Pourquoi l’affaire Nadine Morano est la dernière polémique dont Nicolas Sarkozy avait besoin face à l’offensive de ceux qui l’accusent d’avoir des convictions Canada Dry<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Républicains (LR) comptent retirer à Nadine Morano son investiture pour les élections régionales en Meurthe-et-Moselle.
Les Républicains (LR) comptent retirer à Nadine Morano son investiture pour les élections régionales en Meurthe-et-Moselle.
©Reuters

Grand écart

Le président des Républicains, qui n'avait pas encore réagi à la polémique déclenchée samedi soir 26 septembre par la députée européenne, a annoncé par communiqué la saisine de la Commission nationale d'investiture "pour lui proposer de retirer l'investiture en Meurthe-et-Moselle à Nadine Morano" lors des prochaines élections régionales, en précisant que ses propos sur la race blanche "ne correspondent ni à la réalité de ce qu’est la France ni aux valeurs défendues par Les Républicains".

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Atlantico : Les Républicains (LR) comptent retirer à Nadine Morano son investiture pour les élections régionales en Meurthe-et-Moselle, après ses propos sur la France, un pays de "race blanche" selon elle. Nicolas Sarkozy avait-il d'autres alternatives ?

Jean-Sébastien Ferjou :Nicolas Sarkozy n'avait en réalité pas beaucoup d'autre choix. A mesure que la polémique a enflé, Nadine Morano s'est enfermée dans une impasse en assumant une nouvelle fois ses propos sur Europe 1. Dans l'émission de Laurent Ruquier, la députée européenne a dit quelque chose qui aurait encore pu être défendable puisqu'elle s'appuyait sur une citation - supposée - du Général de Gaulle… En revanche, en réitérant ses propos, elle ne pouvait ignorer la tournure qu'avait pris la polémique. Nadine Morano a fait le choix d'assumer la répétition d'un mot dont on sait parfaitement qu'il ne fait plus partie du registre lexical acceptable de la République.

Nicolas Sarkozy ne pouvait donc pas, en tant que président de parti, ne pas prendre en compte l'émotion suscitée par cette affaire. D'autant que Manuel Valls est monté au créneau mercredi sur le sujet à l'Assemblée nationale, et que les centristes tout comme un bon nombre d'élus républicains se sont indignés pour des propos de la députée européenne. 

Quelles sont les conséquences politiques de cette réaction de la part de Nicolas Sarkozy ?

On peut voir un double piège qui se referme sur Nicolas Sarkozy dans cette affaire. Premièrement parce qu'au-delà de la polémique sur le fond, elle a pris une dimension personnelle. Nadine Morano ne dissimule pas son amour politique déçu pour Nicolas Sarkozy, elle qui considère avoir fait beaucoup pour lui et qui en retour se trouve exclue de son premier cercle. D'autant qu'elle laissait déjà entendre en coulisse ces derniers jours que Nicolas Sarkozy n'avait qu'à bien se tenir, et que s'il ne l'incluait pas dans ses plans, elle avait un potentiel politique suffisamment important pour lui nuire. On y est arrivé, et Nadine Morano a fini par déclarer mercredi dans Le Point que s'il se présentait à la présidentielle, elle le "dézinguerait". Il y a un moment où devant une grenade émotionnelle - et politique - dégoupillée, deux traitements sont possibles : soit il la cajole, soit il la met sous silence. Manifestement, le cas Morano n'avait pas été traité.

Deuxième piège pour lui, un piège cette fois plus politique : cette polémique l'a contraint de sortir de l’ambiguïté sur un sujet qui "travaille" profondément l'électorat de droite. En effet, il y a deux manières de percevoir les propos de Nadine Morano. Il y a d'une part la construction médiatique de la polémique, la manière dont ses propos sur la "race blanche" ont été retranscrits dans les médias et par la classe politique et la résonance raciste qu'ils ont incontestablement dès lors qu'on ne s'inscrit plus dans la simple citation de propos tenus il y a 50 ans.

Mais on peut aussi imaginer une compréhension, une perception plus "populaire" des propos de Nadine Morano. Car sur le plateau d'On n'est pas couchés, si Nadine Morano parlait effectivement de "race blanche", elle parlait surtout de sa crainte et de son refus de voir la France devenir un pays majoritairement musulman face à un Yann Moix lui répondant que cela était à la fois possible et parfaitement acceptable.

Pour autant, cela ne veut pas dire que les Français aient été insensibles au potentiel excluant et scandaleux du mot "race", mais un certain nombre peuvent avoir compris ou avoir eu envie de croire qu'il s'agissait d'une maladresse de Mme Morano plus que de racisme assumé. Car ce qu'ils entendent aussi, certainement plus d'ailleurs que la volonté d'établir une hiérarchie raciale entre les populations, c'est la question de savoir si l'on veut oui ou non un changement de population et d'identité en France. 

Nicolas Sarkozy a donc été contraint d'annoncer qu'il saisissait la Commission d'investiture pour que Nadine Morano soit déchue de sa position de tête de liste départementale aux élections régionales.

