"Le FN raccompagnerait 4 millions de Français musulmans à la frontière" : Jean-Christophe Cambadélis mesure-t-il le risque de dire n’importe quoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Christophe Cambadélis
Jean-Christophe Cambadélis
©Reuters

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Lundi 24 août, Jean-Christophe Cambadélis a affirmé que, dans le cas où le FN arriverait au pouvoir en France, "il raccompagnerait à la frontière quatre millions de Français musulmans". Le secrétaire du PS use une vieille ficelle pour rallier ses troupes, attisant la défiance envers la démocratie et confortant la position victimaire revendiquée par le Front national.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Lundi 24 août, Jean-Christophe Cambadélis a affirmé qu'une arrivée au pouvoir du Front national constituerait un risque de "guerre civile". Selon lui, le parti de Marine Le Pen appliquerait alors son programme et donc "raccompagnerait à la frontière quatre millions de Français musulmans". Quels sont les risques à tenir ce genre de propos, aussi caricaturaux soient- ils, pour la démocratie ? 

Guylain Chevrier : La déclaration de Monsieur Cambadélis s'inscrit avant tout dans une stratégie politique. Nous sommes d’ores et déjà entré dans la campagne des présidentielles. Cela ne peut donc être considéré comme une sortie non-maîtrisée.

La rhétorique d'un Front national servant d’épouvantail, porteur de toutes les peurs pour rabattre les voix perdues d’une gauche socialiste en déroute, est effectivement un vieil argument usé jusqu'à la corde, qui donne lieu ici à une exagération qui tourne à l'énormité. Ce n’est pas que le FN ne comprend pas de dangers, mais mettre en avant le risque de guerre civile derrière l’idée du raccompagnement à la frontière de 4 millions de musulmans, avec implicitement celle d’une déportation de masse, en réquisitionnant quels moyens et vers où d’ailleurs, relève jusqu’à plus ample informé de la politique fiction de la manipulation idéologique.

Le FN peut être dangereux pour bien d’autres raisons. La préférence nationale, si elle était effectivement mise en œuvre, passerait par la fin du principe d’égalité de traitement de tous devant la loi inscrit à l’article premier de la Constitution. Ce serait la légitimation d’une discrimination en totale contradiction avec notre République. Le droit du sol n’y résisterait pas. On ne se préoccupe pas de déconstruire le programme du FN mais on joue sur la peur, qui est toujours mauvaise conseillère.

Derrière cette démarche il y a aussi des risques pour la démocratie. Premièrement, on tire le débat public vers le bas, en apportant du crédit à l’utilisation de la peur comme argument en politique, légitimant ainsi l’usage qui peut en être fait aussi par le FN à travers l’image de l’étranger tel un péril à l’origine de tous les maux. C’est le symptôme d’une crise profonde du politique qui s’enfonce là encore un peu plus, pouvant pousser à l’écœurement des citoyens déjà enclins à l’abstention et au dégoût des partis. Reflet d’un Parti socialiste qui lui-même connait une crise grave d’identité derrière un pouvoir qui s’érode, à ne pas être en mesure d'apporter une alternative politique crédible et ce, après de nombreuses promesses non-tenues voire une politique contraire au programme du candidat Hollande : abandon de l’engagement de renégocier le Traité de Lisbonne, de redonner la priorité au pouvoir d’achat alors que seuls prévalent les allègements de charge aux entreprises, renoncement à la constitutionnalisation de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, sans compter encore avec l’incapacité à gérer le problème des migrants de la Méditerranée…

A défaut de critiquer le FN sur le fond, on préfère revenir à la bonne vieille méthode du vote pour le moindre mal ou contre "le mal". Tout cela contribue à entretenir un rapport litigieux du peuple avec la démocratie et même à créer les conditions de la remise au goût du jour d’un antiparlementarisme qui a toujours été l’apanage de l’extrême droite, à front renversé.

>>> Lire aussi - Croissance zéro, immigration non contrôlée, climat : ou en sera la France dans 10 ans en l’absence de réponse politique ?

