Confronté à la récession la plus grave depuis la fin de l’URSS, Poutine est-il encore vraiment l'homme fort de la Russie ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Vladimir Poutine est-il encore vraiment l'homme fort de la Russie ?
Vladimir Poutine est-il encore vraiment l'homme fort de la Russie ?
©Reuters

Défi pour le Kremlin

L'économie russe vit sa plus grave récession depuis la fin de l’URSS, alors qu'avant les sanctions économiques européennes et américaines, la croissance du pays était à 8%.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

Voir la bio »

Atlantico : Quels sont les effets visibles sur le plan local de ces sanctions économiques ? 

Cyrille Bret : L’économie russe pâtit de la conjugaison de plusieurs phénomènes, endogènes et exogènes, qui ont sur l’activité des conséquences directes et manifestes. L’économie russe traverse une crise commerciale, une crise monétaire et une crise financière structurelle qui se traduira, en 2015, par une contraction du PIB de plus de 3% (3,8% selon la Banque mondiale).

La crise commerciale est désormais bien identifiée : depuis un peu plus d’un an, les cours des hydrocarbures se sont contracté de plus de 50%. Par exemple, les cours du pétrole sont revenus à leur niveau de 2009. Avec un prix du baril oscillant autour des 50 dollars, la Russie, ses agents économiques privés et ses pouvoirs publics, se trouvent exposés à un choc exogène massif. La crise monétaire est évidente : le rouble est constamment chahuté sur le marché des changes et la Banque centrale est contrainte de relever les taux à 10% pour éviter la dégradation des cours (-17% face au dollar depuis le début de l’année). Cette double crise contribue à tarir ou à renchérir les investissements : ainsi, les indicateurs avancés pointés par la Banque mondiale dans son rapport de septembre 2015 fait état d’une baisse des investissements dans le secteur privé et d’une stagnation des embauches.

Très concrètement la crise économique russe se traduit dans tous les aspects de la vie économique de la nation : les salariés voient leur pouvoir d’achat réduit par une inflation importante notamment via le canal des importations. La Banque mondiale estime à -8,5% la diminution des revenus réels (par oppositions aux revenus nominaux) durant le premier semestre 2015. Les entreprises voient leurs financements se renchérir considérablement voire disparaître en raison de l’absence d’accès aux marchés de capitaux occidentaux ; le taux de pauvreté est passé à près de 15% ; les commandes industrielles sur les marchés internationaux sont à la baisse. Il n’y que le taux de chômage qui reste modeste à 5,3% de la population active.

Contrairement aux annonces du président russe lors de la conférence de presse du 18 décembre 2014, le plus dur de la crise russe n’est pas passé : ce sont les conditions de tous les agents économiques russes qui sont négativement impactée, pour une durée assez longue.

Les oligarques influents en politique souffrent-ils de cette situation ? Quel niveau de confiance accordent-ils à Vladimir Poutine, celle-ci pourrait-elle vaciller, et comment cela pourrait-il se traduire ?

Il est courant, en Occident, de prévoir et même de souhaiter, une révolte des oligarques contre le pouvoir présidentiel. On pointe actuellement des phénomènes pouvant s’apparenter à un « long putsch » contre Vladimir Poutine, c’est-à-dire la mise à l’écart progressive des hommes du président. S’agit-il d’une préfiguration d’un retrait du président russe ?

On peut aujourd’hui affirmer, avec un certain degré de certitude, que le pouvoir du président russe n’est pas en danger : contrairement au président Eltsine, Vladimir Poutine a réussi à instiller chez les oligarques une certaine discipline notamment à travers l’affaire Ioukos. En outre, les oligarques affectés personnellement par les sanctions et économiquement par la conjoncture économique, ont tout intérêt à ce que le pouvoir politique reste ferme en attendant un retournement de conjoncture : le pouvoir politique leur garantit en effet les conditions d’exercice de leurs activités, notamment à travers un protectionnisme informel développé.

