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Jacques Mistral : "Le DST enfin ! pour une refondation du système monétaire international"
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Bonnes feuilles

Les auteurs du Cercle Turgot tentent de répondre à ces questions et aident à tracer les contours d'un système monétaire international apaisé, jouant pleinement son rôle de facilitateur des échanges, d'aide à la croissance et de garantie de la stabilité. Extrait de "Désordre dans les monnaies", sous la direction du Cercle Turgot, Jean-Louis Chambon et François Meunier, publié chez Eyrolles Editions (2/2).

Jacques Mistral

Jacques Mistral

Jacques Mistral est économiste, il a fait carrière dans l'université, la haute fonction publique et dans l'entreprise. Il enseigne aujourd'hui dans les universités de Harvard, du Michigan et de Nankin ; il est senior fellow à la Brookings Institution à Washington, conseiller spécial de l'Ifri à Paris et membre du Cercle des économistes.

 

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Cercle  Turgot

Cercle Turgot

Le Cercle Turgot rassemble les meilleurs experts du monde de la finance. Universitaires, dirigeants d'entreprises et d'institutions illustres, auteurs des bests-sellers économiques du moment, tous les acteurs de la finance sont rassemblés dans cette entreprise inédite coordonnée par Jean-Louis Chambon, fondateur et président d'honneur du Cercle Turgot.

 

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Jean-Louis Chambon pour Culture-Tops

Jean-Louis Chambon pour Culture-Tops

Jean-Louis Chambon est président d'honneur et fondateur du Cercle Turgot. 

 

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Est-il alors économiquement concevable que le DTS joue à l’avenir le rôle actif qu’on attend d’une monnaie internationale ? Avons-nous une chance, plus concrètement, d’avoir des DTS dans notre poche ? Cette question se dédouble naturellement en un aspect offre et un aspect demande. D’un côté, il faut une émission suffisante pour assurer une liquidité satisfaisante aux instruments en DTS ; de l’autre, il faut introduire le DTS dans la sphère privée, peut-être pas dans notre poche mais sur des comptes courants, en favorisant son utilisation dans les différentes fonctions qu’exerce une monnaie. En matière de facturation on peut par exemple penser à une cotation en DTS du prix du pétrole ou du minerai de fer, rien ne s’y oppose ; en matière de transaction, il s’agit de l’ouverture de comptes en DTS dans les principales institutions financières de la planète, rien ne s’y oppose ; en matière de financement, il s’agit de l’émission de dettes en DTS, il y a eu les euro-dollars preuve que rien ne s’y oppose. Bien sûr, cela ne se ferait qu’avec la plus extrême prudence car le volontarisme politique ne suffit pas et l’on voit immédiatement les risques que soulèveraient des initiatives inconsidérées : mal conçues ou mal coordonnées, elles seraient un facteur déstabilisant aboutissant à des résultats contraires à l’objectif poursuivi. Promouvoir un successeur au dollar, c’est une campagne à n’engager qu’après mûre réflexion !

Une telle évolution ne se décrète pas, elle résultera le cas échéant de la concordance de myriades de décisions décentralisées, de la même façon que le dollar, monnaie strictement domestique jusqu’à la Première Guerre mondiale, a progressivement irrigué toute l’économie mondiale. Mais, dira-t-on, il y a fallu deux guerres mondiales ! Comment imaginer un mécanisme d’irrigation comparable pour le DTS ? Pour le comprendre, il faut s’appuyer sur la « théorie des réseaux ». Tous les réseaux, qu’il s’agisse de la circulation monétaire comme des réseaux sociaux, reposent sur un phénomène dit d’« externalité » ; les bénéfices – comme l’Internet nous le démontre quotidiennement et comme l’économie des réseaux l’a clairement établi – sont immenses lorsqu’ils sont pleinement développés, après avoir été minimes tant que les utilisateurs sont peu nombreux parce que ces fonctions sont remplies par des instruments anciens. Il est tout simplement faux de penser que des orientations politiques claires et instrumentales restent sans effet sur ces comportements : imaginons seulement ce qui se passerait si la Chine décidait de procéder à ses achats de pétrole et de matières premières sur la base de cotations en DTS ; si le commerce en résultant était facturé et réglé en DTS ; si l’épargne excédentaire chinoise était placée en bons du Trésor émis en DTS. On peut parier que les dispositifs techniques nécessaires pour répondre à ces attentes, si elles se concrétisaient, seraient rapidement mis au point, l’industrie financière déployant tous ses talents pour offrir les services correspondants. Étendre l’usage du DTS, cela revient à créer un bien public mondial. Les difficultés pratiques qu’il faut surmonter sont immenses ; mais la question, à ce niveau, ne tient pas à la nature du DTS comme instrument mais à l’évaluation des bénéfices qui pousseraient les gouvernements à oeuvrer collectivement pour surmonter ces difficultés. Si l’on veut promouvoir le DTS, la technique est là ; c’est la décision politique la plus lourde de conséquences en ce début de xxie siècle.

