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Risque de déflation : la BCE est-elle aveugle et sourde ?
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Psychorigide

La monétisation de la dette est-elle une solution au problème de la dette publique ? Depuis que les marchés ont refusé d'acheter une partie des obligations émises par l'Allemagne sur sa dette cette semaine, le doute existe de moins en moins...

Driss Lamrani

Driss Lamrani

Driss Lamrani a exercé pendant plus de 10 ans les métiers de banquier d'affaires, d'opérateur de marché sur les produits dérivés et d'analyste financier au sein de divers établissements bancaires. Il a aussi participé à plusieurs ouvrages, en tant que spécialiste des opérations de marché.

Il a récemment publié, aux Editions Mélibée, un ouvrage intitulé "Vers de nouvelles bulles spéculatives... Comment les éviter ?", préfacé par Jacques Attali. Il est actuellement  stratégiste et économiste au sein d'un fonds alternatif à Londres spécialisée dans le Global Macro.

Il s'exprime sur Atlantico à titre personnel, et ses propos n'engagent en aucune façon son employeur.

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La défiance des investisseurs vis-à-vis des dettes souveraines de la Zone Euro atteint dorénavant tous les États membres après l’échec de l’adjudication de la dette Allemande du 23 novembre 2011. Mais la BCE reste sourde aux nombreux appels pour dévaluer l’Euro et se constituer comme prêteur en dernier ressort des Etats membres. La BCE appuie sa position sur trois raisons principale:

1°) Elle souhaite imposer son indépendance vis-à-vis des Etats membres.

2°) Elle refuse de participer à des transferts budgétaires des Etats vertueux vers les Etats dépensiers.

3°) Elle souhaite maintenir la pression sur les Etats membres pour qu’ils mettent en œuvre les réformes des finances publiques nécessaires pour respecter les exigences de Maastrich.

Cependant,  l’entêtement de la BCE risque de mener les économies de la Zone vers un scénario de déflation que le conseil de la Banque Centrale occulte aujourd’hui. En effet, pendant que la BCE et la politique économique allemande s’inquiètent du risque inflationniste, le scénario de la déflation se met en œuvre partout dans les Etats membres. La baisse des marchés financiers et la dégradation de la solvabilité des Etats souverains se traduisent par un appauvrissement généralisé et important des ménages européens (baisse de la valeur de marché de l’épargne Européenne). Cet appauvrissement allié à la dégradation du marché de l’emploi [1] (liée à la baisse de la croissance, d’une part, et à la réduction des subventions des Etats à de nombreux secteurs économiques [2], de l’autre) devrait se traduire par une réduction de la consommation et des prix. Nous constatons d’ores et déjà que de nombreux commerces utilisent diverses promotions pour baisser les prix et maintenir leurs ventes.

Ce mécanisme déflationniste s’auto-entretient dans un cercle vicieux. En effet, la baisse de la consommation induit la baisse des marges des entreprises, la réduction des patrimoines (dont la valorisation dépend du contexte économique), la baisse de la croissance et la hausse du chômage. Cette dégradation du marché de l’emploi justifie des baisses de consommation complémentaires et l’installation de la spirale déflationniste.

Le risque déflationniste semble être occulté, à ce jour, par la BCE qui se concentre sur les publications de statistiques d’inflation à court terme, sans tenir compte des projections à plus longue échéance compte tenu des facteurs de risques. Force est de constater que le scénario déflationniste dispose de fondements importants compte tenu de la démographie européenne. Le vieillissement des populations européennes et la réduction des taux de natalité créent une pression supplémentaire pour le financement des prestations sociales. Ce problème de financement se traduit par la baisse de la compétitivité et par l’augmentation des délocalisations et de chômage.

Pour faire face à ce risque, la BCE devrait se doter rapidement d’un programme ambitieux d’accroissement des liquidités, à travers la monétisation des dettes, qui dévaluerait l’Euro. Un tel programme devra s’accompagner de deux contraintes. La Banque Centrale devrait s’assurer que les institutions financières qui participeront à ce programme, s’engageront à renforcer leurs solvabilités et utiliseront les nouvelles liquidités pour accompagner l’investissement et la croissance (au lieu de les détourner vers les économies émergeantes comme ce fut le cas aux Etats-Unis, lorsque le Carry Trade a réduit fortement l’efficacité des différents programmes de Quantitative Easing). Elle devrait aussi exiger des Etats membres (dont elle monétiserait les dettes) de s’engager sur la mise en œuvre de réforme fiscale, sociale et administrative devenus nécessaires face à la mondialisation et à la concurrence des BRICS.

Les Etats membres bénéficieraient, par ce mécanisme, du retour de la croissance. Il leur permettra d’accroitre leurs revenus fiscaux, et de réduire les dépenses publiques liées aux paiements des taux d’intérêts. Ce double effet positif permettrait de mettre en œuvre les réformes structurelles sereinement pour préparer une convergence des modèles économiques et sociaux ; dans la perspective de la création d’une Zone Monétaire optimale qui aura défini un équilibre entre l’économie de marché et l’Etat providence adapté à la concurrence internationale et aux moteurs de croissance économique.

Depuis quatre ans, les États et les banques centrales ont démontré leur incapacité à anticiper les risques. Aujourd’hui, les conséquences et les perspectives sont catastrophiques. La BCE devrait apprendre de ces erreurs, et agir avant qu’il ne soit trop tard et que sa crédibilité soit mise en question [3]. Le scénario déflationniste annihilerait totalement tout avenir pour l’Euro en tant que monnaie et plongerait l’Europe dans un dangereux inconnu.


[1] Nous assistons depuis plusieurs semaines à de nombreuses annonces de plan de licenciement dans la quasi-totalité des secteurs économiques.

[2] La situation d’endettement des Etats membres ne permet pas de mettre en place des programmes de relance budgétaire, comme ceux mis en place en 2008 (ex : apport de fonds propres pour les institutions financières, aides ciblées pour l’industrie automobile…).

[3] La dégradation de la solvabilité des Etats membres se traduirait par de la reconnaissance de la BCE d’importantes pertes financières notamment dans son activité de financement des banques en contrepartie de garantie sur des obligations souveraines. Ces pertes seront absorbées par un accroissement de l’endettement des Etats membres dont les dettes sont déjà à un niveau stratosphérique.

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