Mais comment appeler les Républicains ? La question absurde qui agite la gauche et qui en dit long sur son mépris des électeurs<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Mais comment appeler les Républicains ? La question absurde qui agite la gauche et qui en dit long sur son mépris des électeurs
©

Soupe intellectuelle

L'UMP présidée par Nicolas Sarkozy a changé de nom le week-end dernier. Un geste bien simple, qui semble pourtant perturber la majorité et les médias, propriétaires d'un certain nombre de concepts.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : Depuis la semaine dernière, les médias s'interrogent sur le nom à donner aux Républicains. Une telle attitude n'est-elle pas incongrue ? 

Christophe Bouillaud : Plutôt oui. D’évidence, il y a des questions plus importantes à traiter dans l’espace public que le nom de l’ex-UMP. En même temps, le nouveau nom choisi par l’UMP lors de son récent Congrès, « Les Républicains », nécessite de prononcer cinq syllabes : les-Ré-pu-bli-cains. Je ne suis certes pas linguiste, mais je sais que la tendance générale dans l’usage de la langue est à la concision – en fait par simple paresse de prononciation. Il est logique que les médias, remplis de gens pressés et stressés, cherchent une version plus courte, en particulier un sigle, ce qui donnerait logiquement « LR ». Il faut d’ailleurs noter que la plupart des partis français sont identifiés à leur sigle qui remplace très souvent leur nom : le PS pour Parti socialiste, le PCF pour Parti communiste français, l’UDI pour Union des démocrates et indépendants, le FN pour le Front national, etc. La seule exception partielle à cette règle est constitué par les Verts (parfois noté LV dans les articles des revues scientifiques), justement un nom en deux syllabes seulement, qui reste utilisé alors que le nom officiel de ce parti est depuis 2009 « Europe Ecologie – les Verts », abrégé par le sigle en quatre lettres,  EELV.  En fait, il est surtout étonnant que les gens qui ont conseillé Nicolas Sarkozy dans le choix du nouveau nom de l’UMP n’aient pas pensé à proposer le bon sigle correspondant, sachant que « R » tout seul ne passe pas en français (ailleurs en Europe, il y a certes des partis dont le sigle est constitué par une seule lettre, par exemple au Danemark, « V » pour « Venstre », littéralement Gauche, en fait le Parti libéral danois). Et je ne trouve pas « les R. » très élégant à dire non plus. Quoiqu’il en soit un usage finira bien par s’établir. En tout cas, je parierais que l’extrême-droite aura du mal à ne pas parler des « Ripoublicains », même s’il s’agit d’un jeu de mot trop facile.

A gauche, les hommes politiques suivent le même discours, certains refusant même de nommer la nouvelle formation politique par son nom. Que souligne cette hypocrisie alors qu'eux-mêmes aiment à se poser en vrais républicains ? 

Je ne parlerais pas d’hypocrisie, mais plutôt de désarroi. En fait, les partis de gauche, suivis par quelques intellectuels de renom dont un historien dans un article publié dans le Monde, ont prétendu que le terme même de « républicain(s) » ne saurait être le terme qui désigne un parti de droite, que N. Sarkozy voulait confisquer le terme de République à son profit. C’est là faire fi de l’histoire de France. Il y a bien longtemps que la droite française utilise le mot de « républicain(s) » dans la nomination de ses partis. Nous ne sommes plus en 1875 quand le terme même de « République » faisait horreur aux droites légitimistes, orléanistes et bonapartistes. Sans rappeler les noms de partis sous la IIIème République, je rappellerais par exemple le « Parti républicain de la Liberté », fondé en 1945, par la droite la moins compromise dans la Collaboration (1940-45), et qui finira par se fondre dans le « Centre national des Indépendants » (CNI). On pourrait rappeler aussi l’appellation d’un des partis gaullistes, l’UNR de 1958, l’ « Union pour la Nouvelle République », mais aussi bien sûr les « Républicains Indépendants » (RI) de Valéry Giscard d’Estaing, nés justement d’une scission du CNI en 1962. Plus récemment, jusqu’en 1997, il existait un « Parti républicain », issu de cette même tendance de la droite distincte du gaullisme.  En fait, le vrai étonnement à gauche devrait être que le courant issu du gaullisme finisse par adopter le terme de « républicain » qui, à droite et au centre, servait plutôt depuis 1945 à nommer les hommes politiques qui refusaient de se fondre dans la machine gaulliste. Par ailleurs, il devrait être évident pour tout le monde que le terme de « républicain » appartient désormais à tout le monde, parce qu’en réalité, chacun est libre de mettre à peu près ce qu’il veut derrière ce terme. Il n’y a pas de vrais et de faux républicains, il n’y a que des conceptions différentes de la société qui se prétendent toutes républicaines. Les seuls non-républicains sont les monarchistes, et encore ceux-ci diront que seule la royauté défend vraiment la chose publique, la res publica, et qu’ils sont donc en sens les seuls authentiques républicains.

