Emeutes de Moirans : le profil atypique de Jean-Yves Coquillat, le procureur de Grenoble qui mène l’enquête<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Yves Coquillat.
Jean-Yves Coquillat.
©Reuters

Homme de droit

La petite ville de Moirans dans l’Isère a été le témoin de scènes d’émeutes ahurissantes. Des voitures ont été détruites. Des barrages édifiés par des individus cagoulés. Dans le viseur de la justice : des gens du voyage et peut-être d’autres. Le procureur de Grenoble, Jean-Yves Coquillat, magistrat atypique, promet la fermeté. Portrait.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Plutôt massif, cultivant une bonhommie qui cache une incontestable fermeté, tel est apparu hier sur les chaines de télévision, le procureur de Grenoble Jean-Yves Coquillat. C'est lui qui dirige les investigations sur les émeutes qui ont enflammé la ville de Moirans (Isère) et provoqué la destruction de 35 voitures, l’incendie d’un restaurant, l’édification de barrages routiers par des individus cagoulés, et une détérioration des voies ferroviaires entrainant des perturbations importantes au niveau du trafic. Jamais, cette commune de l’Isère de 8 000 habitants - située à une vingtaine de kilomètres de Grenoble- n’avait connu pareil évènement dont l’origine se trouve dans le refus de la justice d’accorder à un détenu, membre de la communauté des gens du voyage, d’obtenir une permission de sortie pour se rendre aux obsèques de son frère mort trois jours plus tôt, dans un accident de voiture à la suite d’un cambriolage. Hier, mercredi 21 octobre, lors d’une conférence de presse, le procureur de Grenoble l’a dit et répété : la fermeté sera la règle, la justice passera pour ceux qui ont commis des actes répréhensibles…Et pour bien montrer qu’il n’agit pas en fonction d’impératifs politiques, il a martelé : "Les interpellations d’émeutiers ne sont pas décidées en fonction d’une volonté politique", avant de préciser : "toute précipitation et toute pression excessive peut nuire au résultat d’une enquête." Une façon de dire à la classe politique tout entière, de droite et de gauche. En substance : laissez la justice travailler et ne vous livrez pas à des commentaires hasardeux.

Tout en martelant, ce que l’on entend peu souvent chez les magistrats, que les peines doivent être effectuées dans leur totalité. Qui est donc ce procureur de la République que la France entière vient de découvrir ? Agé de 59 ans, après sa sortie de l’Ecole nationale de la magistrature en 1978, il effectue un parcours classique puisqu’il est successivement juge d’instruction à Mâcon avant de devenir tour à tour substitut à Mulhouse et Bourg-en-Bresse. En 1994, le voici promu, procureur adjoint à Lyon, puis procureur à Besançon en 2003 où il reste jusqu’à la fin 2011 date à laquelle il est appelé à diriger l’important parquet de Grenoble, où il ne s’est pas fait que des amis, -nous le verrons- notamment chez les avocats. Mais c’est dans la capitale de la Franche-Comté que le procureur Coquillat imprime sa marque. C’est ainsi qu’il bouscule les habitudes du tribunal afin que l’écart entre le prononcé de la peine et son exécution soit le plus court possible. Quand il arrive au tribunal de Besançon, il fallait un an et demi avant qu’un jugement ne soit exécuté. Lui, il décide que, dorénavant, les jugements seront tapés dans les trois semaines et les peines exécutées dans les trois semaines qui suivent. Et pourtant, déjà, phénomène récurrent, la juridiction manque de magistrats et de fonctionnaires. Par contre, s’il classe bon nombre de plaintes soit parce qu’elles ne sont pas poursuivables ou que l’auteur de l’infraction est inconnu, il se montre intraitable avec la délinquance des mineurs. Il ne classe pratiquement aucune plainte. A ses yeux, cette délinquance ne doit en aucun cas être ignorée. A l’époque, le procureur réclamera la création d’un centre de détention fermé pour mineurs. Mais qu’on ne s’y trompe pas : fermeté certes, mais pas tolérance zéro. Et il le dit fréquemment : "Ce n’est pas un signe de faiblesse que de donner sa chance à quelqu’un". Mais le procureur de Grenoble est pugnace. L’échec, il ne le supporte pas, quitte à désavouer ses substituts. C’est ainsi qu’il relancera l’affaire dite du Saut du Doubs. Il s’agissait d’un car transportant des handicapés qui était tombé dans un ravin et avait causé la mort d’une personne. Le substitut, considérant que la conductrice n’avait commis qu’une faute légère, avait, à la surprise des enquêteurs, abandonné les poursuites. Jean-Yves Coquillat, en désaccord avec la position de son substitut les avait réactivées. Quelques années plus tard à Grenoble, le magistrat fait à nouveau parler de lui. C’était en novembre 2012. A cette époque, il avait diligenté une enquête préliminaire visant une avocate, pour faux et production d’un certificat médical de complaisance. L’avocate en question avait sollicité un report d’audience pour raisons médicales la concernant. L’initiative du procureur avait déclenché une grève-qui dura trois jours- des avocats du Tribunal et suscité une lettre ouverte de protestation du président du conseil national des barreaux, Me Christian Charrière-Bournazel à l’intention de Jean-Yves Coquillat. La tension entre le procureur et les avocats s’avéra si forte qu’une demande de saisine du Conseil supérieur de la magistrature avait été faite auprès de la garde des Sceaux, Christiane Taubira. Impétueux Jean-Yves Coquillat ? Sans doute. Rugueux ? Sans doute. Mais aussi peu adepte de la langue de bois. Il l’a démontré, le 17 janvier dernier, lors de la rentrée solennelle du Tribunal lorsqu’il se montre partisan de la dépénalisation de la consommation du cannabis. La raison ? Tout simplement parce que depuis 40 ans, dit-il, la politique répressive dans ce domaine a totalement échoué. Chez les représentants des policiers et gendarmes présents ce jour-là, on tousse un peu… Beaucoup. Aujourd’hui, le procureur se retrouve sur le devant de la scène, pour des faits d’une grande gravité. Mais à ceux qui pensent qu’un magistrat pourrait rendre compte au pouvoir politique qui lui dirait ce qu’il a à faire, Jean-Yves Coquillat a répondu : "L’enquête [sur les événements de Moirans] est conduite sous ma seule responsabilité."

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