En supposant les conditions pratiques remplies, on vérifie en effet que la promotion du DTS présenterait bon nombre des propriétés qu’on attend d’un système monétaire efficace. Un système « centré sur le DTS » se distinguerait de celui que nous connaissons en ouvrant comme on l’a dit la possibilité d’une offre contrôlée de liquidité internationale, la fin du privilège exorbitant attribué au pays émetteur de la monnaie de réserve et la mutualisation du seigneuriage. L’offre de DTS serait initialisée et contrôlée par l’organe politique à la tête du FMI avec le conseil des gouverneurs de banque centrale ; cela s’est fait en 2009, cela peut se refaire, c’est un acte politique dont il faudrait définir les modalités. L’hostilité radicale de certains pays comme l’Allemagne (épouvantée par l’idée d’une création monétaire laissée à un tel arbitraire) illustre les difficultés majeures que rencontrera la mise en oeuvre de cette idée. À l’inverse, les politiques monétaires « non conventionnelles » qui ont conduit à tripler le bilan des banques centrales depuis le début de la crise montrent qu’il ne faut pas exclure les solutions audacieuses, même en matière monétaire. Substituer aux initiatives purement nationales un mécanisme coordonné pourrait même être un moyen de revenir à une meilleure maîtrise des liquidités internationales. Le DTS procure par ailleurs une diversification automatique des réserves, c’est un facteur de stabilité. Que le DTS constitue un instrument sûr de réserve de valeur dépendra du comportement des monnaies du panier, ni plus ni moins. On notera à ce propos que les poids des différentes monnaies dans le panier étant fixés en nominal (0,44 $ par DTS par exemple), les poids relatifs s’ajustent continuellement en fonction des variations des changes ; une monnaie qui s’apprécie parce qu’elle est considérée comme une valeur refuge voit son poids dans le panier augmenter automatiquement. L’allocation de DTS réduira la tentation d’accumuler des surplus courants pour accroître les réserves par précaution ; ce ne sera pas suffisant pour rééquilibrer les balances mais l’impact est dans la bonne direction.

Un usage plus répandu du DTS, son utilisation pour accroître la liquidité internationale ou pour faire face à des situations de crise financière aiguë, tout cela constitue des étapes en direction, à plus long terme, d’un système véritablement centré sur le DTS. On rencontre alors d’autres difficultés, comme celle du compte de substitution1, qu’il n’est sans doute pas opportun d’aborder dans un premier temps compte tenu de l’opposition à ce jour irréductible du Congrès des États-Unis à toute discussion sur le partage d’un quelconque fardeau lié aux balances-dollar existantes (« les Chinois ont choisi d’accumuler des dollars, c’est leur problème » entend-on à Washington). En revanche, une autre question ancienne pourrait revenir dans ce débat et jouer, si un accord se dessinait à ce propos, un rôle décisif. Il s’agit de « l’indicateur de réserve » (ou d’un indicateur de balance de base) définissant pour chaque participant un tunnel guidant le processus de surveillance multilatérale. Ce tunnel – dont la Chine et l’Allemagne n’ont à ce jour pas voulu entendre parler – serait un élément important de la surveillance ; il pourrait, de manière plus directive, conduire à une obligation d’ajustement de manière à maintenir l’un ou l’autre de ces indicateurs dans une marge raisonnable de fluctuation ou même constituer un paramètre dans l’attribution des DTS nouveaux. Ce serait une solution, certes partielle, au problème central que soulève l’asymétrie des ajustements d’excédents et déficits extérieurs lesquels reposent toujours sur les pays déficitaires1.

Le fait que ces propositions se situent dans le prolongement de ce qui a été entamé par le G20 depuis sa création en constitue peut-être un des aspects les plus notables. Malgré les apparences, puisque le DTS ne fait pas partie de la culture économique commune, ce qui précède ne constitue en rien une révolution, un « grand soir monétaire », et les experts peuvent se mettre au travail immédiatement. Ce n’est pas dire que la tâche soit aisée, loin de là ! Quelles conditions faut-il en effet réunir pour avoir une chance de réussir ? Il faut une clairvoyance intellectuelle partagée de ce que serait le système pleinement développé, il faut ensuite des trésors de diplomatie pour négocier les étapes, il faut enfin une volonté durable de coopération internationale. Mais à situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle : ces conditions peuvent être réunies pour peu que les gains attendus, en engageant un tel processus soient supérieurs aux coûts. Comment établir ce bilan ? Premièrement, il n’est pas certain qu’il soit dans le meilleur intérêt du G20 et de ses membres d’entretenir un silence assourdissant sur les questions monétaires internationales : car le résultat du nouvel échafaudage international, c’est qu’il n’y a plus d’enceinte pour discuter des taux de change, un G7-finances n’a pas de prise sur le renminbi et la Chine refuse que la question soit posée en G20. Quel Gx convoque-t-on en cas de crise monétaire internationale ? À ce stade, on l’a vu après la catastrophe de Fukushima face aux attaques spéculatives contre le yen, le seul rempart, c’est le G7, solution devenue anachronique. Bref, il faut donner une nouvelle ambition au G20.

Deuxièmement, après la Grèce mais avant un nouvel accident de parcours, la crainte du scénario de rupture sur l’euro peut être (devrait être !) un mobile puissant pour pousser à prendre le risque d’une initiative commune ; nous sommes sortis des crises financières de 2007 aux États-Unis et 2010 en Europe en recourant aux mêmes méthodes – le gonflement de la liquidité – que celles qui avaient conduit à leur déclenchement et cela devrait rendre prudent.

Troisièmement, le programme ici esquissé n’empiète pas de manière agressive, au moins dans ses premières étapes, sur les souverainetés nationales ; il ne s’agit pas de créer une monnaie unique comme l’euro. Ce qu’on décrit constitue un système multidevises reposant sur un ensemble de monnaies de premier rang auquel est ajouté un instrument synthétique dans l’adolescence. C’est une évolution progressive vers un système centré sur le DTS. Ce qui est nécessaire, c’est de faire preuve d’audace, pas de témérité.

Extrait de "Désordre dans les monnaies - l'impossible stabilité du système monétaire international ?", sous la direction du Cercle Turgot, Jean-Louis Chambon et François Meunier, chez Eyrolles Editions, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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