"Il n’y a plus d’autorité de l’Etat" : pourquoi le constat dressé par Nicolas Sarkozy appelle AUSSI des réponses qui dépassent la police et la justice<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy estime "qu'il n’y a plus d’autorité de l’Etat".
Nicolas Sarkozy estime "qu'il n’y a plus d’autorité de l’Etat".
©Reuters

Réponse partielle

Dans l'interview qu'il a donné au Parisien ce mardi 3 novembre, Nicolas Sarkozy revient sur l'autorité de l'Etat et les troubles qu'on connait aujourd'hui. Si des moyens supplémentaires pour la police et le système judiciaire sont importants pour faire respecter la loi, ils ne sauraient être une réponse plausible aux courants de pensée qui alimentent la défiance de l'Etat.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Justice des mineurs, statut de la police, exécution des peines... Dans une interview donnée au Parisien, le président du parti les Républicains a présenté plusieurs mesures qui vont dans le sens de la répression. Ces dernières vous semblent-elles pertinentes ?

Philippe Bilger : On ne peut pas appréhender la double page du Parisien dans laquelle Nicolas Sarkozy fait ses propositions sans aborder le passé. Il est évident qu'on ne peut pas examiner tout ce qu'il propose sans avoir à l'esprit ce qu'il a promis durant la campagne de 2007, et qui n'a pas été exécuté : un état de droit dévoyé pendant le quinquennat,  des promesses non tenues sur le plan de la Justice et de la sécurité, et une autorité de l'Etat bien souvent ébréchée. Pour autant, cela ne lui interdit pas d'émettre à nouveau des propositions avec le ton décisif et vigoureux qui est le sien. Je trouve qu'il a raison en ce qui concerne la dénonciation de Christiane Taubira qui fait une politique pénale lamentable, et il est étonnant de voir que c'est elle qui répond à Nicolas Sarkozy parlant de ses contre-vérités. En revanche, je le trouve injuste à l'égard de Bernard Cazeneuve qui est très estimable.

En dehors de l'exécution des peines, Nicolas Sarkozy est également juste au sujet des mineurs. J'attire l'attention sur le fait qu'on a très souvent dénoncé le juge d'instruction en lui reprochant qu'il ne pouvait pas instruire à charge et à décharge, qu'il ne pouvait pas être Maigret et Salomon. Mais en revanche,  on accepte étrangement l'idée complètement farfelue qu'un juge pour enfant puisse à la fois faire de l'éducation et de la répression. Et là l'idée de Nicolas Sarkozy, qui est de séparer les deux, est très bonne.

Surtout, il a raison de défendre l'institution policière. Pour ma part, à partir du moment où l'on exerce sur la Police un contrôle professionnel et disciplinaire très vigilant, je suis tout à fait favorable à la présomption de légitime défense que la police devrait pouvoir demander. Il n'est pas normal que dans tous les conflits qui opposent la police aux transgresseurs, systématiquement la police soit présumée coupable. Cela devrait être l'inverse ! Ce sont aux fauteurs de troubles, aux rebelles à l'ordre public, de démontrer que la police n'était pas en état de légitime défense. Il y en a marre, alors que la police a un travail immense à faire, qu'elle doive sans cesse démontrer à la justice qu'elle n'est pas coupable. Mais bien sûr, entendez-moi bien, il faut que cela aille de pair avec un contrôle disciplinaire très vigilant.

Ce que relève Nicolas Sarkozy est exact, je le rejoins absolument sur tous les points de la politique pénale et par exemple sur le plan pénitentiaire, ainsi que sur le plan de l'exécution des peines. Je suis d’accord avec lui même si pendant le quinquennat rien n'a été fait pour perfectionner l'application des peines qui fait qu'on a ce paradoxe d'un dispositif pénal qui ne fonctionne pas. Je pourrais encore douter des engagements qu'il prend s'il remporte la primaire, mais acceptons l'augure qu'il va enfin, s'il est président, mettre en œuvre ce qu'il propose là : revenir sur les 100 000 peines non-exécutées, et sur l'épidémie de semi-liberté, de libération conditionnelle… Le citoyen de bonne foi sent bien que nous sommes passés d'un état qui tentait au moins verbalement d’être courageux hier, mais qui est aujourd'hui proche de la déliquescence.

Quels exemples qui marquent cette perte d'autorité de l'Etat au cours du quinquennat de François Hollande vous ont-ils le plus frappé ?

Philippe Bilger : Il est évident que depuis 2012, en dépit des efforts de Bernard Cazeneuve, et en grande partie à cause de François Hollande et de Christiane Taubira, l'autorité de l'Etat s’est délitée. Cela a été constaté non pas seulement avec l'épisode des gitans, mais aussi avec cette politique de sécurité dans les manifestations  qui à l'évidence est inspirée par deux poids deux mesures. Comment voulez-vous qu'avec une justice dogmatiquement compassionnelle, l'autorité de l'Etat ne soit pas gangrenée ? Il y a une cohérence intellectuelle et politique entre le délitement de la politique pénale telle qu'elle est proposée, et l'autorité de l'Etat telle qu'elle est mise en œuvre. Il y aurait une absolue incohérence à avoir une justice avec des concepts de miséricorde doctrinaire et un Etat qui serait fondé sur une rigueur, une efficacité et une autorité sans pareil.

Pour autant, selon vous, le dispositif défendu par Nicolas Sarkozy serait-il suffisant ? A quoi ne répond-il pas ?

Philippe Bilger : Il ne faut pas tomber dans l'éternel dilemme entre prévention et répression : c'est un faux débat, il faut de la répression car elle intervient dans l'immédiateté pour réprimer des crimes et des délits qui ont ostensiblement dégradé le tissu public. La prévention doit aller de pair, mais elle s'inscrit sur le temps long. C'est un travail de longue haleine, qui agit sur le tissu social, éducatif, culturel, qui prend des années, dans les banlieues ou ailleurs, pour créer un terreau à partir duquel la répression aura moins à faire.

Mais plus grave, on observe une multitude d'institutions, en amont de la justice, qui ont démissionné parce que malheureusement on ne les a pas soutenues ou protégées. L'instance familiale, l'école par exemple. La justice récupère de manière dramatique toutes les défaillances des institutions en amont.

Là où je me distingue des réactionnaires, c'est que je ne crois pas à la fatalité. On pourrait faire revenir dans le présent des comportements collectifs qui étaient meilleurs hier, à condition que le courage politique existe, et j'espère qu'il existera demain.

Pierre Duriot, dans quelle mesure les pratiques pédagogiques de ces dernières années ont-elles pu porter atteinte à la notion d'autorité ? Quels courants concrètement en sont à l'origine, et comment cela se matérialise ?

Pierre Duriot : Ce ne sont pas tant les pratiques pédagogiques qui conduisent à la perte de l'autorité, ce sont les idéologies sous-jacentes qui ont accompagné des expérimentations pédagogiques dont on est souvent revenu. Le courant initial est traditionnellement daté de 1968 mais c'est une date devenue un peu fourre-tout. Concrètement, il s'est dit à une époque que l'autorité pouvait brimer la créativité et le développement psycho-affectif de l'enfant, dans une confusion permanente entre autorité et autoritarisme. Egalement que le cours ne devait plus être dispensé du haut vers le bas mais dans un échange horizontal entre élèves et professeurs, ces derniers devant se mettre à portée de leurs élèves au lieu sans doute de tenter de tirer les élèves vers un niveau plus élevé. Ont suivi, encore maintenant, des consignes de bienveillance à n'en plus finir. La pédagogie de la réussite, l'enfant au centre, sacralisé avec cette idée fausse durant des décennies qu'un enfant érigé en centre familial et scolaire deviendrait naturellement sociable et avide de savoirs. Il n'en est rien, on sait pertinemment maintenant qu'il devient tyrannique, paresseux et exigeant. D'autres courants s'en sont mêlés, chez les professeurs cette fois-ci, sur encouragement de l'ensemble du corps social et gouvernemental, avec la réduction de la distance maître/élève, par la tenue vestimentaire, l'abandon du vouvoiement, par le dialogue quasiment d'égal à égal, la parole circulante, l'acceptation du marchandage des notes, des contenus, le devoir d'écoute de la parole de l'élève qui s'est au fil du temps transformé en capitulation devant l'élève, cet élève déjà bien souvent en position de force dans les foyer. Plus récemment il fut convenu de respecter la culture étrangère de l'élève, de demander à l'école, aux communes, aux associations, de se contorsionner devant les particularismes dans un genre de respect devenu une soumission dont plus personne ne sait sortir. Mais encore, on devient amis Facebook entre profs et élèves, éléments mêlés d'un petit monde informatique où toute distance entre les individus est proscrite.