Par ailleurs, à force de vouloir diaboliser le Front national, on finit par nourrir son argumentaire fétiche qui consiste à revendiquer une posture victimaire, de diabolisation injuste et de marginalisation de la vie politique par les autres partis et les médias. Induire l’idée que le Front national puisse remporter les élections présidentielles, c’est jouer de la fiction pour alimenter un fonds de commerce, car aucune enquête d’opinion, sondages et analyses politiques ne viennent donner crédit à une telle éventualité. Mais n’est-ce pas rendre ainsi crédible l’impossible et lui donner dangereusement valeur tangible ?

Qui pense-t-il convaincre ? Est-ce efficace alors que la gauche semble surfer sur cette stratégie depuis près de 30 ans ? 

Il existe bel et bien un électorat socialiste sensible à cette rhétorique, parmi lequel on retrouve une partie de la classe moyenne et des salariés de la Fonction publique qui votent traditionnellement pour le PS, que l’appel à "faire barrage au fascisme" au nom des valeurs républicaines ne laisse pas indifférent. L'exagération de cette déclaration constitue alors une piqure de rappel efficace, le rétablissement d'une approche et de repères effectivement vieux de plusieurs décennies, bien que le désenchantement soit peut-être plus fort que l’émotion ainsi volontairement créée. Mais c'est également une réponse apportée à la crainte pour le PS de voir une partie de sa base voter pour le Front national. Donner du crédit à un FN majoritaire en France, c’est implicitement poser que la France puisse être visée comme raciste. Indirectement, c’est aussi faire le procès des couches populaires qui se sont détachées de la gauche pour en partie rallier leurs votes au FN, et les rendre responsables de cette situation-fiction. C’est donc aussi marquer certaines fractures, stigmatiser pour culpabiliser, en prenant bien des risques à l’aune de l’espoir de freiner l’attractivité du FN.

Donner du crédit à l’idée d’un FN majoritaire aux prochaines présidentielles, c’est surtout une tentative désespérée et à haut risque, qui vise à rabattre coûte que coûte les voix perdues d’électeurs de gauche pour demain espérer battre la droite.

Enfin, cette déclaration  n'est pas sans conséquence sur notre vivre ensemble. Elle s'inscrit dans un jeu de séduction du Parti socialiste à l'égard d'une partie de l'électorat musulman, à l'instar de la mise entre parenthèses de la circulaire Chatel qui interdisait aux femmes voilées d'accompagner les élèves lors des sorties scolaires par Najat Vallaud-Belkacem, contre la mission laïque de l’école. Le PS se présente ainsi en défenseur des musulmans opprimés, y compris des plus communautarisés qui ont adopté une position de victimes au regard d’une République dont la laïcité est interprétée par eux comme ne visant qu’à les empêcher de pratiquer comme ils l’entendent leur culte. Alimenter ce ressenti ne peut qu’encourager encore un repli communautaire sur le registre d’une forme de foi qui fait passer les valeurs religieuses avant celles de la République et approfondit le fossé qui se creuse avec elle. Sans compter encore avec un islamisme qui dans l’ombre de cette fermeture peut trouver d’autant mieux un terreau favorable. C’est donc aussi flatter ce qui aujourd’hui participe de mettre à mal l'unité nationale pour encore fournir des arguments au FN.

En tenant de tels propos, faux, ne fait-il pas également le jeu du FN qui cherche aussi à séduire un électorat très radical ?

Cette proposition pour le moins extrêmement hypothétique d’un FN majoritaire et d’une exclusion physique de 4 millions de musulmans aux relents de nazisme, donne du crédit à l’argumentaire traditionnel de ce parti comme champion du rejet de l’étranger. C’est redonner du grain à moudre aux plus radicaux du vote extrême alors que ce thème a été remisé pour d’autres plus fréquentables depuis que Marine Le Pen a pris les rênes de l’organisation, comme la défense de la République et de la laïcité sur lesquels le FN a fait un véritable holdup.

Ce qui est plus plausible que l’avènement du FN à la tête de la France, par-delà cette politique fiction qui nous est proposée, c’est qu’il parvienne à un score qui le placerait autour des 30% et en ferait un instrument de pression sur notre société extrêmement dangereux, ce dont ceux qui nous gouvernent sont pour une part responsables et ceux qui les ont précédé aussi. C’est donc d’un changement politique prenant en compte les aspirations des Français dont dépend de faire battre en retraite le FN, et non de jouer sur une diabolisation qui rentre dans le jeu de ce parti.

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