Il ne faut pas non plus oublier que tout cela se déroule dans un contexte où l'ancien Président doit faire face à une offensive politique d'adversaires décidés à le faire chuter. Il y a tout d'abord le livre de Geoffroy Lejeune, journaliste à Valeurs Actuelles, sur l'hypothèse d'une élection d'Eric Zemmour en 2017. Livre dans lequel on sent bien l'esprit de Patrick Buisson qui est entré dans une forme de combat, lui aussi personnel, contre Nicolas Sarkozy qu'il considère illégitime pour prétendre à un nouveau mandat présidence de la République.

Il faut aussi avoir à l'esprit la publication ce mercredi dans Le Monde des notes que Nicolas Sarkozy et Patrick Buisson ont échangées entre 2007 et 2012. Des notes que Patrick Buisson avait laissées délibérément sur son ordinateur afin que les juges les trouvent lors de la perquisition intervenue chez lui il y a deux ans dans l'affaire dite des sondages de l'Elysée, dans l'intention qu'elles fuitent et finissent par atterrir dans la presse - ce qui a fini par se produire. À l'époque, le calcul était de contraindre Nicolas Sarkozy à assumer une proximité idéologique avec le FN, proximité sensée apparaître à la lecture des notes. Les relations entre les deux hommes s'étant depuis rompues, l'usage politique est devenu différent, il s'agit désormais de montrer que Nicolas Sarkozy n'a aucune sincérité sur les sujets qui mobilisent une droite plus dure en demande de propos et d'action sur l'identité française et le contrôle par la France de son destin.

Autre élément de l'offensive à l'œuvre, l'ouvrage de Philippe de Villiers, proche de Patrick Buisson, publié jeudi et dans lequel l'homme politique vendéen dresse un portrait de Nicolas Sarkozy qui met à mal la sincérité politique de l'ancien président et qui le présente comme un homme n'ayant jamais cru réellement aux propos qu'il tenait dans le cadre de la stratégie de la ligne Buisson. 

De tous ces éléments, quel est l'argument majeur mis en avant pour décrédibiliser et délégitimer Nicolas Sarkozy ? Celui d'un président des Republicains qui serait un homme de droite forte "Canada dry", un homme politique qui provoquerait le débat sur l'identité française, mais qui dans le même temps serait secrètement favorable au multiculturalisme.

L'affaire Nadine Morano entre forcément en résonance avec ce contexte. Et ce procès en homme de droite "Canada dry" est quelque chose que Nicolas Sarkozy ne peut pas se permettre : il intervient au moment même où l'ancien président prend un virage stratégique et se re-présidentialise, alors qu'il comprend que sa personnalité ne suffira pas à lui faire remporter les élections primaires. Finis les stand-ups et les propos à l'emporte-pièce comparant les flux de migrants à une fuite d'eau. Virage qu'il a entamé il y a une dizaine de jours dans une interview au Figaro sur la crise des migrants. Dans ce même mouvement stratégique, il donnait hier une interview aux Echos où il propose un nouveau modèle économique et social et assume une stratégie de rupture, là où il y a quelques mois encore, il balayait l'hypothèse d'un retour sur les 35 heures. Sauf que la journée a été entièrement monopolisée, une fois encore par les soubresauts de la polémique Nadine Morano et que l'on scrutait une réaction de sa part sur ce sujet.

Comment Nicolas Sarkozy peut-il gérer cette conjoncture ?

La polémique Morano est doublement gênante politiquement pour lui car s'il la sanctionne, il se met à dos les tenants d'une droite plus identitaire, et en la sanctionnant il ne convainc pas forcément de sa sincérité les tenants d'une droite plus modérée et et attachée aux valeurs républicaines. Ce que l'affaire Morano met en lumière, c'est la question montante de la sincérité de Nicolas Sarkozy.

A plus long terme, il y a un risque que les thèmes qui seront abordés lors des primaires des Républicains comme l'identité, l'immigration soient pollués par le contexte politico médiatique. Car la gauche n'ayant plus de véritable matrice intellectuelle autre que celle de l'antiracisme, plus d'autres propos forts à tenir que ceux qui s'apparentent à une chasse aux atteintes supposées au valeurs de la République, le débat politique pourrait bien dériver vers un système où les médias seront concentrés sur la traque aux propos politiquement incorrects comme si chaque semaine devait trouver son nouveau raciste ou son nouvel islamophobe : récemment, c'était Michel Onfray qui était accusé de faire le jeu du Front national. Cette semaine, c'est au tour de Nadine Morano.

Et c'est cela qui sera difficile à gérer pour Nicolas Sarkozy, qui doit répondre à un électorat dont les sondages montrent qu'il est de plus en plus à droite, et ce tout préservant son alliance avec des partenaires modérés. Le Front national, lui, n'a plus besoin de prendre le risque de s'exposer à cette traque médiatique pour être crédible sur le thème de l'identité nationale et de l'immigration. Pas besoin pour Marine Le Pen de tenir des propos sur la race blanche ceux des électeurs qui sont à la recherche de ce type d'offres politiques savent très bien que le Front National est le parti qui correspond à leurs attentes qu'ils expriment ouvertement ou non. 

Gérer ses partenaires et aborder les attentes de son électorat, un grand écart bien périlleux.

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