Dans ce jeu, l'Etat tient le rôle du père, détenteur de la loi en famille, ou sensé l'être, détenteur de la loi écrite : la loi sociale. Et il se passe la même chose en famille et au niveau plus global de la société : quand le détenteur de la loi lâche du lest face à ses obligations, il induit une tendance au marchandage, puis à la contestation avec cette certitude chez le contrevenant que c'est la loi qui doit céder. Le processus fut incarné il y a peu par cette maman menaçant l'Etat de représailles si son fils n'était pas autorisé à venir aux obsèques de son frère : exemple extrême mais révélateur. Mais pire, quand un père lâche la loi différemment selon ses enfants, il créé jalousies et tensions entre frères et sœurs. De la même manière que l'Etat créé des tensions sociales quand il lâche ou tient la loi différemment selon ses différentes communautés, la plupart du temps pour des prétextes bien-pensants. Quand un enfant tyrannique exige que ses parents plient, arrive à ses fins, intègre ce type de fonctionnement, ce même enfant devenu adulte exigera que la loi de son pays le serve et non l'inverse et il va procéder de cette manière avec toutes les figures incarnant la loi : professeurs, policiers en gendarmes, Etat, services publics, médecins... selon des processus bien connus aujourd'hui contre lesquels on ne lutte plus mais auxquels on s'adapte... dans la douleur.

Quelles sont les réponses les plus viables, face à cette situation ?

Pierre Duriot : Comme quand il s'agit de reprendre une place de parents avec un enfant parti à la dérive, la réponse est douloureuse, longue et nécessite socialement des mesures qu'aucun gouvernement ne veut prendre le risque de mettre en place tant elles seraient impopulaires, mais surtout incorrectes. De très nombreux journalistes, dernièrement, ont montré ce qu'ils ont appelé le "deux poids deux mesures" en matière de traitement judiciaire ou fiscal par exemple. Il sera difficile d'en sortir. Egalement l'exemplarité du représentant de la loi joue un rôle crucial, en famille comme au plus haut sommet de l'Etat : une exemplarité sans cesse prise en défaut. Si solution il y a, elle passe en premier lieu par l'exemplarité de l'Etat et de ses représentants. En famille, dans le cadre de mon activité professionnelle, je conseille la technique du "grignotage", la reconquête un par par des territoires perdus, tant il est suicidaire de vouloir se battre sur tous les fronts en même temps. Il me semble qu'il pourrait en aller de même au niveau d'un état, remettre de l'ordre graduellement, reconquérir compartiment par compartiment, quartier par quartier, administration par administration, secteur par secteur, redonner des habitudes de rigueur, de respect, remettre chacun dans son rôle, proscrire arrangements, passe-droits, reparler de travail et de mérite, cesser de transiger avec des politiques objectives de victimisation et d'excuse, le tout avec un genre de rigueur appliqué en premier lieu au législateur, tel que l'on peut le voir avec les gouvernements nordiques. Cela passe par l'éducation bien sûr, facteur de cohésion et de stabilité sociale. Le niveau de la délinquance est étroitement corrélé au niveau éducatif et plus une société est instruite, plus elle est stable et mieux la démocratie fonctionne. Le choix global qui a été fait consiste à adapter la société tout entière à ses pires éléments en promotionnant la coercition technologique : caméras, portiques, surveillances, drones, vigiles, assurances, détecteurs... afin de se prémunir d'une éventuelle agression, plutôt que de la sanctionner. Le citoyen d'aujourd'hui est sommé de "comprendre", de faire preuve de "bienveillance", au besoin en étant culpabilisé, selon un processus engendrant une extraordinaire mise en tension sociétale. Il faut se donner les moyens d'un autre type d'approche de ces phénomènes.

L'actualité montre que la perte d'autorité de l'Etat se localise particulièrement dans des banlieues dites sensibles comme dans les quartiers nord de Marseille. Comment les pouvoirs publics doivent-ils réagir dans ces zones pour réinstaurer une autorité que d'aucuns estiment perdue ?

Laurent Chalard :Tout d’abord, il convient de déterminer précisément quels sont réellement les territoires où l’autorité de l’Etat est malmenée. Or, jusqu’ici ce travail n’a jamais été effectué, dans le sens que la liste de quartiers prioritaires de la politique de la ville agrège des quartiers où le degré d’effacement de l’Etat est très différencié. En effet, cette liste repose essentiellement sur des critères statistiques, à dominante sociologique, et non sur la réalité du terrain, comme le fait que certains quartiers soient tenus par des gangs mafieux, comme c’est le cas dans les quartiers nord de Marseille, ou par des islamistes radicaux, comme par exemple Les Minguettes à Vénissieux dans la banlieue de Lyon ou le Val d’Argent à Argenteuil en banlieue parisienne. Le nombre de territoires réellement perdus est donc beaucoup moins important que ne le laisserait croire la géographie prioritaire. Il ne faut pas confondre les quartiers pauvres, connaissant quelques incivilités de la part des adolescents, avec les quartiers, où une minorité fait régner sa loi, qui n’est pas celle de la République. Or, l’action des pouvoirs publics doit se concentrer sur ces derniers.

Une fois ce travail effectué, l’Etat va pouvoir consacrer ses moyens financiers et humains à la réappropriation de ces quartiers. Dans ce cadre, il ne s’agit pas tant d’instaurer des règles exceptionnelles pour que l’ordre y revienne que de faire respecter les lois de la République, qui sont bafouées du fait du désengagement progressif de la puissance publique, dont ils ont souffert. Pour cela, la politique de l’Etat ne doit pas se fonder sur le "tout répressif", qui, s’il peut donner momentanément l’impression d’un retour à l’ordre, ne peut être que contre-productif à long terme car il risque de conduire à un accroissement des tensions avec la population locale. Il s’agit donc de combiner actions répressives et actions préventives en concertation avec les populations résidentes, c’est-à-dire les adultes insérés dans la société. En effet, la réappropriation de ces territoires par l’Etat ne doit pas être perçue par leurs habitants comme l’arrivée "d’une armée d’occupation", mais comme un juste retour de la puissance publique dans des territoires oubliés, attendu par de nombreux concitoyens. Pour ce faire, il conviendrait sur le plan éducatif de renforcer les exigences scolaires, à travers une politique d’élévation du niveau d’exigence et non d’abaissement, une sécurité assurée par un signalement systématique de tout problème avec la possibilité d’une intervention rapide des forces de l’ordre, et une intransigeance sur la laïcité au sein des établissements, les sanctions étant appliquées à la lettre. L’Etat doit se montrer inflexible pour être respecté. Sur le plan socio-économique, il faudrait engager un véritable "plan Marshall" permettant de remettre sur le marché du travail, d’une manière ou d’une autre, une partie de la jeunesse masculine désoeuvrée, sachant qu’étant donné les tensions que connaît le marché du travail de certains secteurs d’activité de notre économie, il est impensable qu’une partie de ces jeunes ne puisse trouver un emploi. Sur le plan sécuritaire, les réseaux de trafiquants doivent être sérieusement démantelés et la mainmise des islamistes radicaux contrée par la coopération avec le reste de la population, la grande majorité, non radicalisée, que les élus locaux ont bien souvent abandonné car ils trouvaient plus faciles de négocier leur élection avec les islamistes que de faire du travail de terrain visant à inclure ces populations dans la maison France. La lutte contre le radicalisme doit se faire sur le terrain des idées, ce qui passe par une omniprésence de la puissance publique dans la vie socio-culturelle de ces quartiers, qui ne doit pas être sous-traitée à des minorités qui en profitent pour faire avancer leurs idées non républicaines.

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