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Qataris, Chinois, Russes... A qui le patrimoine immobilier français appartient-il ?
©Flickr/unicellular

Bonnes feuilles

A qui appartient la France ? En douze histoires vraies, ce livre-enquête répond enfin, de façon étayée et documentée, à cette lancinante question, et lève le voile sur la réalité des investissements étrangers en France. Que possèdent les Qataris, mais aussi les Chinois, les Russes ou les Sud-Coréens, pour ne citer qu'eux ? Extrait de "A qui appartient la France ?", de Fabien Piliu et Denis Boulard, publié chez First (1/2).

Denis  Boulard

Denis Boulard

Denis Boulard est journaliste indépendant. Il collabore notamment au Nouvel Observateur et aux Dossiers du Canard enchaîné.

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 Fabien  Piliu

Fabien Piliu

Fabien Piliu est journaliste chez "La Tribune".

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Confronté à la gestion de ces surfaces importantes et très diversifiées, en même temps qu’à des finances exsangues, l’État a d’abord tenté de transférer ses responsabilités de propriétaire aux ministères qui ont la jouissance au quotidien de ces différents biens. Tout du moins dans un premier temps. C’est le sens de la circulaire signée par l’éphémère Premier ministre, Édith Cresson, en date du 21 février 1992. Avec cette « directive », les ministères de tutelle se retrouvent en charge de la maintenance et des rénovations éventuelles des bâtiments qu’ils occupent. Si l’intention est, certes, très louable, le résultat n’est clairement pas à la hauteur des espérances. Comme l’observe d’ailleurs l’Institut Montaigne, qui note avec une acidité certaine qu’avec cette circulaire, « le patrimoine a été considéré comme acquis et tout effort important d’entretien comme dangereux pour l’équilibre du budget ministériel. Loin d’enclencher le cercle vertueux de la participation de chaque ministère au bon usage de son immobilier, il a enclenché un cercle vicieux où le patrimoine est considéré comme un bien non valorisé dont l’entretien est coûteux, dont la cession est complexe et dont la modification est impossible (…) si l’État ignore l’étendue de ses biens et leur valeur, il ignore aussi la variation dans le temps de leur valorisation de marché et il est à craindre que cet historique pèse lourd sur la valeur actuelle du patrimoine. » La messe semble dite. L’État, à la tête d’un impressionnant patrimoine immobilier dont il ne cerne pas avec précision les contours – c’est le moins que l’on puisse écrire, même si cela est moins vrai aujourd’hui ! –, adopte d’abord l’infructueuse politique de l’autruche. Avant de n’avoir d’autre choix que de regarder la dure réalité en face. Et, donc, finalement de créer France Domaine en 2006.

Revenons à cette fin d’année 2013. Et aux chiffres impressionnants que révèle alors Chorus. Des chiffres inédits, rappelons-le. Il en ressort que la somme des mètres carrés vacants, c’est-à-dire que l’État contrôle mais qu’il n’occupe pas, s’élève très précisément à 11 176 252 mètres carrés. Ce qui revient à dire qu’au minimum plus de 15 % du parc immobilier détenu par l’État est non utilisé. Un chiffre qui ne correspond pas exactement aux chiffres officiels qui révèlent, eux, selon le document de politique transversale (DPT) proposé à la lecture des services de l’État qu’il y a – déjà ! – 3,4 millions de mètres carrés inoccupés. Mais il y a encore plus grave, si l’on peut dire. En fait, la machine étatique ne sait pas si ces surfaces considérées comme vacantes sont réellement louées, ou non, en l’absence de baux ou autres contrats d’occupation signés en bonne et due forme. Une gestion pour le moins perfectible.

À l’image de certains spécialistes de France Domaine, nuançons ces chiffres proprement vertigineux en évaluant la marge d’erreur des relevés de Chorus à quelque 300 000 mètres carrés. Puis essayons de préciser les choses, sans toutefois se noyer sous des vagues de chiffres difficiles à interpréter. La première administration concernée par ces bâtiments laissés vacants est – sans surprise depuis la réforme du service militaire de 1996 –, la Défense. Avec près de 4 millions de mètres carrés vacants sur les plus de 17 millions répertoriés. L’Éducation nationale, avec plus de 2 millions de mètres carrés vacants sur près de 10 millions, pointe en deuxième position. Enfin, et alors que le nombre des sans domicile fixe est estimé à près de 120 000 personnes par l’Insee en 2012, l’État compte plus d’un million de mètres carrés de logements vacants. Sur plus de 11 millions. Certes, faire le parallèle entre ces gens malheureusement à la rue et ces bâtiments vides serait un raccourci un peu facile. Une tentation démagogue à laquelle nous ne céderons évidemment pas. Il n’en demeure pas moins que sur le papier ce décalage entre les besoins et les moyens mis en face pour y répondre pose question. Pour ne pas dire plus.

