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Il ne faut pas enterrer Berlusconi trop vite...
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Après lui, le déluge ?

Les marchés semblent avoir eu la peau de Silvio Berlusconi après 17 ans de règne. Hué lors de son départ, lâché par ses alliés politiques, ridiculisé à l'étranger, le Cavaliere pourrait pourtant être plus en phase avec la société italienne que son successeur, le très technique Mario Monti.

Pierre Musso

Pierre Musso

Pierre Musso est professeur de sciences de l'information et de la communication à l'Université de Rennes II, philosophe de formation et politologue qui a longtemps enseigné à la Sorbonne. 

Il est spécialiste des médias italiens et des relations politique/médias, notamment du phénomène Berlusconi.

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Atlantico : Le règne de Silvio Berlusconi semble prendre fin. Cependant, beaucoup s’interrogent sur un éventuel « comeback » du Cavaliere. Dans quelle mesure Silvio Berlusconi peut-il revenir aux affaires ?

Pierre Musso : L’Italie est dans un système parlementaire bicamériste. Le pouvoir décisionnel concernant le président du Conseil est entre les mains du parlement, et au-delà du parlement, des partis politiques et des alliances entre ces partis. Silvio Berlusconi reste le président du premier parti politique italien, Il Popolo della Libertà (PDL). Si son parti n’éclate pas et s’il conserve son alliance avec la Ligue du Nord, il conserve la majorité absolue au Sénat.

Au sein du PDL, beaucoup approuvent la position actuelle de Berlusconi qui apporte un soutien sous conditions à Mario Monti. L’idée est de se dire que le gouvernement de Mario Monti aura une durée limitée à cause des mesures impopulaires qu’il va être obligé de prendre. Il devrait alors quitter le pouvoir dans quelques mois ou, au plus tard, début 2013. C’est à ce moment-là que le PDL se placerait en tant que sauveur pour reprendre les rênes du pays.

D’une part, avec la Ligue du Nord, il a la majorité absolue au Sénat. D’autre part, toujours grâce à cette même ligue,  il a une majorité confortable à la Chambre des députés. Mario Monti ne peut rien faire sans le soutien du PDL. Si le PDL bascule dans une opposition claire, le gouvernement Monti aurait alors une grosse épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

La coalition de gauche, jusqu’à présent soudée par l’anti-berlusconisme, peut-elle se désunir maintenant que le Cavaliere a quitté le pouvoir ?

La coalition de gauche n’est pas unie. Il existe le parti principal, le Parti démocrate de Pierluigi Bersani, et trois autres partis qui sont tous très différents. Le premier est le parti Italia Dei Valorid’Antonio Di Pietro qui jusqu’à avant-hier ne voulait pas soutenir le gouvernement Monti. Il y a ensuite deux partis de centre droit, à la fois celui de Gianfranco Fini qui a quitté la coalition de Berlusconi il y a 18 mois et l’Union des démocrates chrétiens et du centre de Ferdinando Casini. Ce n’est pas réellement une gauche, c’est tout un arc qui va du centre droit à la gauche.

Leur seul ciment récent était le départ de Berlusconi. Dans la nouvelle conjoncture dans laquelle nous allons rentrer, au-delà des trois premiers mois de Mario Monti, dès que l’on va rentrer "dans le dure" (la réforme du travail, la hausse des impôts, etc…) la popularité de Mario Monti va s’effondrer et on verra à ce moment-là ce que deviendra ce front anti-Berlusconi. Ainsi, si à brève échéance Mario Monti en arrivait à être en difficulté, des élections anticipées pourraient être envisagées au cours de l’année 2012.

La mainmise de Silvio Berlusconi sur certains médias italiens peut-elle lui permettre de revenir au pouvoir ?

Je ne pense pas qu’il y ait un lien entre la télévision et l’élection. La preuve, cela fait 20 ans que Silvio Berlusconi détient trois grandes chaines de télévision commerciales et il a gagné trois fois les élections mais a aussi été battu trois fois.

Berlusconi garde, avec sa famille, la propriété de Fininvest. Il souhaite le maintien de la loi Gasparri (loi sur le système audiovisuel italien). Il a d’ailleurs essayé de négocier avec Mario Monti le fait qu’il n’y ait pas de nouvelle loi prise par le gouvernement qui viendrait toucher la régulation de l’audio visuelle.

Les problèmes les plus délicats pour Berlusconi sont les trois principaux procès en cours dans lesquels il est impliqué. Deux d’entre eux concernent son activité en tant que patron de médias. Dès le 21 novembre, il sera convoqué chez les juges à Milan. Il peut y avoir des décisions des juges dès le mois de janvier. Le procès dans lequel il risque les condamnations les plus fortes est celui du « Rubygate ». A partir d’aujourd’hui, Silvio Berlusconi n’est plus que député. L’immunité dont il pouvait se prévaloir en tant que président du Conseil n’est plus. Il est désormais obligé de se présenter aux convocations des juges.

Les médias dirigés par Berlusconi vont-ils se radicaliser, se transformer en médias d’opposition purs et durs ?

Je ne pense pas et cela pour deux raisons. La première est que pour l’instant Silvio Berlusconi soutient le gouvernement Monti. Il n’aurait d’ailleurs jamais existé si le Cavaliere s’y était opposé. La deuxième raison est que ces trois chaines sont des télévisions commerciales. Ce qui les intéresse est l’audience avant tout. S’il n’y a pas d’audience, il n’y a pas de publicité, et donc plus de recettes. Pour avoir de l’audience, il ne faut pas que les chaines de télévision de Berlusconi deviennent des chaines militantes, en ne représentant qu’une fraction de l’opinion.

Silvio Berlusconi avait le mérite de la stabilité. Est-ce que l’on s’achemine maintenant vers une période d’instabilité gouvernementale, semblable à la période pré-Berlusconi ?

Il est quasi-certain que l’on se dirige vers une grande période d’instabilité. Berlusconi a certes personnalisé le pouvoir mais il a créé une stabilité gouvernementale. Il a fait une législature complète de 2001 à 2006, ce que personne, mis à part De Gasperi, n’avait fait avant lui. Cela a clairement renforcé l’exécutif et bipolarisé la vie politique italienne. Avec le gouvernement Monti, on peut effectivement rentrer à nouveau dans une phase d’instabilité chronique. Nous risquons un retour au temps de la première République, où les gouvernements duraient en moyenne six mois et étaient soumis aux partis politiques et aux alliances.

D'un point de vue culturel, trouvez-vous l’Italie changée après près de 17 ans de berlusconisme ?

C’est pour moi la contribution principale de Silvio Berlusconi. Alors que tout le monde l’attendait comme chef d’entreprise, il ne laissera pas une grande trace sur le plan économique. En revanche, il a changé profondément la politique italienne mais aussi la culture, les mentalités. Dans un pays qui était dominé depuis l’après-guerre par le partage entre la culture catholique et communiste, il a créé une nouvelle idéologie « berlusconienne » issue essentiellement de la télévision. Je parle d’une culture de la consommation, de l’hédonisme, de l’optimisme, même béat. C’est une nouvelle culture consumériste  qui a transformé profondément la vision des Italiens. Certains intellectuels parlent de dégradation ou de vulgarité, je pense, comme Pasolini qui avait entrevu le phénomène, que c’est une transformation anthropologique de la culture italienne qui devrait perdurer longtemps.

L’idée de dire que Berlusconi représentait le comique, la vulgarité, le spectacle et que Monti représente lui un certain sérieux de la politique ne correspond pas aux mentalités actuelles des Italiens. Il va y avoir un décalage culturel très fort entre le gouvernement Monti et  la réalité de la société italienne.

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