Brexit : ce fragile équilibre de la terreur que David Cameron prend le risque de remettre en cause avec son référendum européen<!-- --> | Atlantico.fr
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David Cameron a annoncé que le référendum britannique sur la sortie de l'Union européenne aura lieu en 2016.
David Cameron a annoncé que le référendum britannique sur la sortie de l'Union européenne aura lieu en 2016.
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Desunion Jack

Le Premier ministre britannique entame aujourd'hui mercredi 27 mai une tournée diplomatique européenne. Objectif : renégocier les conditions d'appartenance de la Grande-Bretagne à l'UE, avant de réaliser une de ses promesses de campagne, à savoir la tenue d'un référendum sur une sortie de son pays de l'Union. Mais c'est surtout au Royaume-Uni que David Cameron fait courir le plus de risques.

Sophie Pedder

Sophie Pedder

Sophie Pedder est Chef du bureau de The Economist à Paris depuis 2003.

 

Elle est l'auteur de Le déni français aux éditions JC Lattès.
 

 

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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  • Mercredi 27 mai, le Premier ministre britannique David Cameron doit se rendre aux Pays-Bas afin de commencer une tournée diplomatique européenne.
  • Pendant sa tournée, il rencontrera plusieurs chefs d'Etat ou de gouvernement européens, dont François Hollande et Angela Merkel, afin de renégocier les conditons d'appartenance du Royaume-Uni à l'UE.
  • David Cameron et son parti conservateur, ont largement remporté les dernières législatives britanniques. En cas de victoire, ils ont promis d'organiser un référendum concernant une éventuelle sortie du pays de l'Union.
  • La City de Londres, comme les Ecossais, souhaitent rester dans l'Union, alimentant les ferments de la division dans le pays. Une indépendance écossaise, et donc un éclatement du royaume, est à craindre.
  • Les pertes économiques de ce départ ne serait pas si importantes pour l'UE, qui commerce déjà beaucoup avec des Etats non-membres, comme la Suisse.

Atlantico : Après avoir dîné avec le président de la Commission européenne, le Premier ministre britannique s'apprête à rencontrer ses homologues européens afin de renégocier les conditions d'adhésion de son pays à l'UE. Cameron cherche-t-il à éviter que le référendum sur la sortie de l'Union ait lieu ?

Sophie Pedder : Non, pas du tout. Il a fait une promesse avant les dernières élections législatives et il a été élu sur cette promesse, il va donc la tenir. Il n'y a aucune chance qu'il renonce à l'idée de la tenue d'un référendum. Dans la culture politique britannique, une promesse comme cela, ça se tient.

Ensuite, pour lui, tout dépend de ce qu'il peut négocier et de comment il peut le vendre à son électorat. S'il n'arrive pas à obtenir des vraies concessions de ses partenaires européens, la question deviendra "peut-il présenter cela à son électorat de manière à ce que ses résultats apparaissent comme des concessions ?". En ce qui concerne les concessions qu'il souhaite obtenir, il n'est pas très clair sur le sujet car il n'a jamais vraiment précisé, mis à part dans quelques discours et articles, ce qu'il accepterait et ce qui serait, pour lui, des lignes rouges à ne pas franchir. Il est difficile de discerner ses vraies demandes et cela représente, également, un problème pour ses partenaires européens, car personne ne sait exactement ce qu'il va demander.

