Comment la Chine s’inspire des années 50 pour construire sa super-puissance aujourd’hui <!-- --> | Atlantico.fr
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La Chine continue de placer ses pions pour dominer l’économie mondiale.
La Chine continue de placer ses pions pour dominer l’économie mondiale.
©Reuters

Made in China

Alors que les Etats-Unis et l’Europe concentrent leurs efforts pour lutter contre l’extension de l’Etat Islamique, la Chine continue, elle, de placer ses pions pour dominer l’économie mondiale, comme l'avaient fait les Etats-Unis de l’après-guerre : conquête des marchés étrangers, mainmise sur les pays émergents, multiplication des signes libéraux...

Mylène Gaulard

Mylène Gaulard

Mylène Gaulard est maitre de conférence en sciences économiques à l'université Pierre Mendès France, à Grenoble. Elle a publié Karl Marx à Pékin, Les racines de la crise en Chine capitaliste, Paris, Demopolis, 2014

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Atlantico : La Chine marche-t-elle main dans la main avec les pays émergents de l’Asie du Sud-est, ou, à l’image des Etats-Unis qui s’étaient appliqués au cours du plan Marshall à contrôler l’économie des pays européens, se comporte-t-elle en dominateur ?

Mylène Gaulard : Il faut en finir avec cette vision idyllique de l’économie qui veut voir dans les accords économiques signés entre pays des liens d’amitié et d’entente éternelle. Depuis l’arrivée au pouvoir en 2012 du nouveau président Xi Jinping, le pays met effectivement davantage l’accent sur le soft power,  c’est-à-dire qu’à côté des liens économiques et financiers, la Chine aide les pays à financer des projets d’infrastructure et augmente l’aide au développement versée aux pays dans lesquels elle bénéficie d’intérêts forts. Evidemment, comme le plan Marshall mis en place par les Etats-Unis en Europe pour contrer l’influence russe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la nouvelle banque d’investissement créée par la Chine pour financer des projets d’infrastructure en Asie servira surtout à défendre ses intérêts dans les pays concernés, pour faciliter les investissements d’entreprises chinoises, les exportations de produits chinois ainsi que pour assurer les approvisionnements en matières premières. Personne n’est dupe, évidemment, et des tensions diplomatiques sont toujours présentes entre la Chine et les pays de la région, avec par exemple des prétentions de souveraineté chinoise en mer de Chine du Sud qui inquiètent les pays riverains. La hausse constante des dépenses militaires chinoises est bien le signe de ce "hard power" employé pour gagner une place croissante dans la région, et le réarmement de pays comme le Vietnam, les Philippines ou la Malaisie, ainsi que la réorganisation de l’armée indienne, montrent bien que les pays de la région craignent réellement la domination chinoise.

Quels sont aujourd’hui les principaux alliés économiques de la Chine qui lui assurent une assise mondiale ?

La Chine n’a pas réellement d’alliés économiques au sens fort du terme. Dans le système mondial pleinement capitaliste où nous nous trouvons, les pays se trouvent en concurrence les uns avec les autres et ne peuvent nouer que des partenariats précaires où le plus souvent le plus puissant impose ses termes au plus faible, et où une relative et précaire égalité de force économique est la seule garantie d’une "alliance" profitable temporairement aux deux parties. Pour les pays arrivés tardivement sur le marché mondial, ce qui est bien sûr le cas de la Chine, la compétition laisse de toute façon peu de place pour de telles collaborations qui aient un intérêt réellement déterminant. Il est néanmoins vrai que le pays noue de plus en plus de liens avec des pays asiatiques, africains ou latino-américains, que ce soit dans des relations bilatérales ou au sein d’organisations régionales comme l’ASEAN, notamment afin de signer des accords de libre-échange. Par ailleurs, on peut noter la formation du sommet des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) en 2009, accueillant aussi l’Afrique du Sud depuis 2011, qui vise à rapprocher les cinq pays pour bénéficier d’une place plus importante dans les grandes organisations internationales et présenter une position commune dans les discussions internationales (par exemple sur la question du réchauffement climatique depuis le sommet sur le climat de Copenhague en 2009). La création d’une Nouvelle banque de développement, dont l’objectif est de concurrencer la Banque mondiale dans le financement des pays les plus pauvres, lors du sommet des BRICS de juillet 2014 à Fortaleza, apparaît comme la dernière grande réussite de ce rapprochement. Néanmoins, l’assise mondiale de la Chine ne repose pas tant sur ces liens noués avec les autres pays du Sud que sur ses relations économiques avec l’Europe et surtout les Etats-Unis qui lui permettent de dégager un excédent commercial et de faire gonfler ses réserves de change.

D’un point de vue de la conquête territoriale, comment se manifeste l’hégémonie de la Chine ?

