> | Atlantico.fr
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Aymeric Chauprade et Marine Le Pen, au Parlement européen.
Aymeric Chauprade et Marine Le Pen, au Parlement européen.
©REUTERS/Vincent Kessler

Tambouille interne

En début de semaine, le 9 novembre, le député européen Aymeric Chauprade a annoncé son départ du Front National, estimant que le parti serait devenu un "étouffoir". L'ancien conseiller de Marine Le Pen, écarté en Janvier 2015, qui a officialisé son départ sur I>Télé, est également un proche de Marion Maréchal-Le Pen.

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Comment ce départ, s'inscrit dans un accumulé de faits qui laissent penser que le FN a commencé son implosion ?

Jean-Philippe Moinet : Cette porte claquée par Aymeric Chauprade est un cas personnel qui a une signification politique. Cet homme particulièrement sulfureux - il s'est fait connaître et aspiré par le FN sur des thèses conspirationnistes sur le 11 septembre, nauséanbondes - est un homme de coups tordus: il devenait encombrant pour Marine Le Pen, qui fait tout pour "lisser" son propos et nettoyer la vitrine FN pour tenter de faire croire qu'elle peut accéder au pouvoir. Chauprade, qui a été élu député européen sur la vague lepéniste de 2014 (où père et fille Le Pen étaient encore unis), a pris les devants en quittant le FN pour éviter le procès stalinien qu'allait lui intenter la Présidente du FN, sur le même mode que celui qu'elle a organisé contre son père, il y a quelques mois.

Je ne crois pas que ce soit pour autant le signe d'une implosion du FN car ce parti, à l'approche des régionales, dernières élections intermédiaires avant la présidentielle, est plutôt en logique d'ascension et attire des opportunistes. Marine Le Pen le sait et en profite pour se débarrasser de ceux qui, comme son père, lui apparaissent comme des boulets. Cet épisode ne manifeste pas moins une réelle tension interne au FN, qui reste bel et bien un parti d'extrême droite aussi par le caractère autoritaire et autocratique de sa présidence, et son mode de gestion clanique qui passe par des purges. Point de salut au sommet sans l'adoubement de Marine Le Pen ! Pour l'ambitieux Chauprade, l'avenir devait passer par cette fracassante démission, il passe de la ligne Jean-Marie Le Pen à celle de Philippe de Villiers.

Quelles sont les contradictions et les oppositions qui menacent le parti ?

Des contradictions profondes tiraillent le parti lepéniste, notamment entre sa ligne Nord-Est, celle de Marine Le Pen et Florian Philippot d'une part, et la ligne Sud, où Marion Maréchal Le Pen et Jean-Marie Le Pen se retrouvent en connivence. Même si elle tente de minimiser ces différences, Marine Le Pen fait le grand écart. D'un côté elle accentue, sous l'influence de l'ex-chevènementiste Philippot, des positions "social-étatiques", l'interventionisme étatique étant mis au service d'une sorte de national socialisme qui surfe sur la désespérance des couches populaires ; c'est manifeste dans ses campagnes récentes à Hénin-Beaumont et dans la région Nord-Pas-de-Calais, où elle cherche à siphonner une partie de l'électorat socialiste et communiste de cette région. C'est le discours sur la retraite à 60 ans, sur l'augmentation sensible du Smic, etc... Georges Marchais n'aurait pas fait mieux ! D'un autre côté, dans le Sud, le FN est, avec sa nièce, sur des postures qui appliquent les vieilles recettes du grand-père, formé à l'école poujadiste, le FN cherchant à racoler les voix des artisans et petits commerçants, qui n'en peuvent plus de l'interventionisme étatique, des impôts, des normes, et rejettent tout discours qui pourrait ressembler à celui de la gauche.

Entre le Nord et le Sud frontiste, il y a bien une incohérence idéologique forte qui va provoquer des fissures et, à l'approche de la présidentielle, provoquer de réelles divisions. Autrement dit, pendant les régionales, chacun au FN chasse sur ses terres avec des armes différentes, en espérant que cela ne se voit pas trop politiquement et médiatiquement. Mais ensuite, quand il s'agira de la présidentielle, l'incohérence va devoir être traitée, elle créera d'inévitables tensions et peut-être une crise majeure. En cela, Marine Le Pen mange son pain blanc. Car le boulet Jean-Marie Le Pen, si la force physique lui est donnée, ne va pas se taire, bien au contraire. Pas plus que Marion Maréchal-Le Pen ne va, entourée comme elle l'est des "identitaires" théoriciens de l'inégalité des races, "affadir" son propos. Les positions de la tante et de la nièce sur la Laïcité, les mœurs, l'homosexualité par exemple, sont diamétralement opposées et ne pourront que créer des divisions. Car Marion Maréchal-Le Pen s'appuie sur les catholiques traditionnalistes de son parti, comme Bruno Gollnish, qui a toujours été prêt à "pardonner" (et même approuver) les dérapages du vieux compagnon Jean-Marie Le Pen, que ce soit sur les noirs et les arabes, ou les juifs et la seconde guerre mondiale. Ces tensions là, avec la jeune nièce, restera un cauchemar durable pour Marine Le Pen.  

Est-ce que les opposants de Florian Phillipot ne sont pas en train de chercher à l'étouffer doucement ? Pourquoi y vont-ils progressivement ? Quelle est leur stratégie ?

Les opposants à Florian Philippot, nombreux au sein du FN, ne peuvent qu'y aller graduellement contre lui, sachant qu'il est protégé par la Présidente du parti. Elle tient à lui, à son rôle facilitateur auprès des médias notamment, souvent dupés par le bagout de l'ex-chevénementiste, Philippot étant instrumentalisé avec succès par la leader du parti d'extrême droite comme un habile débateur pour plateaux TV. Philippot a beau être moqué, au sein du FN, comme "un Dechavanne de pacotille", être ciblé aussi par les nombreux homophobes qui font les cadres et les troupes du FN, Marine Le Pen le soutient : toute sa stratégie de "dédiabolisation" a reposé sur le pilier de ce marketing de la banalisation du FN, et l'habillage par Philippot de la vitrine frontiste. Comme cela a plutôt bien fonctionné, elle continue avec lui. 

Est-ce que l'extrême droite va vers une recomposition comme le souhaiterait Aymeric Chauprade d'une "droite indépendante" ? Qui pourrait y participer ?

Avec et après les régionales, nous verrons si les forces d'attraction vers le FN de Marine Le Pen seront plus fortes ou non que les forces de divisions internes. Je pense néanmoins que le vœu de recomposition de Chauprade est pieu, il amuse la galerie de quelques personnalités aussi originales qu'isolées politiquement, telles que Villiers, Buisson, ou encore Zemmour. Sauf surprise, le parti Les Républicains, avec ses différentes sensibilités et personnalités, devrait être suffisamment fort, globalement sur l'ensemble du territoire aux élections régionales, pour incarner une future et une crédible alternance, en résistant aux assauts de la "firme" lépeniste, il est vrai entourée d'une galaxie ultra-droitière et national-populiste qui grossit. Les propos récents d'Henri Guaino, déclarant "respecter" Marion Maréchal-Le Pen sont certes édifiants quand on sait que cet ancien conseiller de Nicolas Sarkozy a été un proche de Philippe Seguin. Celui-ci, viscéralement anti-FN, doit se retourner sans sa tombe. Mais je ne pense pas pour autant que ces oiseaux de mauvais augure fassent le printemps du parti lepéniste en 2017.

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