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UNESCO : pourquoi les chants péruviens et pas la porcelaine de Limoges ?
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Patrimoine de l'humanité

L'UNESCO a inscrit ce vendredi deux nouveaux concepts au patrimoine immatériel de l'humanité. Les grands gagnants sont : l'Al Sadu (tissage bédouin) et l'Eshuva (chants péruviens). Notre bonne vieille porcelaine de Limoges ne fait malheureusement pas partie des nouveaux élus...

Dominique Audrerie

Dominique Audrerie

Dominique Audrerie est un expert indépendant des questions environnementales.

Il est également docteur en droit de l'environnement et ancien directeur du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (en 1993).

Il est avocat à la Cour et maître de conférences.

Il est l'auteur de Petit vocabulaire du patrimoine culturel et naturel (Confluences, 2003).

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Atlantico : Quel est l’intérêt de s'inscrire au patrimoine immatériel de l’Humanité ?

Dominique Audrerie : Le premier intérêt est une reconnaissance universelle de la qualité ou de l’importance d’un lieu, d’un concept. De sa relation, non seulement avec un territoire local, mais aussi des populations éloignées avec des cultures différentes. S’inscrire au patrimoine mondial, c'est s'inscrire dans une logique ou la culture n’est pas l’affaire de quelques-uns mais d’une participation, d’une pensée commune, celle de l’humanité. C’est cet ensemble qui donne son caractère universel à une culture.

Tout ne peut pas être ramené à des considérations matérielles. Il y a des croyances, des rêves, des mythes, des savoir-faire,  qui ont leur transcription dans la matière mais qui d’abord sont d’ordre intellectuel. Ils ont besoin d’être reconnus en tant que tel. On parle de la cuisine, mais on peut aussi parler des langues. Ces dernières, vecteur de culture, sont un patrimoine immatériel très important.

Le patrimoine immatériel est un ensemble d’éléments essentiels à la relation entre les personnes. C’est aussi un élément essentiel dans l’approche matérielle des choses, ce supplément d’âme que l’on ne perçoit peut-être pas au premier abord. Un plat en France, c’est joli, on le partage, on le mange, mais ce n’est pas seulement cela. C’est avant tout l’art de se retrouver, de partager, de converser et de recevoir.

Existe-t-il aussi un intérêt financier ? Cela génère-t-il des subventions ?

Le patrimoine n’apporte pas en soi d’aides financières, sinon pour les pays les plus pauvres. Il existe la Fondation du patrimoine mondiale qui est un moyen d’aider les pays les plus démunis pour restaurer, entretenir leur patrimoine. Les pays comme la France n’y ont donc pas accès.

Ceci étant dit, la labellisation « patrimoine mondial » crée une notoriété qui à l’évidence facilite les échanges, en particulier touristiques. Il y a donc une dimension financière à travers l’attrait que peut apporter la labellisation.

Ce côté « inventaire à la Prévert », ou l’on mélange tout et n’importe quoi (de la cuisine française aux chants péruviens) ne risque-t-il pas de galvauder le concept ?

On pourrait penser la chose comme cela : la diversité nuit à l’homogénéité. En fait, ce patrimoine immatériel n’a rien d’homogène, il est représentatif de cultures, de croyances, de savoir-faire extrêmement différents à l’échelle planétaire. C’est précisément ce qui en fait l’intérêt, montrer l’immense variété des comportements et des croyances. Loin d’être un inventaire à la Prévert, il nous rappelle que nous sommes tous différents et que c’est cette différence qui fait notre richesse.

Qui décide de l’intégration de tel ou tel concept ? Pourquoi les chants péruviens et pas la porcelaine de Limoges ?

Il y a une proposition qui est faite par les Etats. Les dossiers, élaborés par des techniciens, sont ensuite examinés par une commission de l’UNESCO qui réunit les représentants des Etats.

Il peut y avoir plusieurs raisons à l'intégration d'un concept. Cela peut tenir à un dossier insuffisant, pas assez construit. On peut avoir présenté de belles photos ou arguments, sans être allé assez loin dans la justification. C’est peut-être le cas de la porcelaine de Limoges (dont le dossier a été refusé par la commission de l’UNESCO). Ces dossiers sont de plus en plus compliqués à construire. Il faut de bons techniciens, compétents, qui arrivent à déterminer la pertinence d’un évènement, d’un lieu, d’une pratique particulière.

Il peut y avoir aussi un patrimoine, certes intéressant, mais qui n’a pas de pertinence au niveau mondial. Tout ne peut pas être « patrimoine mondial », il faut faire des choix, et quand l’on fait des choix, il y a forcément des choses que l’on laisse de côté.

Il y a également des pays moins favorisés, avec un patrimoine exceptionnel, méconnu de beaucoup, qu’il faudrait aider à valoriser, faire connaitre et protéger. Peut-être que Limoges n’avait pas cette urgence que d’autres pays peuvent avoir.

Existe-t-il des risques de lobbying ou même de corruption ?

La France et l’Italie ont pendant longtemps assuré une certaine influence, la vieille Europe étant à l’origine de toutes ces démarches. Mais aujourd’hui, le nombre d’Etats membres de l’UNESCO fait que l’équilibre existe entre les pays plus anciens et les pays nouveaux, moins armé pour ce genre d’exercice. Les pays européens, la France notamment, aident même les pays les moins favorisés à constituer un dossier, formuler leur demande. Cela fait partie de la convention UNESCO.

Connaissez-vous d’autres concepts qui n’ont pas été retenus ?

Nous sommes au courant mais les informations que nous avons sont confidentielles. Derrière, il y a des personnes, des groupes, des Etats. Il est difficile de communiquer à ce sujet. Dans la mesure où cela met en jeu des intérêts étatiques, le refus d’un dossier peut avoir des conséquences très négatives sur un pays. On pourrait qualifier un concept non retenu de « non intéressant » alors qu’il est tout simplement différent.

Sur quels types de concept la commission travaille-t-elle actuellement ?

Les sujets qui intéressent beaucoup la commission tournent autour de la spiritualité, de la croyance. C’est la tendance qui se dégage actuellement. Ce sont d’ailleurs des sujets très débattus car ils font intervenir des concepts qui ne sont pas nécessairement partagés par tous.

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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