Air Cocaïne et Nicolas Sarkozy : Christiane Taubira ne pouvait (difficilement) pas ne pas savoir<!-- --> | Atlantico.fr
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La garde des Sceaux l’a reconnu : elle a su que le nom de Nicolas Sarkozy était cité dans la procédure.
La garde des Sceaux l’a reconnu : elle a su que le nom de  Nicolas Sarkozy était cité dans la procédure.
©Reuters

Colin-Maillard

La garde des Sceaux l’a reconnu : elle a su que le nom de Nicolas Sarkozy était cité dans la procédure. Pouvait-elle ignorer que les portables de l’ancien chef de l’Etat avaient été géolocalisés et ses fadettes épluchées sur un an ? Difficile de le penser. Le procureur de Marseille en était vraisemblablement informé. Quand on connaît la chaîne institutionnelle du ministère public qui conduit jusqu’à la Place Vendôme, il est peu crédible que cette affaire signalée ne soit pas remontée au cabinet de la ministre. Autopsie d’une affaire très médiatisée qui met une nouvelle fois en lumière les pouvoirs du juge d’instruction.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Il est des affaires qui suscitent un tintamarre médiatique et qui se retournent indirectement contre ceux qui ont fait monter la mayonnaise. Il existe des affaires qui semblent montrer que le juge d’instruction fait preuve, tout au moins aux yeux de l’opinion d’un pouvoir exorbitant. L’affaire dite Air cocaïne dont on a beaucoup parlé ces derniers jours en est la double illustration.

Tout commence par la conférence de presse qu’organisent le mardi 27 octobre Mes Eric Dupond-Moretti et jean Reinhart, les avocats de Pascal Fauret et Bruno Odos, les deux pilotes français qui ont pris la poudre d’escampette de Saint Domingue, à la fin du mois d’octobre. Arrêtés le 13 mars 2013 sur l’aéroport de Punta –Cana alors qu’ils s’apprêtaient à décoller avec un Falcon 50,  ils sont soupçonnés de s’être livrés à du trafic de drogue en compagnie d’un de leurs passagers, Nicolas Pisapia et Alain Castany, membre de l’équipage et apporteur d’affaires. Mais ces deux derniers sont restés sur place. C’est peu de dire qu’ils sont furieux. Ils n’ont pas été prévenus des projets des deux pilotes…  Les quatre hommes, après quinze mois de détention provisoire, ont été condamnés à 20 ans de prison. Une parodie de justice, un scandale, une condamnation sans preuves, sans débat contradictoire, tonne ce mardi, lors de la conférence de presse, Eric Dupond-Moretti, voix de stentor, physique à la Falstaff.  Bref, répète l’avocat, ils ont bien fait de quitter Saint-Domingue. Mais attention, ils ne fuient pas la justice. Ils seront prêts, dit-il en substance à se rendre à Marseille pour y être interrogés par la juge d’instruction. Et sans rire, l’avocat de déclarer : "Cette affaire rappelle Emile Zola qui a défendu Dreyfus avec son célèbre "J’accuse".  Silence dans les rangs des journalistes un peu stupéfaits de cette comparaison. Galopent les jours. Quand, coup de théâtre qui surprend tout le monde, Pascal Fauret et Bruno Odos sont interpellés au petit matin à leur domicile respectif. L’un des pilotes voit se présenter chez lui une escouade de gendarmes.  Comme un bandit de grand chemin. L’épouse de Pascal Fauret manifeste bruyamment sa colère à l’égard de la juge d’instruction de Marseille, Chrstine Saunier- Ruellan , celle-là même qui a repris le dossier Guerini instruit jusqu’à son départ par Charles Duchaine. La juge a délivré un mandat d’amener contre les deux pilotes. Le juge des libertés et de la détention les a placés en détention provisoire avant leur départ pour le tribunal de Marseille où ils seront interrogés par la juge d’instruction. Ainsi donc, les héros d’un jour sont devenus les pestiférés du lendemain. On se frotte les yeux pour le croire. Le très médiatique Eric Dupond-Moretti, habitué des dossiers périlleux, toujours prompt à renverser la vapeur se serait-il montrer trop optimiste ? Ou naïf ? Certes, la juge, c’est ce qui se pratique dans 99% des cas, aurait très bien pu adresser une convocation par fax ou prendre contact par téléphone avec les avocats et dire la date et l’heure à laquelle elle souhaitait interroger les deux pilotes… Elle ne l’a pas fait. Pour quelles raisons ? Aurait-elle voulu donner des gages à la justice dominicaine, comme l’a laissé entendre Me Reinhart ?  Cela parait difficile à croire. A-t-elle voulu asseoir son autorité dans un dossier délicat qu’elle instruit depuis  2012, qui compte déjà une dizaine de mises en examen, avec comme point commun ce fameux Falcon 50 ? Possible. Car les différentes traversées  - une dizaine- Outre –Atlantique, de Saint- Tropez vers Quito (Pérou) Punta-Cana (République dominicaine) font l’objet de suspicions : le Falcon 50, avait  dans sa cargaison non pas des caramels mais de la drogue. De plus à chaque fois, le Falcon 50 avait les mêmes pilotes Pascal Fauret et Bruno Odos… Lesquels depuis le début de cette instruction, tant en métropole qu’à Saint Domingue jurent n’a avoir jamais rien su de la marchandise transportée.  Evidemment la façon, disons brutale, avec laquelle la juge a fait comparaître les deux pilotes risque de susciter un tir groupé contre le juge d’instruction, "l’homme selon Balzac, le plus puissant de France." D’autant qu’au même moment, on apprenait que cette magistrate, qui s’intéresse à un voyage à bord de ce Falcon 50 effectué par Nicolas Sarkozy et facturé à son ami Stéphane Courbit, le patron de Lov Group,  s’est livré à des investigations pour connaitre la géolocalisation des  deux téléphones portables de l’ancien président entre mars et avril 2013. Elle a même demandé les fadettes des deux  portables, sur une période d’un an… De là à penser que la juge souhaitait savoir si l’ancien chef de l’Etat avait fait un petit  tour en République Dominicaine, et qui sait avoir des liens avec les mis en examen dans ce sulfureux dossier, il n’y a qu’un pas que n’a pu franchir la magistrate… Et pour cause : il n’y a rien. Rien qui puisse être reproché à l’ancien chef de l’Etat. A peine le JDD a-t-il publié son scoop que, du côté de l’opposition, c’est l’agitation tous azimut. C’est notamment Luc Chatel qui déclare : "Trop c’est trop. Est-ce que Mme Taubira savait que Nicolas Sarkozy avait vu ses fadettes épluchées sur un an ?" . Poser la question c’est déjà –presque- y répondre. A moins que les pratiques en matière d’affaires signalées aient changé,-elles sont immuables sous tous les gouvernements- il est clair que celle instruite par la juge de Marseille en est une,  l’information doit remonter du parquet de Marseille à la direction des affaires criminelles et des grâces… Qui alerte le conseiller pénal de la Garde des Sceaux. Qui à son tour informe le (la) ministre… Nicolas Sarkozy ne s’y est pas trompé, lui qui pose cette question dans un entretien au Parisien : "Croyez-vous qu’on géolocalise le chef de l’opposition, qu’on écoute ses conversations au téléphone, tout son entourage, sans que la garde des Sceaux en soit informé ?" Et l’ancien chef de l’ Etat de préciser qu’il a chargé son avocat, Me Thierry Herzog, de "saisir le procureur de Marseille pour obtenir ces réponses."

Décidément, Nicolas Sarkozy ne semble en avoir jamais fini avec les juges : hier, il était mis en examen tard dans la nuit dans un appendice de l’affaire libyenne – celle dite des écoutes-  Hier encore, il était dans le collimateur du juge Jean-Michel Gentil dans l’affaire Bettencourt. Ce dernier ne parvenant pas à l’épingler pour financement illicite de campagne électorale l’avait finalement mis en examen pour complicité d’abus de faiblesse avant de lui décerner un non-lieu, au terme de face à face plutôt musclés. Voilà donc le juge d’instruction à nouveau en première ligne, fortement critiqué par l’opposition. Laquelle ne propose pas sa suppression, (en tout cas pas trop fort) mais préfère s’en prendre à Christiane Taubira et ses projets de justice du XXI ème siècle…C’est beaucoup plus payant sur le plan électoral.  Car on peut prendre le pari : lorsque l’opposition reviendra au pouvoir, elle ne supprimera pas le juge d’instruction. Il lui sera très utile pour déterrer les affaires de la gauche ! 

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