"Les religions" : Charlie et ses drôles d’amalgames<!-- --> | Atlantico.fr
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Attentat à Charlie Hebdo, manifestations contre la "christianophobie" de la pièce de Castellucci... Il n'en faut pas plus pour faire l'amalgame entre "les religions".
Attentat à Charlie Hebdo, manifestations contre la "christianophobie" de la pièce de Castellucci... Il n'en faut pas plus pour faire l'amalgame entre "les religions".
©Reuters / Atlantico

Polémique

Le blogueur Koz revient sur "l'affaire Charlie Hebdo", et notamment sur l'interview de l'historien des religions Odon Vallet publiée dans "Le Monde".

 Koz

Koz

Koz est le pseudonyme d'Erwan Le Morhedec, avocat à la Cour. Il tient le blog koztoujours.fr depuis 2005, sur lequel il partage ses analyses sur l'actualité politique et religieuse

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C’est la cerise sur le gâteau, l’amalgame sur un plateau. Pour que ces trois semaines de controverse partent en apothéose, ou en vrille totale, il ne nous fallait pas juste un dérapage, il nous fallait un attentat. Cet attentat, commis par un groupe ou un individu dont on présume qu’il(s) se réclam(ent) de l’islam, vient parfaire celui qu’il s’agissait précisément d’éviter, entre « les religions ».

« Les religions » : c’est là la dernière généralisation admissible. On ne dit pourtant pas « les gros », « les petits ». Et on ne dit pas « les noirs », « les juifs ». Eh bien, c’est pareil : ne dites pas « les religions ».

Odon Vallet, historien des religions mais prince des amalgames, en a servi un de taille, dans un entretien qui commençait bien : « la polémique autour de Charlie Hebdo rappelle qu’il est devenu très difficile de caricaturer les religions – pas seulement l’Islam ».

Sous ce beau chapeau, Odon Vallet explique que : « la religion a plus de poids alors elles ont plus de poids pour se faire entendre ». Faut-il rire ou se réjouir de lire que le catholicisme aurait aujourd’hui plus de poids ? Si tel est le cas, voilà bien une nouvelle inattendue, qui mérite d’être fêtée, alors que l’on ne cesse d’entendre que les églises tombent en ruine, que les fidèles les délaissent, qu’ils ne suivent plus les enseignements de l’Église, et que les vocations s’assèchent.

On ne s’arrête pas en si bon chemin : vas-y que je t’amalgame les religions. Et que « toutes les religions ont leurs intégristes, les cathos comme les musulmans ». Et que « tenez, regardez ce qui arrive avec la pièce de Castellucci ».

En mode mineur, Bertrand Delanoë fait le lien entre le Théâtre de la Ville et le siège de Charlie Hebdo tandis qu’à l’Assemblée, Frédéric Mitterrand, déclare : « pour l’intolérance et le non-respect d’un principe essentiel de notre république, les fondamentalistes se rejoignent ». Il est vrai que catholicisme et islam, c’est tout pareil. Les intégristes des cathos, ceux des musulmans, c’est kif-kif bourricot. Il suffit de remplacer les œufs des uns par le cocktail molotov des autres. Certes, les uns tâchent quand l’autre détruit. Mais c’est une nuance.

Trêve d’ironie : le christianisme présente une incompatibilité spécifique avec la violence la plus directe qui résonne malgré tout jusque dans la conscience des plus vindicatifs. A quelques crispations près, ceux qui raillent l’Eglise et les catholiques, avec parfois la dernière vulgarité, ne se sont attirés des intégristes cathos que quelques très démocratiques procédures judiciaires, dont l’AGRIF se fait d’ailleurs débouter avec une remarquable constance depuis plus de vingt ans.

Trêve d’ironie, et trêve d’amalgame, donc : même avec nos intégristes, Charlie peut conchier l’Eglise sans souci.

Mais il était tout beau, tout chaud, servi sur un plateau, cet amalgame. Alors, l’amalgame, c’est le mal, oui…  Mais comment leur en vouloir de s’en saisir si facilement ? Et, pour dire si c’était prévisible, permettez que je me cite : c’était il y a quinze jours, et je demandais à nos amis sauce « France, jeunesse, chrétienté » s’ils voulaient vraiment ressembler aux manifestations d’islamistes en Tunisie. Ah, Dieu, comme ils l’ont servi sur un plateau, cet amalgame velu, trapu, connu, repu et recuit, des religions qui seraient toutes marquées par une même intolérance, un même obscurantisme !

Et c’est la Grande Peur dans les salons, les rédactions. On se serre tous très très fort les coudes, s’il reste une main, on la place sur son coeur, et on proclame, émus, notre indéfectible attachement à Charlie Hebdo et à la liberté d’expression menacée ! (Applaudissements sur l’ensemble des bancs.), nous dit-on. Où est le danger, alors, puisqu’elle fait consensus, que les tribunaux la protègent sans faiblir et que l’Assemblée communie dans sa célébration ?

Une fois encore,  la liberté d’expression est posée comme l’ultime horizon de toute réflexion, mais un horizon terriblement borné quand elle ignore la vérité, le sens… Elle est présentée comme un but, un accomplissement, alors qu’elle est juste le pré-requis, le début de toute expression, et que son invocation ne saurait épuiser le débat.

Cela dit, quitte à amalgamer, amalgamons : elles étaient à Assise, jeudi et vendredi derniers, « les religions ». « Les religions », dont les représentants Français ont pour point commun de toujours condamner les actes de violence, que ce soit Mohammed Moussaoui, ou Monseigneur Podvin. Les religions, blâmées pour leur travestissement, c’est un comble… N’amalgamons pas, non plus, les religions, leurs fondamentalistes et leurs identitaires.

Elles étaient à Assise, où Benoît XVI a rassemblé 300 représentants des principales religions du monde – et quatre non-croyants – dans une rencontre pour la paix, contre la violence. A Assise, où Benoît XVI, reconnaissant aussi qu’une certaine violence veut s’appuyer sur la religion et que, « dans l’histoire, on a aussi eu recours à la violence au nom de la foi chrétienne », a justement prononcé ces mots :

"La critique de la religion, à partir des Lumières, a à maintes reprises soutenu que la religion fut cause de violence et ainsi elle a attisé l’hostilité contre les religions. Qu’ici la religion motive de fait la violence est une chose qui, en tant que personnes religieuses, doit nous préoccuper profondément. D’une façon plus subtile, mais toujours cruelle, nous voyons la religion comme cause de violence même là où la violence est exercée par des défenseurs d’une religion contre les autres.

Les représentants des religions participants en 1986 à Assise entendaient dire – et nous le répétons avec force et grande fermeté : ce n’est pas la vraie nature de la religion. C’est au contraire son travestissement et il contribue à sa destruction. (…)

Il est absolument clair que ceci a été une utilisation abusive de la foi chrétienne, en évidente opposition avec sa vraie nature. Le Dieu dans lequel nous chrétiens nous croyons est le Créateur et Père de tous les hommes, à partir duquel toutes les personnes sont frères et sœurs entre elles et constituent une unique famille. La Croix du Christ est pour nous le signe de Dieu qui, à la place de la violence, pose le fait de souffrir avec l’autre et d’aimer avec l’autre. Son nom est « Dieu de l’amour et de la paix » (2 Co 13, 11). C’est la tâche de tous ceux qui portent une responsabilité pour la foi chrétienne, de purifier continuellement la religion des chrétiens à partir de son centre intérieur, afin que – malgré la faiblesse de l’homme – elle soit vraiment un instrument de la paix de Dieu dans le monde."


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