Dialogues avec Geneviève de Gaulle Anthonioz : emprisonnée et monnayée par Himmler<!-- --> | Atlantico.fr
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Heinrich Himmler était le maître absolu de la SS.
Heinrich Himmler était le maître absolu de la SS.
©German Federal Archive/Friedrich Franz Bauer

Bonnes feuilles

Rappelons que, déportée à Ravensbrück à la suite d’une dénonciation (elle fut torturée par la Gestapo et la bande de Bonny et Lafon), elle s’y lia d’amitié avec Germaine Tillion et fut "épargnée" car Himmler voulait en faire une "monnaie d’échange" à un moment où de Gaulle prenait la tête de la France Libre. A la Libération, cette femme intransigeante (le premier volume des Mémoires du Général de Gaulle lui est dédié) s’engagea dans un nouveau combat, contre la misère. Elle fut ainsi à l’origine de la fameuse loi de 1958 , dite "loi contre la grande pauvreté". Extrait de "Dialogues avec Geneviève de Gaulle Anthonioz", de Michaël de Saint-Chéron, publié chez grasset (1/2).

Michaël  de Saint-Chéron

Michaël de Saint-Chéron

Haut fonctionnaire au Ministère de la Culture,  interlocuteur d’André Malraux, d’Elie Wiesel, d’ Emmanuel Lévinas, il fut aussi l’ami et le confident de Geneviève de Gaulle-Anthonioz avec laquelle il écrivit un livre d’entretiens (publié en 1998 aux éditions Dervy) ici reproduit, actualisé et augmenté d’un bref essai : La traversée du Bien.

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MSC : J’aimerais que nous en venions à votre arrestation. À quel moment la Gestapo a-t-elle compris que vous étiez de la famille du général de Gaulle ?

GGA : Quand j’ai été arrêtée, je l’ai été sous une fausse identité. J’avais une très bonne « vraie- fausse carte ». J’ai été arrêtée par la bande Bonny- Lafont qui travaillait pour la Gestapo et quand l’inspecteur Bonny m’a dit rapidement : « Vous avez une fausse carte d’identité », je lui ai répondu : « Non, pas du tout. » Mais j’étais en possession de preuves de mon action dans la Résistance et de plus nous avions une boîte de faux papiers. J’avais donc toutes sortes de choses compromettantes et, lorsque j’ai compris que je ne pouvais échapper à l’arrestation, j’ai préféré, à ce moment- là, révéler mon identité véritable. Je trouvais qu’il était préférable que l’on sache qu’il y avait des membres de la famille de Gaulle qui étaient résistants et étaient arrêtés. J’ai donc dit que j’étais la nièce du général de Gaulle et j’ai eu l’impression, quelques fugitifs instants, que Bonny était plus embarrassé que ravi.

>>>>>>>>>>>> A lire également : Dialogues avec Geneviève de Gaulle Anthonioz : les raisons de son engagement contre la grande pauvreté

Il fut exécuté avant que je ne rentre de Ravensbrück. Je ne l’ai donc pas revu. Cependant, à partir de mon arrestation, j’ai été traitée comme tous les résistants, ni mieux ni plus mal que d’autres. Je n’ai pas été torturée, seulement un peu battue. Après quoi, j’ai été transférée à la prison de Fresnes comme tous les autres, puis déportée à Ravensbrück dans un grand convoi de mille femmes. Ce n’est que plus tard que l’attention a été attirée sur mon nom.

MSC : Quelles sont les circonstances exactes où cet épisode capital se déroula ?

GGA : J’ai été convoquée par le commandant du camp le 3 octobre 1944, Himmler ayant découvert qu’il détenait des membres de la famille de Gaulle : le frère du Général, Pierre de Gaulle, sa soeur, Madame Cailliau, son mari Alfred Cailliau, qui était à Buchenwald, et moi- même. Himmler commençait à penser que Hitler était fou, qu’il fallait terminer la guerre le plus tôt possible, et qu’il avait ainsi une manière d’entrer en rapport avec de Gaulle. Il lui proposa, par l’intermédiaire de la Croix- Rouge internationale, d’examiner un échange possible pour les membres de sa famille.

Bien entendu, le Général ne donna aucune suite, ce n’était pas son genre. Toutefois, parce qu’il fallait tout de même que je sois présentable, Himmler correspondit à mon sujet avec le commandant de Ravensbrück. J’ai eu de très sérieuses maladies au camp, c’est pourquoi, suite à ces échanges, je fus pour la première fois vaguement examinée, je reçus quelques remèdes, puis on m’enferma dans la prison cellulaire, qui se trouvait à l’intérieur du camp, pour m’avoir sous la main au cas où… Je suis restée à l’isolement total quatre mois.

MSC : Nous reviendrons un peu plus loin sur vos mois de cachot, mais comment se termina cette histoire pour vous ?

GGA : Himmler, sans réponse apportée à ses propositions, revint à la charge, sans plus de résultat d’ailleurs. La troisième fois, il décida d’écrire personnellement à de Gaulle, qui était devenu entre-temps chef du gouvernement provisoire de la République.

À mon retour de déportation, le Général me montra la lettre, dont il donne le contenu dans ses Mémoires de guerre. Himmler lui avait écrit, en substance : « J’ai de l’admiration pour vous. Vous avez accompli beaucoup de choses pour votre pays, mais la situation de la France est très critique. Nous pouvons encore gagner la guerre et, dans ce cas, la France n’existera plus. Ou bien les Anglo- Saxons la gagneront, c’est ce qui pourrait vous arriver de mieux, mais vous serez alors un dominion, vous n’aurez plus votre indépendance nationale. Néanmoins le pire qui puisse vous arriver, c’est que les Soviétiques soient les vainqueurs car, à ce moment- là, non seulement vous disparaîtriez en tant que nation, mais de plus, vous seriez complètement envahis par les communistes. Je vous propose donc une solution, faites avec nous une paix séparée, aidez- nous à la faire avec les Anglo-Saxons, et tous ensemble, nous tomberons sur les Soviétiques… »

Voici ce que furent les propositions de Himmler, pour le moins irréalistes. Inutile de vous dire que de Gaulle n’a pas davantage répondu que les deux fois précédentes. En me montrant la lettre, il me dit, ce qui m’a touchée, qu’il n’avait pas parlé à mon père de cette histoire, car mon père était veuf. Il s’était remarié, mais il avait perdu sa très jeune femme qu’il adorait et dont il avait trois enfants. De plus, ma soeur était, elle aussi, morte jeune, mon frère était dans les FFL (Forces françaises libres), et moi, j’étais à Ravensbrück. Le Général savait bien que mon père aurait été d’accord avec sa position, mais il n’a pas voulu lui faire de peine en lui apprenant la vérité sur mon sort.

Bien plus tard, j’ai raconté cet épisode , à la suite de quoi les historiens firent des recherches dans les archives allemandes à Berlin. Ils retrouvèrent les projets qui me concernaient. Himmler avait un ami personnel, haut gradé des SS, qui était Consul général et était resté coincé en France après la libération de Paris. Il était prêt à accepter un échange entre lui et moi. Ceci étant, je suis restée dans ma prison cellulaire jusqu’au moment où les troupes soviétiques commencèrent à approcher, c’est- à- dire jusqu’à la fin février 1945. On m’évacua en me faisant traverser l’Allemagne. Les étapes furent assez pénibles, parce que les voies ferrées étaient détruites. On me mit dans différentes prisons, et je finis par arriver dans le Wurtemberg, où je fus libérée le 20 avril.

Voilà donc mon histoire. Je dois ajouter pourtant que, juste avant ma libération, les Allemands voulaient m’emmener dans un réduit de défense, où les autres membres de la famille de Gaulle devaient être également conduits. Si la guerre s’était poursuivie, nous devenions des otages et je ne sais pas dans quelles conditions on nous aurait gardés ou supprimés le moment venu.

Extrait de "Dialogues avec Geneviève de Gaulle Anthonioz - suivis de La traversée du bien", de Michaël de Saint-Chéron, publié chez Grasset, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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