On peut tout de même prendre quelques exemples de ce qu'il pourrait chercher à obtenir. Certains de ces exemples peuvent être perçus comme très "modestes" à l'étranger, mais comptent beaucoup pour les Britanniques, notamment la suppression d'une phrase du préambule du traité de Rome (1957) qui mentionne l'établissement d'une "union sans cesse plus étroite entre les peuples européens". Cette phrase est totalement inconnue en France, mais en Grande-Bretagne elle gène profondément les conservateurs, car elle désigne une union qui n'est jamais terminée. Ce qui paraît marginal ici est au cœur du problème car, pour les Britanniques eurosceptiques, l'Europe n'est jamais finie, alors qu'eux souhaiteraient une Europe établie, un projet qui ne recommence pas à chaque fois. Admettons, qu'en principe, il soit possible de trouver un compromis sur cette phrase, cependant, d'autres questions sont beaucoup plus compliquées. Prenons comme exemple le principe de la libre circulation des personnes, les conservateurs souhaitent plus de contrôles sur l'immigration venant d'autres pays européens. Or, cette thématique touche au cœur du projet européen, et là c'est beaucoup plus compliqué d'imaginer qu'on puisse y toucher. Les demandes de David Cameron pourraient donc être très variées, et aller du simple au très compliqué. Je pense que le cœur de tout le problème est de trouver une formule pouvant satisfaire les conservateurs eurosceptiques et en même temps ne pas impliquer une réécriture des traités, ce que ne souhaitent en aucun cas la France et l’Allemagne.

Il faut bien comprendre que dans sa promesse de référendum, il y a une condition : le fait de présenter une nouvelle formule dans la relation entre le royaume et l'Union. Suite à cette proposition renégociée, David Cameron pourra proposer de rester en Europe. Sa tournée n'est pas seulement une tournée de campagne, il doit revenir avec quelque chose, pour ses propres besoins de politique intérieure. Mais comme je le disais, il est difficile de préciser ce quelque chose, car il ne l'a pas dit explicitement. Il ne veut pas non plus tout dévoiler tout de suite, car il s'agit d'une négociation : il doit donc demander beaucoup. Tout ça n'est pas très clair, c'est une manœuvre politique. 

D'ailleurs, il faut noter qu'au sommet de Riga, Cameron a affirmé qu'il n'excluait pas de plaider pour une sortie de l'UE lors du référendum. C'est une tactique, car sa logique est de dire que s'il n'obtient pas ce qu'il souhaite de ses partenaires européens, il conseillera aux Britanniques de voter pour la sortie. Il veut faire pression sur les Allemands et les Français. Il joue un jeu et pour le moment il ne souhaite pas dévoiler ses cartes.

Christophe Bouillaud : A priori non. La promesse de tenir un référendum a joué un tel rôle dans la définition même de la position politique de David Cameron ces dernières années qu’il pourra difficilement la renier d’autant plus que son parti n’a qu’une faible marge de majorité aux Communes et qu’il ne peut donc se passer de ses propres back-benchers eurosceptiques. Par contre, David Cameron ne s’est pas engagé sur la nature exacte de la question posée lors de ce référendum. Probablement, l’idée de David Cameron, qui ne veut pas rompre en réalité avec l’UE et qui ne veut que satisfaire la part eurosceptique de son électorat, est de négocier avec les autres Européens toute une série d’avantages, visibles et populaires, pour le Royaume-Uni, et de faire ensuite approuver cette nouvelle situation par la population britannique. Cela accentuerait simplement la situation actuelle où le Royaume-Uni est membre de l’UE, mais bénéficie déjà d’opt-out, c’est-à-dire de la permission inscrite dans les traités successifs de ne pas participer à certaines politiques communes, dont bien sûr la monnaie commune.

Dans le même esprit, David Cameron caresse l’idée de sortir de la Convention européenne des droits de l’Homme, pour préserver les particularités du droit pénal britannique. C’est bien sûr une Europe "à la carte" qui peut finir par exaspérer les autres Européens, puisque David Cameron voudra bien sûr garder en même temps tout ce qui arrange ses électeurs conservateurs de la City de Londres, comme par exemple toutes les libertés de circulation des capitaux qui lui permettent de dominer la finance européenne. A force de vouloir satisfaire à la fois la xénophobie de certains de ses électeurs et l’internationalisme financier de la City, David Cameron risque d’énerver tout de même un peu les autres Européens, qui, d’ailleurs, ce sont déjà passés de lui pour le TSCG en 2011-12 quand il a voulu déjà négocier des avantages particuliers pour son pays à cette occasion.

Aujourd'hui, qui sont les Britanniques qui souhaitent la sortie de leur pays de l'Union européenne ? Sont-ils majoritaires et quelles sont leurs raisons ?

Sophie Pedder : D'après les derniers sondages ils ne sont pas majoritaires. Ils l'étaient il y a six mois, avec une nette majorité. Rappelons que les sondages britanniques se sont totalement trompés sur le résultat des dernières législatives, il faut donc s'en méfier. Surtout que nous sommes à, potentiellement, deux ans de l'organisation d'un tel référendum, on ne peut donc pas se baser sur les sondages d'aujourd'hui.

Concernant les partisans de la sortie de l'UE, il s'agit d'un mélange de conservateurs eurosceptiques, qui représentent une importante minorité, et du parti nationaliste UKIP. D'ailleurs c'est la raison d'être de ce dernier. Il y a d'autres Britanniques eurosceptiques sans forcément être du côté des conservateurs ou de l'UKIP. Il y a des électeurs de gauche qui ont tout de même voté pour l'UKIP, des anciens travaillistes qui ne sont pas les électeurs traditionnels de ce parti mais qui sont aussi eurosceptiques. C'est assez transversal dans l'électorat britannique.

Pour ce qui est de leurs raisons, il s'agit d'un mélange. Je pense que la crise dans la zone euro n'a pas fait beaucoup de publicité pour l'Europe auprès des Britanniques, du moins sur le plan économique. C’est d’autant plus important pour les Britanniques qu'ils ne sont pas l'un des pays fondateurs et qu'ils ont rejoint l’Europe en 1973 pour des raisons économiques – le marché commun --  et non pas politiques. De plus, les Britanniques ont toujours eu envie de garder leur souveraineté et c'est quelque chose qui compte pour eux, ils s'opposent au sentiment que "les règles sont dictées par Bruxelles". Cela se ressent surtout dans la thématique de l'immigration européenne, qui a soulevé toute sorte de questions identitaires au Royaume-Uni.

La City et les acteurs de la finance britannique sont les plus à même de voir aujourd'hui quels bénéfices ils peuvent tirer de l'appartenance à l'Union européenne. Quel est leur poids ? Quelles autres parties du royaume souhaitent s'y maintenir ?

Sophie Pedder : Tout à fait, je pense que la majorité de la City et des entreprises souhaitent rester. Ceci-dit, il y a une minorité assez bruyante qui prône la sortie. Cependant, la difficulté pour David Cameron est que, s'il souhaite le maintien du Royaume-Uni, il ne peut pas simplement dépendre de la City, car elle ne pèse pas beaucoup dans l'opinion publique. Le fait que la City souhaite rester n'est pas un argument en soi. Surtout que la City et les salaires extravagants de ses dirigeants sont tout autant controversés au Royaume-Uni qu'en France. Tactiquement, Cameron ne peut pas avoir la City comme seul soutient.

Ensuite, il y a les Ecossais. Ils souhaitent rester dans l'Union, si jamais le Royaume-Uni en sort, eux souhaiteront sortir du Royaume-Uni. Pour eux, la question est très sérieuse. En cas de sortie, il y a des fortes probabilités qu'ils demandent un nouveau référendum sur l'indépendance. Ils ont échoué l'année dernière, mais étant très europhiles, si le Royaume-Uni sort de l'UE, il sera difficile pour eux de rester dans un Royaume-Uni hors UE. Ensuite, dans tout le Royaume, il y a tout de même la moitié de l'opinion publique qui souhaite rester dans l'UE, pour des raisons économiques, politiques, liées à la libre circulation etc. D'ailleurs, sur ce dernier point, il faut noter qu'il y a beaucoup de Britanniques résidant en France et en Espagne. De plus l'Europe étant le premier partenaire économique de la Grande-Bretagne, il y a une dépendance, les Britanniques n'étant pas complètement isolationnistes. En ce qui concerne le pays de Galles, il n'y a pas eu d'explosion nationaliste semblable à celle de l'Ecosse, il n'y a donc pas de poussée forte en faveur de l'indépendance. Mais concernant la problématique écossaise, on peut craindre le risque d'éclatement. Il faudrait déjà que les Britanniques votent pour la sortie de l'UE, que les Ecossais demandent un nouveau référendum … Ce n'est tout de même pas pour demain, même si la logique est en place.

