N. Kosciusko-Morizet : "sur la prostitution, voilà pourquoi je reste sur une position abolitionniste"<!-- --> | Atlantico.fr
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NKM veut abolir la prostitution.
NKM veut abolir la prostitution.
©Reuters

"Le corps ne se vend pas"

Mercredi 24 juin dernier, des prostituées ont manifesté à Belleville à Paris pour demander que les policiers les laissent travailler en paix.

Nathalie Kosciusko-Morizet

Nathalie Kosciusko-Morizet

Nathalie Kosciusko-Morizet est une femme politique française.

Députée de la quatrième circonscription de l'Essonne à partir de 2002, elle occupe les fonctions de secrétaire d'État chargée de l'Écologie, puis chargée de la Prospective et du Développement de l'économie numérique, au sein du gouvernement François Fillon II (2007-2010). Secrétaire générale adjointe de l'UMP et maire de Longjumeau, elle est nommée ministre de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement le 14 novembre 2010. 

Elle est actuellement conseillère de Paris, et présidente du groupe Les Républicains.

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Atlantico : Vous avez décidé de vous attaquer aux salons de massage qui sont en réalité des lieux de prostitution, pour quelle raison ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : A Paris, il y avait une centaine de salons en 2009, leur nombre a cru lentement pour finalement exploser récemment. On en comptait 575 en 2014! Evidement tous ne sont pas des lieux de prostitution. Mais le Préfet de Police, dans une réponse qu'il m'a faite, confirme que 300 d'entre eux environ sont considérés comme suspects. Il y a des quartiers dans lesquels tout le monde sait ce qui se passe dans le salon de massage coincé entre le bureau de tabac et la boulangerie. Avant même d'aborder la question sur le fond, ce qui me choque ici c'est l'hypocrisie. Au vu et au su de tout le monde, la loi est bafouée. On débat actuellement à l’Assemblée nationale d’une nouvelle loi qui prévoit la pénalisation du client, et j'y suis favorable, mais on se demande pourquoi légiférer alors que les lois existantes ne sont pas appliquées. Depuis 1946, la loi Marthe Richard interdit les maisons closes or ces salons de massages sont les versions contemporaines des maisons closes.

Mais justement, ces lieux ne protègent-ils pas les femmes qui y travaillent ? N’est-ce pas mieux que les allées désertes du bois de Boulogne ?

Je suis contre la légalisation des maisons closes. Mais je comprends presque mieux ceux qui les défendent, au nom de la mise en place d'une protection sanitaire et sociale des prostitués, que ceux qui s'accommodent de la situation actuelle. Ces salons ont tous les inconvénients des maisons closes sans les avantages que seraient la protection sanitaire et sociale. Les prostitués n’y trouvent aucune protection car on leur prend leurs papiers et leur activité n’est pas déclarée. Avec Philippe Goujon, député maire du 15ème, nous avons écrit une lettre au préfet de police demandant, sur la base de la réglementation actuelle, le renforcement des contrôles. Cette lettre est devenue une pétition que l’on trouve sur le site www.stop-hypocrisie-prostitution.fr. Nous demandons simplement l'application de la loi. Le Préfet de police nous a répondu il y a deux jours, en confirmant que seuls 27 salons, si l'on additionne Paris et Haut de Seine, font l'objet d'une procédure. Les outils juridiques existent donc, c'est sur leur mise en œuvre qu'on est très loin du compte. Il faut bien constater que la lutte contre ce type de prostitution n’est pas considéré comme prioritaire. Ce que je critique aujourd’hui c’est l’hypocrisie d’un système qui fait comme si les maisons closes étaient interdites alors que tout le monde sait qu’il y en a une au coin de sa rue.

Comment expliquez-vous cette hypocrisie ?

Il y a plusieurs motifs : ceux qui se retranchent derrière la fatalité en soulignant que ça a toujours existé, ceux qui défendent la prostitution comme régulation de la violence présente dans la société, et même ceux qui postulent que c’est un choix de la part des femmes.

Votre intervention concernant ces salons pose plus largement la question de la prostitution. Le 12 juin, les députés ont voté une loi supprimant le délit de racolage et pénalisant les clients. Qu’en pensez-vous ?

Je suis favorable à la pénalisation des clients parce qu’avoir recours aux services d’une prostituée, c’est participer à un système derrière lequel se cache violence, aliénation et parfois réseaux mafieux. Sur le délit de racolage, il y a eu des débats intéressants entre le Sénat et l’Assemblée Nationale et un début d'accord sur l’importance de disposer des moyens juridiques permettant d'interroger les prostituées pour remonter les réseaux. L’objectif n’est pas de les mettre en cause elles. Tout le monde s’accorde à dire qu’elles sont les victimes des réseaux. Une formule qui permettrait d’entendre les prostituées sans les condamner pourrait réunir ceux qui s'opposent au délit de racolage et ceux qui le soutiennent.

Ce délit de racolage décidé par Nicolas Sarkozy en 2003 n’a-t-il pas contribué à repousser les prostituées dans les périphéries des villes où elles ne bénéficient pas de la protection des associations ?

Il a amélioré la situation dans certains quartiers, mais il n'a pas supprimé la prostitution, c'est évident. Ça n'est pas une question binaire. Pour ma part, je trouve que s'il existait une formule qui permette de garder la part la plus efficace du délit de racolage, celle qui permet d'entendre les prostituées pour faire tomber les réseaux qui les exploitent, on avancerait.

Mercredi 24 juin, des prostituées ont manifesté à Belleville pour demander que les policiers les laissent travailler tranquilles. Qu’en pensez-vous ? Ecoute-t-on assez les principales concernées ?

Il y a toujours des voix pour défendre la liberté de se prostituer. Mais je vous renvoie au rapport de l’IGAS de 2012  qui montre que le taux de suicide est 7 fois supérieur chez les prostitués par rapport à la moyenne de la population. Le taux de mortalité est aussi impressionnant. Les situations de choix sont minoritaires or on fait la loi pour le plus grand nombre.

Au-delà du proxénétisme, la question posée est plus philosophique : les femmes (et les hommes) peuvent-ils librement disposer de leur corps et le monnayer ?

Oui, les femmes peuvent et doivent disposer librement de leur corps, mais la réalité de la prostitutionça n’est majoritairement pas ça. Dans la plupart des cas, c’est une contrainte voire une violence. J’entends l’argument de la liberté mais celles qui le choisissent librement sont rares, ce sont des trajectoires minoritaires. Pour une minorité de prostituées qui ont choisi, on ne va pas maintenir la majorité dans une forme d’esclavage. Je reste de mon côté sur une position abolitionniste. L'aliénation du corps ne participe pas de l’émancipation des femmes. C’est pour le même motif que je m’oppose à la GPA : le corps ne se vend pas. Il ne s'agit pas de morale, mais d'éthique. Je trouve d'ailleurs que les politiques se mêlent trop de morale.

La commission européenne a récemment estimé que les revenus tirés de la prostitution dopaient la croissance et qu’il fallait les intégrer au PIB comme l’ont fait les Anglais et les Italiens. Qu’en pensez-vous ?

Ça nous ramène à une question ancienne qui est : est-ce que la croissance du PIB mesure le progrès ? Si vous vous cassez une jambe vous augmentez le PIB car vous creez de l’activité mais vous n’augmentez pas le bonheur humain, ça ne va pas dans le sens du progrès. L’activité et le progrès ça n’est pas la même chose, il nous faudrait réfléchir à ce que serait une bonne mesure de la croissance.

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