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Les emplois les plus satisfaisants aujourd'hui sont ceux qui arrivent à répondre aux deux types de besoin : une technicité distinctive qui permet à la personne de se valoriser, et un environnement qui répond aux besoins sociaux et émotionnels.
Les emplois les plus satisfaisants aujourd'hui sont ceux qui arrivent à répondre aux deux types de besoin : une technicité distinctive qui permet à la personne de se valoriser, et un environnement qui répond aux besoins sociaux et émotionnels.
©Reuters

Le bonheur est au travail

Le travail occupe une place de taille dans l'esprit des Français. A l'heure où l'activité professionnelle se densifie, obtenir un emploi idéal est un objectif pour certains, un rêve pour d'autres. Pourtant, les ingrédients du plaisir au travail sont des composantes plus simples qu'on ne pourrait le croire.

Jawad Mejjad

Jawad Mejjad

Jawad Mejjad est docteur en sociologie, chercheur au Ceaq-La Sorbonne, enseignant et responsable pédagogique au Cnam, et gérant d'une société industrielle (Ermatel).

Ses réflexions et ses recherches portent principalement sur les valeurs et les structures d’organisation de la société, avec une focalisation sur l’entreprise, à l’aune de la postmodernité.

Il a publié Le rire dans l’entreprise, chez l’Harmattan, en 2010.

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Atlantico : Quels éléments permettent de rendre un emploi épanouissant ?

Jawad Meijad : Pour être épanouissant, un emploi doit permettre à la personne d'exprimer et si possible de développer ses capacités. Capacités techniques d'abord, et il est alors important que les exigences du poste occupé soient en adéquation avec la formation et le niveau intellectuel et ou manuel de l'employé, une personne sous ou surqualifiée ne pourra pas s'épanouir, dans un cas c'est l'angoisse et la dévalorisation permanente, dans l'autre c'est l'ennui et aussi la dévalorisation de soi. Mais il y a aussi les capacités émotionnelles et relationnelles. Un emploi, pour être épanouissant, doit laisser s'exprimer et se développer la réalisation de ces besoins de reconnaissance par les autres, d'appartenance à un groupe, de participation à l'atteinte d'objectifs communs. Il faut aussi insister sur le besoin peut-être le plus malmené dans notre société de crise, c'est le besoin de sécurité. On ne peut pas s'épanouir en allant au travail avec la peur latente et lancinante de se faire virer. Un emploi épanouissant se doit d'abord d'être sécurisant.

Quels sont les emplois les plus satisfaisants aujourd'hui dans notre société ?

Les emplois les plus satisfaisants aujourd'hui sont ceux qui arrivent à répondre justement aux deux types de besoin : une technicité distinctive qui permet à la personne de se valoriser, et un environnement qui répond aux besoins sociaux et émotionnels. Et un élément important de satisfaction est le travail d'équipe : travailler sur un projet, en commun. C'est ce que l'on trouve dans les start-up : une technologie de pointe et travailler ensemble dans un environnement cool. Et c'est le type d'organisation que veulent garder les grands groupes en privilégiant les travaux en projet, et en installant des salles de repos avec divan, baby-foot, salles de sport, de massage, etc.

D'après le psychologue Barry Schwartz, les emplois idéaux pour l'individu ne sont pas forcément ceux auxquels on pense. L'essentiel est d'avoir un travail qui a un sens, utile, et surtout de satisfaire les autres. Les travailleurs ayant un emploi manuel par exemple ont-ils plus de chance d'être épanouis que ceux que l'on nomme les cols blancs ?