Derrière ces hésitations transparaît la peur que les français s'imaginent que Nicolas Sarkozy et son parti sont les seuls représentants de l'esprit républicain. Pourquoi dans de méprit vis-à-vis du grand public ? 

Dans le contexte contemporain, la gauche se trouve idéologiquement à la remorque de la droite, d’où sa réaction virulente. N. Sarkozy, quelques autres leaders de l’UMP et quelques publicistes de renom ont en effet réussi à imposer dans le débat public l’idée que la République était menacée par les « communautarismes », en pratique par la présence de musulmans organisés en société distincte sur le sol français.  Il s’agit bien sûr pour l’ex-UMP de concurrencer le FN sur ce terrain du plus anti-islamiste et anti-communautariste que moi tu meurs. La gauche semble avoir peur de laisser le monopole de ce clivage « anti-Islam », exprimé sous la forme d’une défense de la République, au camp d’en face, d’où son énervement face à l’usage du terme de « républicain ». En effet, s’il y a bien un camp politique qui s’est défini dans la longue durée par sa détestation d’une religion – le catholicisme -, c’est bien la gauche française, contrairement à la droite qui a partie liée avec le catholicisme. Les journalistes et dessinateurs de Charlie-Hebdo assassinés le 7 janvier dernier s’inscrivent dans cette filiation de gauche jacobine, républicaine, anticléricale, libertaire, qui ne porte pas les religions, source ultime d’aliénation, dans leur cœur. La gauche ne sait pas comment réagir, alors qu’en choisissant de nommer « Les Républicains » l’ex-UMP, N. Sarkozy semble lui avoir choisi sa ligne sur ce sujet, presque à la droite du FN lui-même.

En voulant éclairer le lecteur, les médias se positionnent en sauveurs. Que leur apporte cette attitude ?  Quelle est leur stratégie, leur objectif ? 

Il me semble que c’est le rôle historique des médias d’éclaircir la situation pour leurs lecteurs. Pour en revenir à cette affaire de nomination de l’ex-UMP, cela traduit aussi l’ignorance de certains journalistes qui voient des connexions où il n’y en a sans doute pas. Ils voient le terme de « républicain » comme faisant allusion à la situation américaine. Je ne crois pas que N. Sarkozy puisse avoir eu une telle idée. Je crois au contraire que le terme de « Les Républicains » a été choisi en dépit même du fait que certains y verraient nécessairement une allusion aux Etats-Unis. Vu l’anti-américanisme français, aussi bien présent à droite qu’à gauche, une telle allusion si elle avait voulue par N. Sarkozy aurait été contre-productive. Sans vouloir trop faire l’universitaire qui médit des médias tout en s’y exprimant, j’ai bien peur qu’il y ait aussi de la part de certains journalistes la recherche de la polémique pour la polémique. La véritable information de ce week-end n’est pas le nouveau nom de l’UMP, mais l’affirmation de sa ligne politique. Il suffit d’aller lire l’appel qui a été diffusé à cette occasion par le nouveau parti, ou d’écouter les propos de N. Sarkozy. Si j’ose dire, le ton se durcit nettement. Le refus de N. Sarkozy, bien peu républicain pour le coup, de participer à la cérémonie de panthéonisation de quatre Résistants par F. Hollande aurait dû être plus souligné comme un signe de radicalisation de la part du leader de l’ex-UMP.

Les mouvement politiques semblent accaparer certaines valeurs, et refusent ou se voient refuser d'en défendre d'autres. Ainsi, dans la vulgate, les questions de sécurité seraient forcément l'apanage de la droite quant aux questions d'éducations, elles seraient la spécialité de la gauche. Assiste-t-on à la fin de ce type de confiscation ? 

Pour le coup, dans un système politique stable comme celui de la France, la « propriété des enjeux » reste d’actualité – en dépit même d’ailleurs des déceptions ressenties par les électeurs lorsqu’un parti a échoué au pouvoir à traiter l’enjeu en question. Le parti qui a mis le premier sur agenda un problème dans l’espace public en reste « propriétaire », c’est-à-dire que l’électorat le perçoit comme mieux à même de s’en occuper. Le FN reste ainsi le parti pour lequel voteront les électeurs qui voient l’immigration comme un problème prioritaire à régler. Les efforts des autres partis pour se réapproprier cet enjeu auront toujours des effets limités.  Visiblement, « les Républicains » veulent s’approprier l’enjeu de l’islam, cependant,  ils arrivent un peu tard sur un terrain déjà fort concurrentiel, rappelons que la première affaire du voile islamique date de 1989 et que les premiers choix « laïcs » au sens contemporain du terme, c’est-à-dire visant à réguler la présence de l’Islam dans la vie publique française, se font sous un gouvernement de gauche.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !