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Pourquoi le monde devrait davantage s’inquiéter de l’état de l'économie chinoise (et non, la nouvelle stratégie de Pékin n’y change rien)
©Reuters

Effet majhong

Selon les chiffres du gouvernement chinois, la croissance de la Chine continue sa contraction, passant à 6,9% au troisième trimestre. Cela correspond à sa pire performance depuis la crise financière de 2009. Pourtant, certains analystes estiment que ces chiffres sont gonflés et masquent une réalité économique chinoise bien plus désastreuse.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Atlantico : Quelle qu’en soit l’ampleur, le ralentissement en Chine ne révèle-t-il pas que Pékin est en train de passer d’une économie centrée sur l’exportation à une économie centrée sur le marché intérieur et donc sur la production de services ? Quelles conséquences pour l'économie mondiale ?

Antoine Brunet : Nous sommes en désaccord total avec cette interprétation. Pékin a lancé de belles promesses qui ont été  formalisées  fin 2012, lors du 18ème Congrès du Parti Communiste : la Chine renoncerait à baser sa croissance sur l’exportation et s’engagerait à encourager la consommation privée de biens et de services. Trois ans plus tard, on observe que ces promesses ne se sont pas du tout concrétisées et qu’en réalité le Parti Communiste leur a tourné le dos.

A peine arrivé au pouvoir début 2013, M. Xi Jinping a pris deux décisions lourdes, toutes deux à l’opposé des promesses solennelles : tout d'abord, après une explosion éphémère des salaires ouvriers en 2011/2012, Il a verrouillé à nouveau l’évolution des salaires horaires des ouvriers et des exécutants. C’est d’ailleurs ce verrouillage des salaires horaires ouvriers qui explique le recul marqué des prix à la production.

Par ailleurs, le Parti Communiste a entrepris, début 2013, une campagne anti-corruption à grande échelle. Elle a eu pour premier effet de terroriser tout le personnel d’encadrement qui craint à juste titre des mesures discrétionnaires à son encontre. Pour éviter d’attirer l’attention des Brigadistes du Parti, ils ont entrepris de renoncer à toute consommation susceptible d’être qualifiée de somptuaire. C’est ce qui explique l’évolution très défavorable, depuis lors, des ventes d’automobiles en Chine.

Au total, par ces deux initiatives, le Parti Communiste, à l’opposé de ses promesses, a porté sérieusement atteinte à l’évolution de la consommation : la consommation populaire a été matraquée par le verrouillage des salaires tandis que la consommation de luxe souffrait de la campagne anti-corruption qui se prolonge depuis début 2013. Le taux d’épargne des ménages, au lieu de reculer comme promis, a très inopportunément rebondi.

De ce fait, plus que jamais, la croissance du PIB chinois devenait dépendante des exportations. Mais à compter de 2011, les marchés d’exportation de la Chine se sont asphyxiés les uns après les autres :

Ce furent d’abord les Etats-Unis, l’Europe et le Japon qui manifestèrent assez vite leur incapacité à prolonger le rebond de leur PIB intervenu entre début 2009 et début 2011 et à renouer avec une croissance forte : la surcompéitivité considérable que maintenait  la Chine après 2008 continuait à leur faire perdre des parts de marché sur le marché mondial des produits manufacturés, ce qui leur interdisait de revenir à une croissance dynamique de leur PIB et de leur demande intérieure.

Ce furent ensuite les pays exportateurs de matières premières (Russie, Asie Centrale, Indonésie, Malaisie, Amérique Latine, Afrique, Moyen-Orient, Australie, Canada, Norvège, tous pays qui ensemble représentent environ 30% du PIB mondial) : le non redémarrage des pays développés combiné à la déception relative à la demande intérieure chinoise aboutirent à un ralentissement de la demande mondiale de matières premières au moment où de nombreux investissements venaient d’accroître sensiblement l’offre mondiale ; cela enclencha le retournement des matières premières à la baisse début 2001 puis une accentuation de la baisse à compter de juin 2014 ; l’effondrement de leurs recettes d’exportation a déstabilisé (plus ou moins tous ces pays), les obligeant à ralentir significativement leurs importations de produits manufacturés chinois.

