Peut-on passer de l’Elysée à la tête d’une entreprise alors qu’on en avait la surveillance ? Le cas de François Pérol arrive devant le tibunal<!-- --> | Atlantico.fr
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François Pérol, l’actuel patron de la BPCE (Banque populaire-Caisses d’épargne).
François Pérol, l’actuel patron de la BPCE (Banque populaire-Caisses d’épargne).
©Reuters

Prise illégale d’intérêt ?

François Pérol, l’actuel patron de la BPCE (Banque populaire-Caisses d’épargne) comparait à partir de ce 22 juin devant le tribunal correctionnel de Paris pour prise illégale d’intérêt. Il lui est reproché d’avoir piloté et surveillé, en 2007-2008, la fusion des deux banques, et d’avoir pris ensuite la tête de l’ensemble. Un procès qui permettra au tribunal d’effectuer une plongée au sein de l’Elysée au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • François Pérol, ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée chargé des affaires économiques, est jugé à partir de ce lundi 22 juin pour prise illégale d’intérêt
  • En cause : sa nomination, en février 2009, à la tête de l’entité BPCE dont il aurait piloté la fusion en 2007-2008. Ce que Pérol a toujours contesté
  • C’est la Cour de cassation qui, en 2012, contre l’avis du parquet avait estimé que François Pérol devait faire l’objet d’une information judiciaire
  • Au cours de ce procès, destiné à durer 3 jours, il sera sans doute question du rôle joué également dans cette fusion par le président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy

Ce sera une grande première à partir de ce lundi 22 juin : un des chouchous de la Sarkozie va devoir s’expliquer devant la 32ème chambre correctionnelle de Paris sur son rôle joué lors de la fusion entre la Banque populaire et les Caisses d’épargne. Il s’appelle François Pérol. Inspecteur des Finances, major de l’ENA, ami d’Alain Minc, ancien associé chez Rothschild, orfèvre depuis des lustres en matière de grandes manœuvres économiques, voici le président du directoire des Caisses d’épargne qui se retrouve dans un prétoire. En filigrane, devrait être abordé le rôle d’un autre homme et pas n’importe lequel, celui de Nicolas Sarkozy, à l’époque où il était président de la République... et avait, précisément, pour secrétaire général adjoint François Pérol. L’ancien chef de l’Etat, qui s’est beaucoup investi dans la promotion de Pérol, sera-t-il entendu comme témoin au cours de ce procès destiné à durer 3 jours ? Les parties civiles, les syndicats CGT des caisses et le syndicat Sud l’ont demandé…Pas sûr que le président du tribunal accepte cette requête, encore qu’elle permettrait d’en savoir un peu plus sur cette histoire de prise illégale d’intérêt. Car c’est là le nœud du problème : François Pérol, haut fonctionnaire, en charge de l’économie à l’Elysée, a-t-il franchi la ligne jaune en se faisant nommer à la tête de l’ensemble bancaire Banque populaire-Caisses d’épargne (BPCE)  puisque c’est lui, selon le juge d’instruction Roger Le Loire, qui a surveillé et piloté cette fusion ?

Dans un premier temps, le Parquet de Paris avait dit : circulez, il n’y a rien à voir. En clair, on ne peut poursuivre le secrétaire général adjoint de l’Elysée, dont les fonctions sont le prolongement de l’activité du chef de l’Etat. A ce titre, il bénéficie d’une immunité pénale. Un point de vue qui sera confirmé par la Cour d’appel de Paris, mais infirmé par la Cour de cassation qui recommandera la continuation de l’information judiciaire suspendue le temps de purger ces procédures…

>>>  A lire également : Claude Guéant "A l'époque, toutes les garanties avaient été prises, et tout le monde pensait que cette nomination était régulière. Il faut savoir que c'est la CGT qui a fait un recours contre cette nomination".

Les soucis de François Pérol démarrent lorsque, fin 2008, on apprend ici et là dans les allées du pouvoir qu’il pourrait devenir le président de la nouvelle entité issue de la fusion entre les Caisses d’épargne et la Banque populaire. Des élus, de droite comme de gauche, s’inquiètent de ce pantouflage apparemment peu orthodoxe, à la légalité incertaine, et en tout cas peu déontologique. C’est ce que font remarquer les députés Benoit Hamon (PS), François Bayrou (Modem) et le président de la commission des finances du Sénat, Jean Arthuis (centriste). L’affaire commence à sentir le soufre. Quand le président de la République, Nicolas Sarkozy, en voyage à Rome, intervient le 24 février 2009 pour venir au secours de son protégé et affirmer haut et fort que sa nomination n’a rien d’illégitime. Que dit-il ? Simplement, que la commission de déontologie a été saisie sur le cas Pérol et qu’elle n’a rien trouvé à redire. Illico, c’est l’embrasement qui trouve son paroxysme avec un démenti du président de la commission, le conseiller d’Etat Olivier Fouquet. Lequel certifie : "Je n’ai donné qu’un avis personnel sur le cas Pérol qui n’engageait en aucun cas la commission." Bien embêté, le chef de l’Etat se tait devant ce qui est tout de même une bourde.

On croit alors que l’histoire est terminée.Erreur. Moins de trois semaines plus tard, coup de théâtre à l’Assemblée nationale. Entendu le 14 mars par la commission des Lois, Olivier Fouquet déclare : "Nous avons été tout près de démissionner collectivement." Et le président de la commission de laisser entendre qu’il s’est fait piéger par Nicolas Sarkozy… Dans sa lettre, martèle-t-il, il ne faisait que donner son avis personnel. Un point c’est tout. Galopent les mois. On pourrait croire que le sujet Pérol est définitivement réglé. Bref, qu’il est bien accroché à son fauteuil, d’autant que les deux plaintes déposées par Anticor et les syndicats des Caisses d’épargne ont fait chou blanc. Ainsi en a décidé le Parquet de Paris après avoir reçu les conclusions de l’enquête préliminaire. C’est sans compter la détermination des syndicats qui poursuivent leur combat en déposant une plainte avec constitution de partie civile. Roger Le Loire, nouveau doyen des juges d’instruction du pôle financier, magistrat dont le credo est la discrétion, mais qui montrera dans les années suivantes, à l’occasion d’instructions délicates ( Karachi, Cahuzac, affaire des sondages de l’ Elysée) un savoir–faire reconnu, est chargé d’examiner la plainte et de dire s’il y a lieu ou pas d’informer, c’est-à-dire de poursuivre les investigations. 

Le 18 juin 2010, dans une ordonnance motivée, le magistrat répond oui. Pour trois raisons. 1-L’enquête diligentée par le parquet de Paris a été "succinte." 2- Seul François Pérol a été entendu. C’est un peu court… Alors que des acteurs aussi importants que Xavier Musca, le directeur du Trésor, Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, Stéphane Richard, le directeur du cabinet de Christine Lagarde, Charles Milhaud, l’ancien président des Caisses d’épargne et Philippe Dupont, ex-président du groupe des Banques populaires, n’ont pas été convoqués à la Brigade financière. 3- Le juge Le Loire s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment un arrêt du 9 mars 2005 qui estime "que le délit de prise illégale d’intérêt est consommé dès que le prévenu a pris directement ou indirectement un intérêt dans une entreprise ou dans une opération dont il avait, au moment de l’acte, la surveillance ou l’administration." Enfin, deux documents intriguent le magistrat. Le premier, il l’a reçu le 29 mars 2010. Il s’agit d’un courrier anonyme dans lequel sont cités trois mails évoquant le rôle de Pérol à une époque où la fusion entre les deux banques n’était qu’un projet. Le second est la plainte, en date du 21 mai 2010, déposée par un ancien magistrat, ex-conseiller du président des Caisses d’épargne Charles Milhaud. Ce dernier, certifie avoir constaté que "dans cette fusion, François Pérol, se réclamant de l’autorité présidentielle, a initié et poussé cette opération […] poursuivant une stratégie personnelle de conquête de pouvoir." Pourtant, l’instruction demeure bloquée. Le juge doit attendre l’arrêt de la cour d’appel de Paris. En mars 2011, arrive la réponse, c’est non. Le juge doit encore patienter.

Les syndicats forment alors un  pourvoi devant la Cour de cassation. Cette fois, la réponse est oui. La haute juridiction le dit clairement dans son arrêt du 12 juin 2012 : une information judiciaire doit être ouverte. Le magistrat qui a repris son enquête, met Gilbert Pérol en examen, le 6 février 2014, pour prise illégale d’intérêt. Dès lors, les choses ne trainent pas, la mise au jour de cette infraction ne nécessitant pas de longues investigations – la difficulté résidant dans la qualification juridique au millimètre près du délit. En juin 2014, l’enquête est bouclée. Le 7 novembre, le Parquet national financier requiert le renvoi de François Pérol devant le tribunal correctionnel. Ce que confirme, le juge Le Loire le 3 février 2015 dans son ordonnance de renvoi.   

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