David Cameron rencontrera d'abord les chefs de gouvernement du Danemark et des Pays-Bas, qui sont plutôt sur sa ligne. A l'inverse quelle sera l'attitude des Français et des Allemands à son encontre ?  Peut-il évoquer avec eux la question de l'ouverture des traités ?

Christophe Bouillaud : De fait, si David Cameron veut vraiment changer des choses importantes dans le fonctionnement actuel de l’UE et dans la place du Royaume-Uni au sein de l’UE, je vois mal comment on pourra se passer de réviser les traités actuels. Par exemple, David Cameron veut revenir sur la liberté de circulation des personnes dans l’UE – ne plus avoir de Roumains ou de Polonais pour concurrencer les travailleurs britanniques -, or c’est là une des quatre libertés fondamentales définie lors du Traité de Rome (1957) et jamais remise en cause depuis. Les limitations à la libre circulation des personnes pour les ressortissants des nouveaux pays de l’UE entrés en 2004 et 2007 et pour une durée déterminée avaient  d’ailleurs été inscrites dans les traités d’adhésion. Par ailleurs,  il est certain que les autorités françaises en particulier ne veulent pas entendre parler d’un nouveau grand traité européen qu’il faudrait faire ratifier par le peuple français. En Allemagne, c’est un peu la même chose avec le jugement du Tribunal constitutionnel de juin 2009 à propos du Traité de Lisbonne, qui implique que toute nouvelle avancée  importante dans l’intégration européenne devra être soumise à référendum. Du coup, il est probable que dans un premier temps, les Français et les Allemands refusent toute réouverture des traités. Il faudra en discuter ensuite quand les discussions se feront plus précises. En même temps, la réouverture des traités ne serait pas absurde face au défi britannique. En effet,  il y aurait une logique économique et politique à renforcer d’une part la zone Euro et à organiser d’autre part l’articulation entre cette zone Euro devenue fédérale et le reste des pays de l’UE ou des pays associés à l’UE – dont le Royaume-Uni et pourquoi pas la Suisse, la Norvège, l’Islande ou  la Turquie.

Sur le plan économique, quelles seraient les conséquences pour le Royaume-Uni de ce "brexit" alors qu'on sait que les pays de l'Union représentent les principaux partenaires commerciaux du pays ? Qui a le plus à perdre, le Royaume-Uni ou l’UE ?

Alexandre Delaigue : Tout le monde a un peu à perdre. Mais a priori, la question n'est pas vraiment de savoir qui a le plus à perdre, mais plutôt qu'est-ce qu'on perd véritablement dans cette situation. Le problème ici est qu'on ne sait pas par quoi serait remplacée l'adhésion actuelle de la Grande-Bretagne à l'Union européenne. Or, quand on regarde quelles sont les alternatives possibles, en réalité ce qui a le plus de chance de se produire, c'est que la Grande-Bretagne se retrouve dans une situation analogue à celle de la Suisse. La Suisse a toutes les caractéristiques d'un membre de l'Union européenne, sauf qu'elle est libre sur ses législations, mais tant pas que ça car elle est obligée, pour pouvoir continuer à commercer et échanger avec l'UE, de signer des traités. Ces traités portent sur les flux de travailleurs, la réglementation financière, celle des produits etc. En d'autres termes, si on veut regarder l'état des pays non-membres de l'Union européenne, on s'aperçoit qu'ils sont obligés d'accepter une bonne partie des caractéristiques de l'appartenance, sans avoir leur mot à dire. C'est la raison pour laquelle les Britanniques ont toujours souhaité rester dans l'UE malgré les inconvénients qu'ils y voyaient.

Au bout du compte, on ne peut pas dire qu'une sortie de l'UE de leur part changerait beaucoup, économiquement parlant, sur le long-terme, mais dans toute une série de domaines, surtout dans celui de la règlementation financière, la Grande-Bretagne n'aurait plus son mot à dire. Le pays devra alors s'y soumettre. On peut penser à la situation de la Norvège, de l'Islande etc. Aucun pays européen n'est complètement isolé. Surtout que le principal partenaire économique et commercial du pays reste l'UE, il faudra donc une relation réglée. Comme les autres pays européens non-membres, la Grande-Bretagne devra accepter une grande partie de l'acquis communautaire sans avoir voix au chapitre.

Ensuite, on peut toujours imaginer d'autres scénarios, mais ils sont assez peu probables. Le plus probable est celui que j'ai mentionné, tout en se demandant quel degré d'autonomie possèdera la Grande-Bretagne. En sachant que pour cette dernière, cela posera des questions concernant son intégrité, et la séparation du Royaume-Uni lui-même. Surtout sur la question de l'Ecosse qui pourrait vouloir sortir du Royaume pour rester dans l'UE.

Il est assez peu probable qu'une sortie ait un impact économique important sur l'UE. Cela n'a rien à voir avec la situation de la Grèce, qui, elle, mettrait en danger l'euro. Après, c'est vrai que la place financière de Londres est très intégrée dans l'UE, cependant les places financières peuvent aussi se remplacer, et on voit mal les Britanniques se couper totalement financièrement. Du point de vue de l'Union européenne, le seul risque est que cela mette un coup d'arrêt à l'évolution actuelle qui se manifeste par l'adhésion toujours plus grande de nouveaux membres. Cela pourrait conduire à une réorientation des politiques européennes, car on aurait moins d'insistance sur le marché intérieur et sur l'adhésion de nouveaux pays, les deux grands sujets portés par la Grande-Bretagne, bien qu'elle ait un peu changé sur ces thèmes dernièrement. Les thématiques seraient réorientées vers plus d'intégration entre pays membres, particulièrement ceux de l'Eurozone. C'est plutôt de l'ordre du politique que de l'économique.

Sophie Pedder : Selon moi, c'est bien entendu le Royaume-Uni qui a le plus à perdre. L'analyse de The Economist montre que ce n'est pas dans l'intérêt économique du Royaume-Uni de partir, il y a trop d'incertitudes, le pari est trop important. Je pense que pour les autres pays, le problème ne serait tant pas économique que politique. C'est bien pour la France d'avoir un autre partenaire que l'Allemagne, à laquelle elle doit faire face tout le temps. Une autre voix en Europe n'est pas négligeable. De plus, dans certains domaines, la France et le Royaume-Uni s'entendent très bien, sur les questions de défense et de sécurité par exemple, étant les deux seules puissances militaires dans l'UE. En dehors du cadre européen cela serait plus difficile.

Peut-on aujourd'hui craindre qu'un tel départ de l'Union européenne puisse avoir un effet d'entraînement sur les autres Etats membres, notamment ceux de l'euro-zone, qui pourraient ainsi se poser la question de la sortie de l'UE ?

