Affaire Woerth-Bettencourt : les enseignements qu’il faut absolument en tirer<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Woerth vient d’être doublement relaxé par le tribunal correctionnel de Bordeaux dans l’affaire Bettencourt.
Eric Woerth vient d’être doublement relaxé par le tribunal correctionnel de Bordeaux dans l’affaire Bettencourt.
©Reuters

Justice est rendue

Eric Woerth vient d’être doublement relaxé par le tribunal correctionnel de Bordeaux dans l’affaire Bettencourt. Certes, les attendus sont sévères. Une pratique qui n’est pas inhabituelle. Peut-être a-t-on eu tendance à confondre droit et morale. La faute en revient à l’ensemble de la classe politique et de la presse qui a fait de cette histoire balzacienne un champ d’affrontement violent entre droite et gauche.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Après cinq ans d’instruction, Eric Woerth, ancien Ministre du budget de Nicolas Sarkozy a été relaxé fin mai par le tribunal correctionnel de Bordeaux
  • Ce n’est pas hasard si Nicolas Sarkozy, sous le coup de procédures judiciaires, a fait acclamer Eric Woerth, "un honnête homme", a-t-il martelé, lors du congrès fondateur des Républicains, le 30 mai à La Villette
  • Eric Woerth a subi le même sort qu’avaient subi avant lui, Gérard Longuet, Dominique Strauss-Kahn et Michel Roussin
  • Une fois encore va se poser l’éternelle question sur le maintien ou non du juge d’instruction dans notre procédure pénale

Ainsi donc, Eric Woerth, après cinq ans de purgatoire, pour cause d’affaire Bettencourt, vient d’être deux fois relaxé par le tribunal correctionnel de Bordeaux. Une première fois, ce dernier a estimé qu’il ne pouvait être poursuivi pour recel d’abus de faiblesse, une seconde qu’il ne pouvait l’être pour trafic d’influence. En clair, la Légion d’honneur attribuée au gestionnaire de fortune de Mme Bettencourt, Patrice de Maistre, n’est pas la contrepartie d’une promesse d’embauche de l’épouse de Woerth dans la société chargée de gérer la fortune de l’actionnaire principale de L’Oréal. Certes, les attendus des deux jugements sont sévères pour l’ancien Ministre du budget de Nicolas Sarkozy. Incontestablement… Sauf que dans notre droit -heureusement- c’est à l’accusation de prouver la faute supposée avoir été commise.

A ceux qui penseraient que la décision de Bordeaux n’est qu’une semi relaxe, ou une relaxe en carton pâte, ils se trompent. Naturellement, Nicolas Sarkozy, qui lui aussi traverse des moments judiciaires délicats, s’identifiant à son ancien ministre, ne s’y est pas trompé en faisant acclamer le nom du député de l’Oise, le 30 mai, lors du congrès des Républicains à la Villette. En espérant bien qu’un jour prochain, lui aussi pourra se faire acclamer par ses troupes. Mais il n’en est pas encore là, si l’on en juge par l’enquête toujours pas terminée sur Bygmalion, comme celle sur les écoutes qui vient de repartir avec l’arrêt de la chambre de l’instruction de Paris qui les a validées. Un pourvoi ayant été formé devant la Cour de cassation, l’ancien chef de l’Etat espère nourrir quelque espoir d’annulation. Quoiqu’il en soit, les démêlés judiciaires qui ont duré cinq ans -n’oublions pas l’affaire de l’hippodrome de Compiègne instruite à la Cour de Justice pour laquelle Eric Woerth a été blanchi- risquent une nouvelle fois de remettre en cause le pouvoir du juge d’instruction, "l’homme le plus puissant de France", selon la célèbre formule de Balzac. Bizarrement, sur le sujet, Nicolas Sarkozy si prompt à monter au filet, s’est montré totalement discret. Sans doute ses avocats lui ont-ils conseillé le silence.

Ah ! Ce pouvoir du juge d’instruction ! Depuis des années, périodiquement, il est contesté. A gauche comme à droite. Le juge Renaud Van Ruymbeke, qui instruit divers dossiers où la droite est mise en cause (Karachi, Bygmalion, amende infligée à Sarkozy, financement présumé de la campagne présidentielle de 2007 par la Libye,) n’a jamais été autant choyé par le pouvoir actuel, alors qu’au début des années 90, lorsqu’il enquêtait sur Urba, la pompe à finances du PS, il était voué aux gémonies. Souvenons-nous des juges de l’affaire de la MNEF qui renvoyèrent Dominique Strauss-Kahn en correctionnelle. Il sera relaxé en 2001. Woerth-DSK, même combat : tous deux furent contraints de démissionner avant d’être blanchis par un tribunal correctionnel. Un  sort similaire sera infligé en 1994, à Michel Roussin, ministre de la coopération qui bénéficiera d’un non-lieu dans l’affaire des HLM de Paris, et à Gérard Longuet, ministre de l’industrie, qui lui aura droit à un non-lieu dans l’enquête sur le financement du Parti républicain (il sera par la suite relaxé à deux reprises dans d’autres affaires).

Si Longuet et Woerth sont revenus en politique, retrouvant une légitimité grâce à leurs électeurs, il n’en a pas été de même pour Roussin et Strauss-Kahn qui ont abandonné toute velléité de retour sur la scène politique. Encore que DSK, s’il est relaxé le 12 juin  dans l’affaire du Carlton comme l’a demandé le procureur de Lille, pourra bien dire haut et fort, qu’il n’a jamais été condamné. Ce qui sera parfaitement exact.

L’évocation de ces mésaventures politiques, droite et gauche confondues, rappelle que ces élus ont fait l’objet de nombreux articles, alors qu’ils étaient sous le coup  de poursuites judiciaires. En les relisant, on voit combien ils étaient souvent à charge -celui qui écrit ces lignes en sait quelque chose-, leurs auteurs ayant tendance à oublier qu’il existe, depuis le 15 juin 2000, une loi sur la présomption d’innocence et que le temps judiciaire est beaucoup plus long que le temps tout court. Il est vrai aussi que nos élus mis en cause répugnent souvent à livrer leur version des faits lorsqu’ils se trouvent dans le viseur de la justice. Il n’empêche. Comment une affaire tentaculaire comme l’affaire Bettencourt -dont un appendice est toujours à l’instruction- aurait-elle pu être instruite avec davantage de célérité ? Effectivement, Eric Woerth ne pouvait être jugé plus rapidement, sauf à considérer d’emblée qu’aucune charge ne pesait contre lui. Sauf à considérer que les juges ne lisent pas la presse et sont forcément imperméables à sa lecture.

Cette affaire Woerth, qui a provoqué de violents affrontements verbaux, le mot est faible, entre droite et gauche, montre qu’une fois encore l’opinion a tendance à confondre droit et morale. Elle montre aussi, que le pouvoir politique éprouve toutes les peines du monde à ne pas tenter d’influer sur le cours d’une information judiciaire dans laquelle apparait le nom d’un opposant. Sous la Révolution, il y avait le Tiers-Etat, la Noblesse et le Clergé… Aujourd’hui, avec la multiplication des dossiers politico-financiers dans lesquels les épinglés crient au complot et hurlent leur innocence, se développe une quatrième entité, une noblesse politico-oligarchique qui au minimum fait fi de la morale, rend des services aux membres de sa caste, se trouve déconnectée des préoccupations des citoyens, demeure rivée à ses privilèges et vit en autarcie. Comment dès lors, l’opinion ne serait-elle pas encline à détester cette noblesse new- look, souvent arrogante ? Cette nouvelle noblesse qui se trouve en butte aux curiosités de la justice (Thomas Thévenoud, ancien secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Patrick Balkany, le député-maire de Levallois-Perret et l’ancien ministre du budget, Jérôme Cahuzac etc...).

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