Pas forcément. N'oublions pas tous les ravages des emplois manuels, et souvenons-nous des Temps modernes de Charlie Chaplin. En fait, tout dépend de l'organisation. Que ce soit un travail manuel ou intellectuel, si les bases de l'organisation sont dans la taylorisme, l'emploi ne pourra être qu'abrutissant. Il n'y a pas de différence de nature entre l'ouvrier serrant le même type de boulon à longueur de journée, et l'aide-comptable pointant des factures du matin au soir. L'utilité du travail est nécessaire, savoir à quoi ça sert. Celui qui construit un objet complet ou du moins une partie bien identifiée qui viendra compléter un ensemble, saura ce qu'il fait et aura une grande satisfaction à la vue de ce qu'il a fait. Ce qui n'est pas le cas de celui qui sert un boulon. Et c'est la même chose pour le comptable : si au lieu de lui faire faire des pointages, on lui dit que ses rapprochements ont pour but de relancer les impayés et de disposer ainsi d'une trésorerie suffisante pour pouvoir continuer, et de lui permettre de connaître les résultats de son action, il sera autrement motivé. Pour le dire autrement, un emploi, je ne dirais pas idéal, mais qui se donne les moyens de la satisfaction de l'employé et de sa motivation, est un emploi qui lui pemet de voir les résultats de ses actions et de leur impact sur le groupe et l'entreprise. Et pour cela il faut aller non pas vers la taylorisme et la décomposition des tâches, mais plutôt vers leur enrichissement.

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Quand on demande aux individus d'expliquer le choix de leur emploi, l'argent n'est quasiment jamais cité. Qu'est-ce qui motive les gens à travailler et est-ce nouveau ? Est-ce que la principale motivation, comme le disait Artistote, est le telos, la finalité ?

L'argent n'a pas toujours dans notre histoire l'importance que nous lui accordons dans notre modernité. Il traduit en fait notre organisation autour de l'économie, alors que celle-ci n'a pas toujours été encastrée dans le social pour reprendre l'analyse de Karl Polanyi. Il faut avoir en mémoire que notre modernité est toute récente, elle date de la Renaissance, et fait suite à l'époque Chrétienne, qui elle-même avait succédé à l'époque des Anciens. Si l'entreprise, qui est la fine pointe de la modernité et de sa vision économique du monde, est l'organisation type de notre société, c'est l'Eglise qui était l'organisation emblématique de la Chrétienté et c'est l'armée qui l'était au temps des Grecs et des Romains. Il en est de même des valeurs : ce qui était recherché par les Anciens c'était la gloire, par la Chrétienté c'était le salut de l'âme, et pour les modernes, c'est la satisfaction des besoins. Et pour satisfaire nos besoins, il nous faut de l'argent, qui nous sera fourni par le travail. Le Grand chez les Grecs et les Romains, et encore moins dans la Chrétienté, ce n'était pas le riche. Et encore moins la richesse par le patrimoine comme c'est notre cas. Ce serait trop long à développer ici, mais ce qu'il faut retenir c'est que l'argent n'a pas toujours eu la valeur que nous lui donnons. De plus, notre conception du travail part de ce postulat que l'on trouve chez Marx : l'employé vend sa force de travail  contre l'argent que lui octroie le capitaliste. Ce sont les règles de l'échange à la base, règles au fondement du taylorisme et du fordisme : l'ouvrier n'est motivé que par l'argent. Théorie mise à mal par E.Myo et ses expériences notamment d'Hawthorne. Et puis il ne faut pas oublier qu'une augmentation de salaire, si elle fait plaisir, ne motive pas. Herzberg avait bien montré la différence à faire entre motivation et contentement : la motivation ne vient pas de l'élimination des facteurs d'insatisfaction (salaire, conditions de travail, etc) mais par le développement des facteurs de motivation : accomplissement, dévelopement personnel, responsabilité, initiative, reconnaissance, solidarité du groupe... La composante salaire est à intégrer dans le besoin de justice : rémunérations équitables, salaire équivalent à travail équivalent, partage équitable des fruits de l'effort. Mais le plus important est le sens de ce que l'on fait, le telos aristotélicien effectivement, et c'est ce qui semble le plus perdu même au niveau de la société globalement, et qui génère stress et démotivation. Une personne qui réalise un travail dont elle sait et partage le sens et la finalité, dans une organisation solidaire qui l'écoute, qui lui permet de développer des capacités, une telle personne a toutes les chances d'être motivée et épanouie dans son travail.

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