Une nouvelle division internationale du travail s’est mise en place depuis l’émergence de la Chine, avec une spécialisation de ce pays dans les produits manufacturés alors que les autres pays en développement avec qui elle noue des liens économiques forts se cantonnent de plus en plus dans une production de matières premières. La Chine est pour cette raison de plus en plus présente en Afrique, en Asie centrale et en Amérique latine, avec des entreprises chinoises, privées ou publiques, encouragées à s’installer dans les pays riches en matières premières, et/ou avec des accords de libre-échange signés avec eux. En octobre 2014, le pays a créé la Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) pour financer des projets d’infrastructure dans sa région et défendre ainsi plus facilement ses intérêts auprès des pays voisins. Si le pays est devenu l’année dernière le premier pays d’accueil des investissements directs étrangers, elle en est aussi le troisième émetteur, ce qui marque clairement ce que vous appelez sa "conquête territoriale" qui se manifeste également par une diaspora chinoise de plus en plus présente dans les pays en développement (alors qu’on ne comptait que 100 000 Chinois sur le continent africain en 2001, ils sont aujourd’hui près d’un million).

Les investissements à l’étranger, en Afrique mais aussi en Europe, additionnés à une diaspora mondiale extrêmement importante, permettent-ils à la Chine d’acheter une complaisance mondiale quant à son régime politique et ses pratiques pas toujours transparentes ?

Les investissements productifs effectués dans le monde par la Chine, que ce soit ceux faits en Asie, en Amérique latine ou en Afrique, dans le but de faciliter l’approvisionnement en matières premières et d’exporter davantage de produits manufacturés, ou dans une moindre mesure, ceux observés en Europe et en Amérique du nord dans un objectif de rachat d’entreprises existantes, visent surtout à renforcer sa puissance économique. Quant aux investissements financiers, on estime qu’elle possède 10% des bons du trésor américains détenus à l’étranger et à peu près autant de ceux de la zone euro, ce qui pourrait lui donner une certaine force diplomatique auprès de ces pays ; cependant, la Chine est le premier détenteur de réserves de change, et seuls ces placements lui assurent une certaine sécurité de ces réserves malgré leur faible rémunération. L’intérêt de tous ces investissements est donc surtout économique, et sincèrement, je ne crois pas que la Chine ressente le  besoin d’acheter une complaisance mondiale vis-à-vis de son régime peu démocratique… Que par contre, les puissances occidentales mettent spontanément en sourdine leur défense des Droits de l’Homme et de la démocratie lorsqu’il est question de faire affaire avec des pays de régime autoritaire, c’est une des constantes évidentes de la réalité historique, et il faudrait être naïf pour s’en étonner.

La protection des marchés locaux, en compliquant par exemple l’installation d’entrepreneurs étrangers sur le sol chinois, est-elle payante ?

Le marché chinois est de moins en moins protégé aujourd’hui, la politique d’ouverture économique n’a cessé de se renforcer depuis la décennie 1980. Avec l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001, les restrictions faites aux investissements étrangers ont diminué drastiquement, transformant le pays en premier récepteur d’investissements directs étrangers, devant les Etats-Unis, et cette année, le gouvernement s’est engagé à diminuer encore de moitié les restrictions s’appliquant aux investisseurs étrangers. Certains secteurs comme l’énergie, les services ou les télécommunications sont cependant encore relativement protégés, alors que les investissements dans les hautes technologies sont encouragés afin d’accélérer le rattrapage technologique de l’appareil productif chinois. Malheureusement, cette ouverture contrôlée n’a pas vraiment aidé la Chine à combler son retard technologique vis-à-vis des pays les plus riches, ce qui est révélé surtout par la part de produits assemblés dans ses exportations (part qui se maintient à 50% depuis la décennie 1990) : en effet, la Chine est devenue le premier exportateur mondial en 2009 en partie grâce aux entreprises étrangères qui représentent 50% de ses exportations, mais la moitié des produits exportés résultent de l’assemblage de composants intermédiaires à forte valeur ajoutée produits dans des pays comme le Japon ou la Corée du Sud, et seule une infime partie de la valeur exportée demeure sur le territoire chinois.

Quelles sont les barrières qui pourraient enrayer le développement de la Chine ?

Outre de vives tensions sociales liées à des inégalités n’ayant cessé d’augmenter depuis la décennie 1980, la Chine rencontre des difficultés économiques non négligeables actuellement, qu’il s’agisse de la baisse des prix de l’immobilier depuis 2014 et de l’éclatement d’une bulle spéculative dans ce secteur, du surendettement des entreprises et des collectivités locales risquant de mener à une crise bancaire assez sérieuse, ou de problèmes plus profonds encore au sein d’un appareil productif de moins en moins rentable, faisant face à des capacités de production excédentaires en raison d’une demande insuffisante. Du fait de toutes ces difficultés, que je détaille largement dans mon ouvrage Karl Marx à Pékin, la croissance économique a ralenti depuis 2011, pour atteindre en 2014 son plus bas niveau depuis 1990 (7,4% officiellement, contre une moyenne de 10% dans la décennie 2000). Pour les prochaines années, la situation risque de se dégrader encore davantage, et même le Fonds monétaire international révélait récemment qu’il craignait que la libéralisation financière dans laquelle s’est engagée la Chine ne provoque très vite une fuite massive des capitaux ; ce qui ne ferait qu’accentuer encore plus fortement les problèmes rencontrés…

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