Ce que ne manque pas de faire, de son côté et de façon plus large sur l’ensemble de la gestion du patrimoine immobilier de l’État, la Cour des comptes en mai 20139. Dans ce rapport, les sages de la rue Cambon regrettent, principalement, que l’État ne vende pas plus de biens, ne serait-ce que pour participer plus activement au désendettement du pays. « Si le taux de contribution des cessions immobilières au désendettement de l’État est fixé par la loi à 20 % en 2012 et passera à 25 % en 2013 et 30 % en 2014, il n’a été en moyenne que de 12,4 % en 2012 », déplore ainsi la Cour, qui estime par ailleurs que « du volume et de la nature des biens qu’il sera encore possible de céder à partir de la fin prévue aux dérogations (accordées principalement au ministère de la Défense, NDA), fin 2014, dépendra la capacité effective de contribution au désendettement de l’État ». Bref, et pour le dire très simplement, il est impératif de vendre plus ! Ce qui revient à contredire – noir sur blanc et calculatrice à la main – l’idée, pourtant médiatiquement largement répandue, d’un État qui « braderait » ses bijoux de famille. Mais la Cour des comptes ne s’arrête pas là. Elle observe aussi « une baisse des cessions », le Compte d’affectation spéciale (CAS) recueillant le produit de ces ventes étant passé de 598 millions d’euros en 2011 à 515 millions en 2012… après quatre années de hausse consécutives. Enfin, fidèle à sa réputation de « méchant flic » des différentes administrations, la Cour estime que « la gestion du CAS se caractérise toujours par des contournements de l’autorisation budgétaire et de la norme de dépenses, au moyen de lettres ministérielles illégales ». Les termes sont forts. Et sans aucune ambiguïté. Pour autant, presque un an plus tard jour pour jour, les sages de la rue Cambon font le dos rond à l’égard de France Domaine. Et ne tapent pas sur les doigts de cette administration pour sa gestion imparfaite des biens de l’État. Un simple hasard ? Pas exactement. Sans vouloir être désobligeants, lorsqu’il s’agit de faveur octroyée sous forme de « dérogations » plus ou moins formelles, la Cour des comptes sait de quoi elle parle.

Juin 2014. La Cour accorde, très discrètement, un satisfecit à France Domaine en levant sa « réserve numéro six » pour sa gestion du patrimoine immobilier de l’État. Essentiellement pour le travail de recensement de titan effectué par le système informatique Chorus que nous avons déjà évoqué plusieurs fois. « Mais, pour certains esprits chagrins, Chorus n’est qu’un prétexte. La Cour aurait voulu, en fait, remercier France Domaine de la faveur que celui-ci lui avait faite quelques mois plus tôt. Alors que pour rationaliser ses coûts, l’État impose à toutes les administrations de ramener la surface utile nette (la SUN) par poste de travail à 12 mètres carrés contre 15,98 mètres carrés à l’heure actuelle, la Cour des comptes a obtenu une dérogation pour aller jusqu’à 16 mètres carrés. Mieux, dans un courrier du 20 septembre 2013, Bernard Cazeneuve, alors au Budget et donc responsable de France Domaine, a accepté « à titre dérogatoire et transitoire, que les surfaces d’archives ne soient pas prises en compte dans le calcul de la surface utile nette10 ». Une décision ministérielle qui va clairement à l’encontre d’un autre courrier de France Domaine à la Cour des comptes en date du 23 juillet 2012. Et dans lequel on peut lire qu’« il n’est pas possible de retenir pour la Cour des comptes une notion de surface utile nette qui aurait une autre définition que celle qui s’applique aux autres administrations et qui s’appuie sur les notions professionnelles des acteurs du secteur immobilier (…) bien des services de l’État (service des archives, services des impôts…) disposent d’une abondante documentation archivée. Aussi, il nous appartient, en liaison avec les juridictions financières, d’apprécier les meilleures voies, économes des deniers publics, pour répondre à ce besoin particulier, tant par la prise à bail de locaux d’archives extérieurs que par l’utilisation d’espaces domaniaux qui peuvent satisfaire ce besoin. » Mais voilà, la Cour des comptes ne se considère pas comme une administration comparable aux autres. En 2012, selon son propre schéma pluriannuel de stratégie immobilière (2013-2018), elle reconnaît que « le ratio moyen par agent pour l’ensemble de ses juridictions (c’est-à-dire à Paris et en régions, NDA) était de 20,4 mètres carrés (…) mais après regroupement, les ratios d’occupation tendront vers l’objectif de 16 mètres carrés par agent ». C’est-à-dire assez loin tout de même des 12 mètres carrés « cibles » de France Domaine, qui n’a donc pas obtenu gain de cause. Pour un ministre du Budget, que ce soit Bernard Cazeneuve ou un autre, aller à l’affrontement direct avec la Cour des comptes est périlleux. Un exercice risqué qui ne présente strictement aucun intérêt. Surtout quand on a l’ambition de mener une longue et belle carrière politique. Nous revenons, là, à la difficulté de fond déjà abordée et qui consiste à changer les mentalités. L’un des principaux obstacles que doivent affronter les « Domaines », qui restent finalement une administration très jeune dans le sérail. Et qui doit encore, dans une certaine mesure, faire ses preuves pour trouver sa place.

 Extrait de "A qui appartient la France ? - Mythes, peurs et réalités sur l'argent français dans l'Hexagone", de Fabien Piliu et Denis Boulard, publié chez First. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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