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Mais que faut-il modifier dans les traités européens pour faire face à la crise ?
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Mécano

Nicolas Sarkozy a confirmé mardi sa volonté de modifier les traités européens avec la chancelière allemande. Des propositions seront formulées ce jeudi lors du mini-sommet de Strasbourg. Un renouveau qui serait nécessaire pour la convergence des politiques économiques en Europe.

Jean-Luc  Sauron

Jean-Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est professeur associé à l'Université Paris-Dauphine.

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Atlantico : Le gouvernement français s’est dit prêt à un faire un pas en direction de l’Allemagne concernant la modification du traité de Lisbonne. Pour quelle raison faut-il une fois encore changer les traités ?  

Jean-Luc Sauron : La raison pour laquelle il faut changer les traités, c’est l’impossibilité d’imposer des mesures contraignantes telles qu’évoquées par Angela Merkel dans le cadre actuel du Traité de Lisbonne. Elle souhaite des sanctions automatiques contre les pays qui ne respecteraient pas leurs engagements en matière de respect des obligations du pacte de stabilité et de croissance, et notamment la possibilité de les poursuivre devant la Cour de justice de l'Union européenne. Enfin, il est question de la création d'un nouveau commissaire en charge de la "stabilité", qui pourrait intervenir directement dans l'élaboration des budgets nationaux. Dans le contexte actuel du droit de l'Union, c'est impossible.

Sur le plan pratique, par exemple, les États qui ne respectent pas les conditions du pacte de stabilité et de croissance ne peuvent pas être poursuivis devant la CJUE (Cour de Justice de l'Union Européenne), c'est expressément écarté.


La France tend la main à l’Allemagne sur la question des sanctions, mais rien n’assure que l’Allemagne reconsidérera sa position quant à une intervention plus soutenue de la BCE. Quels sont les risques d'une modification du Traité de Lisbonne ne prenant en considération que les seules volontés allemandes ?

C’est tout l’enjeu du débat franco-allemand. Pour le moment, il est précipité de parler de positions communes, compte tenu de l’écart de positionnement entre les deux gouvernements.

Côté français, il est évidemment question d’une éventuelle modification de l’article 125 du Traité de Lisbonne, qui interdit actuellement à l’UE de porter assistance financière à un État membre de la zone Euro, c'est-à-dire permettre à la BCE (Banque centrale européenne) d'intervenir comme dernier prêteur et pouvoir ainsi racheter des dettes souveraines des pays de la zone euro. Mais aujourd'hui, compte tenu du blocage allemand, le risque encouru est celui d'un traité ne disposant que d'un versus répressif (sanction pour les États contrevenants), sans avoir cette « soupape » proposée par les Français d'élargir les possibilités d'interventions de la BCE.

Autrement dit, il est certes utile d’engager la restriction des dépenses publiques et de s'astreindre à la discipline budgétaire, mais il faut également desserrer l’étau des marchés sur les États. D’où l’idée de redéfinir le rôle de la BCE comme dernier prêteur, ou encore la possibilité d’acheter en masse de la dette souveraine sur le marché secondaire (le marché qui concerne 
les titres déjà émis par les administrations et que des banques, des compagnies d’assurances, des fonds d’investissement 
ou de pension vendent et achètent, on se situe sur les bourses ou marchés organisés), de manière à ce que les États respirent.

La France occupe donc un rôle pivot entre l’Europe du sud qui est en état de total désespérance (Grèce, Italie, Espagne et Portugal en grosse difficulté), et celle du Nord qui succombe aisément à la logique de la sévérité financière. Pire, les Etats du Nord sont très critiques vis à vis du Sud, et - presque - prêts à larguer les amarres. La France garantit donc à la zone Euro une certaine cohérence et cohésion. Elle a jusqu’à présent réussi à convaincre les Etats du Nord de la nécessité du maintien d’une cohérence de la zone euro ; et aux Etats du Sud, elle a soutenu le caractère primordial des réformes et projets de restructuration financière.      

La France a un rôle historique à jouer.

Pour conclure, il y a deux risques majeurs sur cet accord : si le pendant allemand est adopté sans que ne le soient les propositions françaises, la preuve sera apportée que l’axe Paris-Berlin n’est en réalité que l’axe Berlin-Berlin… Personne n'a toutefois d'intérêts à ce que la position allemande domine dans les termes de l'accord, les Allemands y compris.

L’autre risque, c’est la très grande incertitude britannique. Ces derniers prévoient en effet l’obligation de conduire un référendum auprès de leur population, si jamais les traités étaient modifiés en faveur d’un renforcement du pouvoir de l’UE. La procédure entamée par le couple franco-allemand serait alors morte née, puisqu’un référendum anglo-saxon aurait de grande chance de s’opposer à une perte de souveraineté nationale. 

Dans quelle mesure cette nouvelle réforme du Traité de Lisbonne pourrait s’avérer véritablement efficace ?

Il faut que les deux versants des réformes proposées par le couple franco-allemand soient équilibrés : le répressif et disciplinaire voulu par l’Allemagne, mais aussi la marge de croissance souhaitée par la France.

S’il y a moins de pression sur les dettes souveraines, il sera possible de mettre en place des plans qui ne seront pas seulement restrictifs, mais aussi favorables au retour de la croissance en zone Euro. Et pour cela, il faut investir… lisser les budgets publics n’est pas suffisant.

Enfin, les propositions franco-allemandes concernant la modification des traités se devront d’être mises en œuvre rapidement, sachant que les questions de fond concernent un sujet brûlant : l’avenir de la zone euro.

La France et l'Allemagne sont-elles en mesure de convaincre les autres États membres de la nécessité de sanctionner les contrevenants aux modalités du Pacte de stabilité et de croissance, alors qu'elles sont les premières à avoir outrepassé les règles communautaires ? 

Bien évidemment, les traités ne peuvent fonctionner que si tous les Etats membres passent au couperet…  y compris la France et l’Allemagne si elles sont concernés. Le fait qu’elles aient été par le passé en contravention avec les traités ne diminue pas aujourd’hui leur responsabilité vis à vis de ces derniers.  

Quant à la crédibilité franco-allemande, elle passe par l’obtention d’un accord équilibré, sans quoi l’Europe devra une fois de plus faire face à un blocage contre-productif des réformes annoncées, et jamais mises en œuvre.

Dans un cadre non fédéral, mais inter-étatique, le fonctionnement par l’intermédiaire de traités est une nécessité… Espérons que l’Allemagne et la France arrivent à s'entendre et parviennent à lancer une dynamique.


Propos recueillis par Franck Michel



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