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De l'utilité des médecins urgentistes
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Pauvretés

L'Académie catholique de France a consacré un second congrès annuel à la question des pauvretés et aux dispositifs d'urgences que celles-ci appellent. Divers philosophes , économistes, acteurs sociaux, théologiens et artistes dépassent les simples observations et établissent des propositions. Extraits de Xavier Emmanuelli.

Xavier Emmanuelli

Xavier Emmanuelli

Xavier Emmanuelli est un médecin et un homme politique français.

  • Co-fondateur de Médecins sans frontières en 1971 
  • Fondateur du Samu social en 1993 
  • Fondateur du Samusocial International 1998
  • Membre du conseil d'administration de l' OFPRA 2009

 

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Ma vie professionnelle de médecin a été placée sous le signe de l’urgence, quel que soit l’environnement auquel j’ai été confronté comme médecin généraliste, médecin de Marine, MSF, bien sûr le SAMU (médical) ou le Samu social. L’urgence a représenté pour moi la méthode et la pratique la plus appropriée pour non seulement aborder les patients et résoudre autant que faire se peut leur pathologie aiguë, mais aussi pour créer les conditions d’une rencontre intense et importante hors de tout cadre sociétal ou toute préséance.

Ce qui me fait dire que l’urgence est une « méthode pour sortir de l’urgence » autrement dit de la précarité dans laquelle se débat celui que vous rencontrez ; mais c’est également une méthode d’approche au-delà des rituels traditionnels, et des palabres usuelles que l’on utilise pour à la fois apaiser la rencontre, mais aussi pour maintenir à distance – distance utile, technique et pragmatique – qui permet de s’abriter et de ne pas livrer son intimité.

Cela évite toute implication émotionnelle quelle que soit la violence de la situation car l’urgence transgresse les rituels et permet de rencontrer la personne dans le cœur de sa problématique.

Qui dit urgence dit situation de crise ; c’est en effet dans un moment de basculement d’un équilibre à l’autre, d’une stabilité devenue inopérante à une autre, que s’immisce l’urgentiste pour approcher son interlocuteur. L’urgence en effet est une aubaine pour la rencontre, une aubaine pour venir en aide à son prochain, un raccourci.

Selon Catherine Malabou, l’urgence n’a pas encore été réellement pensée par la philosophie morale de notre temps. En effet, « l’urgence » est généralement synonyme de « précipitation », « d’improvisation » ; or la sagesse serait plutôt de procéder à un exercice d’analyse, de maîtrise de son jugement pour pouvoir prendre une décision pensée avec ses avantages et ses inconvénients, ses effets directs ou indirects. Qui dit urgence selon le sens commun dit immédiateté et connote l’absence de recul. L’urgentiste fait irruption dans la continuité du temps qui s’écoule au rythme tranquille du passé-présent-futur ; il doit se situer et faire dans l’instant présent.

Il faut reconnaître que l’urgence, par sa grande efficacité, a fait une entrée dans notre culture médicale civile dans le dernier tiers du XXe siècle (années 1970).

Sur le champ de bataille, les médecins militaires possédaient bien cette notion d’intervention immédiate qui sauvait des vies. Elle bouleversait toutes les notions liées à la pratique traditionnelle de la médecine, qui repose depuis l’antiquité sur un triptyque :

1. libre choix de médecin

2. secret médical

3. surtout le colloque singulier

Dans cet espace éthique de l’altérité et du pouvoir exorbitant du praticien sur le devenir du malade qui se livre à cet espace protégé mystérieux et propre métaphysique d’une rencontre où se joue la destinée.

Le sujet pour être traité doit être objetisé – autrement dit l’organisme en danger vient au premier plan des préoccupations aux dépens de « l’être » avec ses interrogations, son identité, sa singularité et l’énigme ontologique de la personne. Ce qui est en jeu dans l’urgence médicale c’est la mécanique organique qui est le support de l’individu et non l’individu lui-même.

Ce qui fait qu’en cas de crise ou d’accident collectif, en cas de guerre, le médecin urgentiste va catégoriser les patients, non pas en fonction de choix – éthiques officiels – de l’âge, de position sociale ou autre, mais en fonction des moyens thérapeutiques dont il dispose.

Autrement dit, en situation de crise, ou d’exception, on décrit les besoins en fonction des moyens. Dans cette urgence, l’individu, l’être disparaît et le temps, le devenir est englouti tandis que la nouvelle éthique, le sens est totalement nié au nom du pragmatisme. Cette notion est admise par tous, au nom de la survie.

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Extraits de Pauvreté et urgences sociales, Parole et Silence Editions (octobre 2011)

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