A ce jour, l’effritement du pouvoir présidentiel est encore une hypothèse irréaliste.

La perspective d'un marasme économique est un défi pour le Kremlin, qui comptait sur l'augmentation du niveau de vie de sa population pour être soutenu. La stature de l'homme qui incarne la nation russe pourrait-elle s'éroder avec la diminution du niveau de vie des russes ?

Le contrat social russe conclu tacitement depuis la fin des années 1990 entre la population et ses dirigeants se rapproche de celui que François GODEMENT pointe dans Que veut la Chine ? : les dirigeants offrent à la population russe une progression régulière du PIB par tête, notamment grâce à la redistribution des revenus des hydrocarbures et, en échange, ils apportent à leurs dirigeants, un soutien de long terme. De fait, durant les années 2000, les conditions de vie de la population se sont sensiblement améliorées ; malgré la crise des années 2007-2008. Et, en échange, le soutien au partie Russie Unie et à la présidence Poutine a été ferme comme l’attestent, scrutin après scrutins, les résultats électoraux. Si les contestations politiques ont été réelles, elles sont restées limitées à certaines zones géographiques (les mégapoles de Russie européenne), à certains groupes sociaux (les jeunes diplômés urbains) et à certains types de médiats (les réseaux sociaux).

Avec la triple crise économique actuelle, ce contrat social peut être remis en cause. Toutefois, le contrat social russe comporte un aspect supplémentaire : en échange d’une faible contestation, les autorités garantissent la société contre les fléaux de l’ère Eltsine. L’humiliation sur la scène internationale, la réduction des forces armées sur le plan militaire, l’anomie au niveau gouvernemental, la multiplication des forces centrifuges dans la Fédération, la toute-puissance des oligarques et le pillage corrélatif des biens publics, etc. : tous ces phénomènes ont été activement combattus par l’administration Poutine. Les résultats obtenus (retour de la Russie dans son étranger proche et sur la scène internationale, subordination des potentats locaux et des oligarques à une présidence forte, nationalisation de ressources stratégiques : tous ces aspects contribuent au socle du régime actuel.

En conséquence, même si la dégradation des conditions de vie est sensible, la fierté nationale constitue pour le régime une garantie puissante. Elle peut n’être que temporaire, si la crise venait à perdurer plusieurs années, mais l’assisse du régime est large et solide.

Par ailleurs, quel message l'intervention en Syrie envoie-t-elle en filigrane à ses opposants ?

L’intervention en Syrie – ou plus exactement la montée en puissance d’un dispositif militaire déjà existant depuis 1971 – a une portée significative en politique intérieure russe. Les objectifs du président Poutine sont pluriels : compenser les difficultés économiques par un élan patriotiques, à l’évidence ; mais d’autres objectifs plus fins se mêlent à cet agenda. En déclenchant une « croisade » russe contre le djihadisme, les autorités russes envoie un message clair aux 15% de musulmans que compte la population de la Fédération de Russie : la contestation confessionnelle ne peut être acceptée ; en outre, elle indique une direction que prend la société russe depuis le retour de Vladimir Poutine à la présidence : la militarisation de la société est forte et évidente jusque dans les rues des grandes villes russes.

Les opposants politiques (comme Alexeï Navalny) ou plus sociétaux (comme les associations de mères de soldats, les ONG ou les groupements de lutte contre la corruption) sont mises en garde : au moment où la Russie s’engage sur plusieurs théâtres extérieurs (Syrie, Donbass, Arctique), la dissidence s’apparente à une forme de trahison. Enfin, l’opération syrienne indique à l’opinion que la Russie déploie une stratégie active de préservation des débouchés de son complexe militaro-industriel : la Syrie est un client historique comptant pour 10% de ses exportations de défense. Dans l’opération syrienne, les autorités russes indiquent à tous les acteurs de la scène politique russe qu’elles chercher des relais de croissance ailleurs qu’à l’Ouest.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !