Canicule 2003, le choc qui n’avait servi à rien : 12 ans après, la solitude des personnes âgées n’a jamais été aussi grande<!-- --> | Atlantico.fr
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Les séniors sont de plus en plus isolés.
Les séniors sont de plus en plus isolés.
©Reuters

Seuls au monde

Après la canicule de 2003 qui avait causé la mort de 15 000 personnes âgées en 15 jours, la sensibilisation à l'isolement social des plus âgés a progressé dans l’opinion publique. Mais dans les faits, les séniors sont de plus en plus seuls et si la prise en charge s'est améliorée, elle reste insuffisante face aux enjeux.

Jean-François Serres

Jean-François Serres

Jean-François Serres est Secrétaire Général des petits frères des Pauvres, qu'il a rejoint en 2003, après avoir été administrateur de la SA HLM Emmaüs.

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Isabelle  Sanchez-Moreno

Isabelle Sanchez-Moreno

Isabelle Sanchez-Moreno est chargée de mission de lutte contre l'isolement à la mairie de Suresnes.

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Marc  Guichard

Marc Guichard

 Marc Guichard est chef du service senior à la mairie de Suresnes.

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Serge Guérin

Serge Guérin

Serge Guérin est professeur au Groupe INSEEC, où il dirige le MSc Directeur des établissements de santé. Il est l’auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont La nouvelle société des seniors (Michalon 2011), La solidarité ça existe... et en plus ça rapporte ! (Michalon, 2013) et Silver Génération. 10 idées fausses à combattre sur les seniors (Michalon, 2015). Il vient de publier La guerre des générations aura-t-elle lieu? (Calmann-Levy, 2017).

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Atlantico : 12 ans après la canicule de 2003, la France est de nouveau confrontée à une vague de fortes chaleurs. Comment la situation de personnes âgées, qui avaient alors été les premières victimes avec plus de 15 000 décès en 15 jours, a-t-elle évolué depuis ?

Serge Guérin : Il y a eu une vraie mobilisation des communes, des départements. Il y a énormément de choses qui ont été faites, des systèmes de prévention, d'alerte, de veille: tout un ensemble qui fait qu'il y a eu un gros progrès. A la fois dans la sensibilité mais aussi dans la mise en place de réponses de la part des organisations, du  tissus associatif, et des voisins. Les français dans une logique de proximité font attention aux personnes autour d'eux. Globalement cela a été plutôt bien fait.

Jean-François Serres: La canicule de 2003 a été un choc pour l'opinion publique. Nous nous sommes rendu compte que les personnes âgées sont décédées car elle n'avait pas d'entourage. La question d'isolement social a depuis beaucoup progressé dans l'opinion publique, depuis les actions et les dispositifs se multiplient.

Marc Guichard: A la mairie de Suresnes, nous sommes partis du plan canicule pour mettre en place un dispositif continu afin de pouvoir suivre les personnes âgées tout au long de l'année. Nous les suivons très régulièrement, notre action s'étend du coup de téléphone hebdomadaire, à la proposition d'activité dans la ville.

La solitude des personnes âgées a-t-elle reculé ou s'est-elle accrue ? A-t-on une idée de la proportion d'entre-elles souffrant aujourd'hui de solitude ?

Jean-François Serres  : Elle s'est beaucoup accrue. Il y a une augmentation considérable chaque année d'isolement de personnes seules de plus de 75 ans. Aujourd'hui il y a plus de 5 millions de personnes âgées qui se sentent seules. Certes, la prise en charge s'est améliorée, mais elle est insuffisante face aux enjeux.

Serge Guérin : C'est un peu comme le feu. Nous savons que lorsqu'il cela brule, les pompiers savent se mobiliser, mais ils ne peuvent pas empêcher les feux. On ne pourrait pas éviter les pics de chaleur, et la solitude est une réalité. Même s'il y a des démarches de la part de communes et des départements, il reste une grande part d'isolement des plus âgés. Par ailleurs le regard social envers les plus âgés est resté négatif dans l'esprit de beaucoup.

Marc Guichard: Dans notre ville, nous l'avons estimé à 1000 personnes sur 43 000 habitants à Suresnes.

Toutes les personnes âgées ne sont pas concernées au même degré par la solitude. Quels profils distingue-t-on ?

Isabelle Sanchez-Moreno: Ce sont majoritaire des femmes qui ont en moyenne 85 ans, avec un conjoint décédé.

Jean-François Serres: L'intensité de l'isolement peut être différent. Une personne agée peut être isolé parce qu'elle a des difficultés à sortir de chez à cause d'un logement qui n'est pas adapté, sans ascenseur, ou bien parce qu'elle habite en milieu rural dans un village isolé.

La raison principale de la solitude est le fait que les entourages familiaux sont moins présents car les familles sont plus dispersées qu'avant et les formes de vie se sont beaucoup individualisées dans les dernières décennies.

Selon quels schémas les personnes âgées se retrouvent-elles isolées ? Ces schémas ont-ils évolué ?

Serge Guérin : Plus les personnes âgées sont éloignées des villes plus elles sont seules. C'est un peu un cumul des mandats négatifs. Il y a isolement géographique: lorsque vous êtes loin de tout, sans équipement dans les alentours, pas forcément connecté et que les membres de la famille ne sont pas à côté. Il y a aussi un isolement social, lorsque vous êtes dans une ville et ne parlez à personne parce que vous n'avez pas les mêmes horaires que vos voisins. Vous ne vous faites pas aussi facilement des amis quand vous êtes âgés que quand vous avez 20 ans. Si bien que vous arrivez à un stade où vous perdez tous vos cercles de lien sociaux.

Il y a un double mouvement. D'un côté sur l'organisation et les services proposés il y a eu beaucoup de progrès. Mais d'un autre côté nous avons d'une part un modèle familiale qui est en forte révolution et qui a des effets boomerang. Lorsque les familles se composent, se recomposent et ainsi de suite, les ménages finissent pas se réduire. D'autre part, l'allongement de la vie provoque aussi l'isolement. Tout n'est pas toujours organisé.

Jean-François Serres : Le fait de ne pas être isolé c'est parce que nous avons plusieurs réseaux relationnels qui nous procurent un entourage aidant. A partir du moment où nous n'avons qu'un seul réseau relationnel, nous sommes en danger d'isolement social. Quand nous vieillissons, nous perdons les réseaux les uns après les autres: le réseau professionnel, le réseau d'amitié, la famille … Parfois nous pouvons nous retrouver vraiment complètement seul à un moment de notre vie où nous n'avons pas envie de recréer des relations. Ce sont des schémas qui apparaissent aujourd'hui. Il y 30 ans, les lieux où se créaient les relations étaient plus présents. Les mobilités étaient moins grandes, ce qui fait que nous les trouvions dans notre quartier, notre voisinage. Aujourd'hui tout cela s'est défait.

La société française est-elle plus égoïste ? Quels facteurs l'y poussent ? L'évolution des modes de vie, des structures familiales ?

Jean-François Serres: Non pas du tout, ce n'est pas une question de valeurs. Le souhait d'être attentif aux autres est tout aussi fort, mais dans une société de personnes très individualisées, où lorsqu'on a plus la force de créer des relations on se retrouve seul.

La raison principale de la solitude est le fait que les entourages familiaux sont moins présents parque les familles sont plus dispersées qu'avant et les formes de vie se sont beaucoup individualisée dans les dernières décennies.

Serge Guérin : On peut dire qu'il y a eu une explosion du modèle familiale "PME": "Papa maman les enfants", qui a fait passer un couple en CDI a un couple en CDD, et qui a pu inspirer un esprit individualiste alors qu'avant il était familiale. Certains grands parents me disent "j'ai un demi petit enfant" car plusieurs membres de leur familles on reconstruit leur vie et parfois même les générations se confondent … la famille continue à se chercher un peu et finalement elle ne crée plus les mêmes liens qu'avant.

Marc Guichard: A l'inverse, nous avons le sentiment à Suresnes que les mentalités évoluent, et que les personnes font plus attention à leurs voisins. Il y a une réelle bienveillance entre voisins, c'est assez étonnant.

Isabelle Sanchez-Moreno: Même au sein de la famille, souvent nous constatons que se sont les grands parents qui ont peur de déranger leurs enfants, et ils refusent l'aide, même parfois insistantes qui peuvent leur être apportée.

Quel rôle jouent les contraintes d'ordre matériel (distance au sein de familles liée à la plus grande mobilité géographique, taille des logements, contraintes de temps etc.) ?

Serge Guérin : Elles jouent un rôle assez déterminant. Quand la personne est loin, on se voit moins, ce n'est pas pratique. C'est pour cela que certains essayent de faire un rapprochement familiale à l'envers où les grands parents rejoignent les petits enfants. C'est un phénomène assez récent. Souvent les enfants sont allés s'installer dans des endroits aux activités économiques importantes, et où il est difficile de se loger. Alors les grands parents veulent vendre leur maison à la campagne, mais ils se rendent compte qu'elle n'a aucune valeur comparée à la ville, et que leur bien immobilier ne leur permet pas d'acheter un nouveau logement. Ils sont donc contraints à une réalité économique. Mais cette difficulté fait apparaître à l'inverse une nouvelle forme de solidarité familiale: certains enfants accueillent dans leur maison les parents qu'ils installent dans un studio, ou une petite maison dans le jardin.

Jean-François Serres: Une personne peut être isolée parce qu'elle a des difficultés à sortir de chez elle lorsqu'on a un logement qui n'est pas adapté, qu'il n'y a pas d'ascenseur, où bien qu'elle habite en milieu rural dans un village isolée. Mais on peut faire ce travail d'urbanisme et de matériel adapté, sans pour autant reconstruire une relation.

La génération sandwich des baby-boomers - coincés entre leurs enfants et leurs parents - est-elle dépassée face au phénomène ?

Serge Guérin : C'est une génération de pîvot, les plus part des familles sont composées par 4 générations, donc 4 fois plus de responsabilités. A 60 ans, on peut se retrouver avec des parents malades, des enfants qui rencontrent un problème, et des petits enfants eux aussi malade ou souffrant. Nous n'avions pas la même responsabilité il y a 70 ans quand l'espérance de vie était beaucoup plus basse que maintenant. Parfois cela peut être compliqué aussi financièrement et en matière de temps.

En termes de prise de conscience, quel bilan peut-on finalement faire de la canicule 2003 ?

Isabelle Sanchez-Moreno: Les personnes sont très bien informées et font attention. Nos bénévoles se sentent de plus en plus concernés par cette problématique, ce sont essentiellement des femmes actives.

Jean-François Serres: Je crois qu'il aura fallu ses 10 ans jusqu'en 2013 pour que se lance une mobilisation nationale qui a mis autour de la table à la fois la société civile, et les institutions: les caisses de retraites, les autorités locales … Aujourd'hui on sent qu'il y a une vraie prise de consciente et une maille qui se crée, qui est pour l'heure insuffisante, mais qui n'est pas négligeable. Je rencontre de nombreux citoyens qui s'ont prêt à s'engager dans cette reconstruction de lien, je crois qu'il y a un vrai message d'espoir autour de cette mobilisation.

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