Au total, si depuis début 2011, les exportations chinoises ont subi un ralentissement de plus en plus marqué, ce n’est absolument pas parce que la Chine aurait perdu en compétitivité. La surcompétitivité chinoise reste largement intacte. C’est parce que les pays-clients de la Chine sont désormais asphyxiés, que leur demande intérieure est devenue anémique (tout cela en bonne part en conséquence même de la stratégie de Pékin).

Le ralentissement marqué de l’économie chinoise relève donc avant tout d’un effet boomerang. C’est parce que Pékin, tout en maintenant sa surcompétitivité à l’export, a tourné le dos à ses engagements d’activation de la consommation privée, que la demande intérieure chinoise s’est ralentie et que maintenant les exportations chinoises elles-mêmes se ralentissent.

Le ralentissement  de l’économie chinoise n’est donc absolument pas la trace d’un changement de schéma de croissance de la part du Parti Communiste Chinois. Le ralentissement révèle seulement qu’en maintenant et en accentuant sa stratégie mercantiliste et anti-coopérative, le PCC ruine l’économie du reste du monde (ce que l’on savait) mais en contrepartie porte aussi atteinte en boomerang à la prospérité de l’économie chinoise.

Pensez-vous que Pékin puisse gonfler ses chiffres de croissance ?

Tout d’abord, il faut noter que Pékin est un spécialiste de la manipulation statistique ; jusque 2005 environ, le FMI établissait chaque trimestre le déficit commercial  global consolidé de tous les autres pays  de la planète  à l’égard de la Chine ; il s’avérait que chaque trimestre,  le déficit commercial consolidé du reste de la planète à l’égard de la Chine était  environ deux fois supérieur à l’excédent commercial (lui-même considérable) que Pékin affichait pour la Chine alors même que les deux chiffres auraient normalement dû coïncider. Un tel écart pointait sur la Chine un regard accusateur : la Chine mentait systématiquement sur l’ampleur de son excédent commercial. Elle sous-estimait par un facteur 2 la réalité de son excédent commercial. 

Et cette sous-estimation était bel et bien intentionnelle : en sous-estimant son excédent commercial, Pékin entendait minimiser le caractère anti-coopératif de sa stratégie et entendait minimiser  l’ampleur des dégâts qu’il infligeait, de façon récurrente, aux autres pays de la planète.

Lorsque, dans les années 2005, la Chine eut suffisamment renforcé son influence diplomatique au sein du FMI, Pékin obtint du FMI qu’il interrompe la publication de sa statistique, indirecte mais pertinente, de l’excédent commercial chinois. La Chine obtenait alors du FMI le privilège des pays tout-puissants, celui de pouvoir mentir délibérément sans plus avoir à craindre d’être démenti par les institutions internationales arbitrales.

Concernant la croissance du PIB Chinois, nous avions,  depuis longtemps et plus encore depuis 2011, des doutes quant à son ampleur et quant à sa robustesse. La séquence "Bulle puis Krach"  sur la Bourse de Shanghai (intervenue entre novembre 2014 et maintenant),  l’épisode de la dévaluation du yuan contre dollar (intervenue le 11 août 2015), le tout accompagné de révélations quant à l’ampleur atteinte par l’endettement des divers acteurs chinois (Etat central, Régions, Entreprises, Ménages), tout cela nous a amenés à devenir encore plus sceptiques à l’égard des chiffres de croissance affichés par Pékin.

Si Pékin a ouvertement encouragé la bulle boursière entre novembre 2014 et juin 2015, s’il s’est ensuite mobilisé pour  limiter le krach boursier depuis juin 2015, s’il a par ailleurs autant encouragé le recours à l’endettement à tous les niveaux, s’il s’est décidé à recourir à la dévaluation du yuan, c’est bien parce qu’il était beaucoup plus inquiet qu’il ne l’admettait sur la croissance du PIB et de l’emploi en Chine, c’est bien parce qu’il savait que les chiffres de croissance qu’il affichait étaient délibérément trompeurs.

Depuis lors, j’aurai tendance à me rallier au point de vue de Marc Faber qui considère que depuis début 2014 au moins, la croissance en Chine serait autour de 4% plutôt qu’autour de 7% comme affiché officiellement par Pékin.

Qu'est-ce qui le prouve ?

Il y a des preuves directes et des preuves indirectes.

Preuves directes, les indicateurs physiques. Les indices de PIB réel (hors inflation) ont été conçus dans les années 40 pour synthétiser l’activité concrète, physique dans le pays considéré. On est donc en droit d’attendre un certain parallélisme entre l’évolution affichée pour le PIB réel et les principaux indicateurs d’activité physique qui sont disponibles. L’actuel N°2 du parti Communiste Chinois, Li-Keqiang n’exprimait rien d’autre lorsque, en 2010, avant d’exercer sa responsabilité suprême, il manifestait à des interlocuteurs étrangers, son scepticisme à l’encontre des chiffres de croissance publiés par Pékin et il leur suggérait de se référer plutôt à trois indicateurs physiques, la consommation d’électricité, le fret ferroviaire et l’encours de crédit bancaire. Or, ces trois indicateurs ont récemment connu des évolutions alarmantes. Le crédit bancaire s’est ralenti sensiblement, le fret ferroviaire a subi quelques reculs au cours des derniers mois et la consommation d’électricité s’est ralentie brutalement pour ne progresser que de 1% au cours des 12 derniers mois. Tout cela s’articule très mal avec le ralentissement seulement très modéré du PIB que Pékin affiche.

Preuves indirectes, l’évolution de puis début 2011 du marché mondial des matières premières. Phénomène rare et à dire vrai jamais vu depuis les années 30, les indices de cours des matières premières (indices synthétiques, indices énergie, indices métaux, indices alimentation, indices agro-industriels) se sont tous retournés brusquement à la baisse à compter de mars 2011 pour ensuite accentuer leur baisse à compter de juin 2014. Cela est  absolument incompréhensible si on valide les chiffres de croissance affichés depuis début 2011 par la Chine : avec les chiffres publiés par Pékin, la croissance mondiale du PIB se serait ralentie de 4,5% début 2011 à 3,0% récemment.

Or l’étude historique montre que les indices de prix des matières premières cesse de monter seulement si la croissance du PIB mondial s’inscrit en dessous de 3,5% et il faut que la croissance du PIB mondial s’inscrive très en dessous de 3,5% pour que le prix des matières premières recule sensiblement.

Si, à l’opposé de ce qui est publié par Pékin, on retient que la croissance du PIB de la Chine se serait repliée de 10% l’an début 2011 à 4% l’an récemment, la croissance du PIB mondial se serait en réalité repliée de 4,5% début 2011 à 2,5%, soit très en dessous du seuil de 3,5%. Cela s’articule alors beaucoup mieux avec l’évolution majeure constatée sur les indices de matières premières : le ralentissement de plus en plus marqué de l’économie chinoise, en ramenant la croissance du PIB mondial de plus en plus en  dessous du seuil de 3,5% aurait d’abord déclenché un retournement à la baisse des indices de matières premières avant d’enclencher une accentuation remarquable de leur baisse.

Comment le pays fait-il ?

Les chiffres publiés par Pékin sont très opaques : ils sont présentés de façon très globale et de ce fait se prêtent mal à des vérifications par les observateurs étrangers ; ils sont publiés selon des nomenclatures propres à la Chine, ce qui ne facilite pas non plus les comparaisons et les vérifications.

La principale méthode de falsification tient à la prise en compte de l’inflation. Des chiffres de PIB nominal qui sont peut-être admissibles aboutissent à des chiffres de PIB réel qui sont faussés dès lors qu’on les combine avec des déflateurs du PIB qui sous-estiment la réalité de l’inflation. Dans les derniers trimestres, les déflateurs du PIB retenus par Pékin ont très peu augmenté alors que la très forte baisse du prix des matières premières importées par la Chine aurait dû se traduire par des déflateurs de 3 à 4% l’an et non pas de 1% l’an comme retenu.

Pourquoi Pékin gonflerait-il ses chiffres de PIB ?

Pékin a au moins trois motivations.

Tout d'abord, sur la base des chiffres de PIB publiés par Pékin, qui encore une fois sont probablement surestimés mais qui sont validés par le FMI, le PIB de la Chine a rejoint dès 2014 celui du PIB américain (calcul effectué en convertissant les yuans en dollar sur la base de la parité de pouvoir d’achat dollar/yuan). De ce fait, officiellement, dès 2014, la Chine a pu partager avec les Etats-Unis le premier rang mondial en matière de PIB.

Ensuite, la position diplomatique de Pékin s’est trouvée renforcée vis-à-vis des pays tiers et des institutions internationales. Dès le moment où Pékin est réputé dès maintenant faire jeu égal avec Washington en matière de PIB, il  renforce son argumentaire pour que la Chine soit mieux représentée au FMI ou pour que le yuan soit admis sans plus de délai au sein du DTS.

Enfin, en s’arrogeant la capacité de manipuler son chiffre de PIB, Pékin s’arroge aussi et surtout la capacité de manipuler sa communication économique avec sa population. Pékin sait qu’il peut faire admettre à sa population un ralentissement modéré et maîtrisé alors qu’un ralentissement brutal et non maîtrisé serait interprété par la même population comme un signe d’impuissance du Parti Communiste Chinois, ce Parti qui a entrepris depuis 1979 de justifier la légitimité de son régime totalitaire par le fait qu’en contrepartie, il s’engage à assurer à terme à la population un emploi et un logement. La crédibilité de cet engagement serait compromise si le Parti avouait que l’économie chinoise subit un ralentissement marqué et incontrôlé.

Pourquoi le reste du monde laisse faire Pékin si le trucage est si facile à démontrer ?

Parce que Pékin use et abuse de l’ influence diplomatique considérable qu’il a acquise pour se voir reconnaître, en cette matière comme en d’autres, le droit de mentir délibérément sans encourir le risque d’être  démenti ou sanctionné.

Nous avons déjà mentionné qu’autour de 2005, sous la pression de Pékin, le FMI a renoncé à poursuivre la publication du déficit commercial du reste du monde à l’égard de la Chine. Au milieu de cette année 2015, quand la plupart des économistes indépendants débattaient de l’ampleur de la surestimation de la croissance chinoise par Pékin, le FMI n’a pas hésité à valider sans hésitation les chiffres de PIB qu’avançait Pékin.

A l’évidence, par différents leviers (commerciaux, financiers, géopolitiques,…), Pékin s’est acquis en cas de litige dans les institutions internationales un vote favorable de la part de nombreux pays. Certains pays ont obtenu de Pékin des promesses qui leur sont favorables au cas où Pékin l’emporterait définitivement sur Washington, d’autres sont tenus par les parts du marché intérieur chinois qui reviennent à leurs entreprises, d’autres sont tenus par les commandes à l’exportation que leur fait miroiter Pékin, d’autres encore sont tenus par la part de leur dette publique négociable que détient Pékin et qu’il peut revendre à tout moment sur le marché, d’autres enfin ont actuellement recours à des financements exceptionnels de la part de la Chine dans un contexte où le FMI a perdu sa capacité financière à jouer son rôle de prêteur en dernier ressort.

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