Alexandre Delaigue : Pour les pays de la zone euro, le problème est toujours le même, celui des conséquences éventuelles. Le modèle serait celui de la Grèce. D'une manière générale, la sortie de la zone euro est quelque chose de beaucoup plus difficile à mener que la sortie de l'UE. Car, je le répète, cette dernière ne change pas grand-chose en réalité, et présente, techniquement, beaucoup moins d'obstacles qu'une sortie de l'Eurozone. Donc ce "brexit" n'aurait pas beaucoup d'impact pour les pays qui sont dans cette dernière. On peut ensuite considérer les pays qui sont l'UE et qui n'ont pas l'euro, et se demander s'ils pourraient être victimes d'un effet d'entraînement. Mais ils ne sont pas tant que ça et n'ont pas forcément envie de quitter l'UE, on peut considérer la Hongrie, mais elle n'a pas vraiment besoin du modèle britannique si elle souhaite quitter l'Union. Je ne pense pas que l'Angleterre puisse inspirer énormément de successeurs car le pays a toujours été un cas un peu à part dans l'Union européenne. C'est un pays majeur, qui est là depuis très longtemps, donc c'est sûr que sur le plan symbolique ça aurait énormément d'importance. Après sur le plan pratique et concret, il n'est pas sûr que ça ait beaucoup d'effets. Un enchaînement de plusieurs choses pourrait créer une forme de délitement progressif, car on sent bien qu'il y a une sorte de blocage dans la logique d'une union "sans cesse plus étroite". Le départ de la Grande-Bretagne pourrait pousser en ce sens.

Christophe Bouillaud : Si l’enchaînement des événements amenait vraiment le Royaume-Uni à faire usage de l’article 50 du Traité de Lisbonne qui permet à un pays de sortir de l’UE, la situation serait d’une gravité extrême. Pour la première fois de son histoire, l’intégration européenne irait à rebours, et il faudrait de toute façon négocier la place nouvelle du Royaume-Uni dans le concert européen. Je doute pourtant qu’on en arrive là : les intérêts économiques de la City et des grandes multinationales en général, sans compter les rappels à l’ordre de l’allié américain, vont faire obstacle à une telle évolution. Quant aux pays de l’Eurozone, il faut noter qu’aucun, sauf peut-être la France, n’a développé en son sein un euroscepticisme qui voit l’avenir du pays en dehors de l’UE. Les Grecs, les Espagnols, les Portugais, les Italiens, bien qu’ils souffrent le martyre du point de vue économique et qu’ils ne sentent pas respectés par Bruxelles, tous veulent rester dans la zone Euro et dans l’UE, et ne voient pas d’autre avenir pour leur pays que "l’Europe". Le Royaume-Uni constitue largement un cas à part, puisque c’est le seul pays dont une partie de l’électorat, essentiellement une bonne part des Anglais, se verrait mieux seul au monde que mal accompagné – en réalité, parce que ces électeurs britanniques voient encore un peu leur pays comme le centre du monde.  Sortir de l’UE suppose d’abord de savoir où l’on place son pays dans l’échiquier européen et mondial.

Un tel départ pourrait-il être une première fissure qui présagerait d'un éclatement de l'Union ? Peut-on également penser à un éclatement du Royaume-Uni dans lequel certaines nations souhaiteraient rester dans l'UE ?

Alexandre Delaigue : Les fissures existent déjà. Le système européen est fragile, et, paradoxalement, tire sa force de sa fragilité. Quand une crise se produit, il y a un renforcement dans d'autres domaines. La crise financière, qui est un facteur de délitement, conduit en même temps à l'union bancaire et à plus d'intégration.  Ce n'est pas nouveau, l'UE fonctionne grâce aux crises, et, ces crises aboutissent souvent au fait qu'il y ait de nouveau plus d'intégration. Beaucoup de gens en Europe considèrent, d'ailleurs, que le départ des Britanniques serait une excellente nouvelle pour l'intégration européenne. Quoiqu'on puisse en juge, ce n'est pas un argument absurde. Un départ serait triste et ennuyeux sur le plan symbolique, mais sur le plan pratique et économique n'est pas sûr que l'UE rencontre tant de difficultés que ça. Mais on est plus dans le symbole que dans l'effet domino.

Le risque d'éclatement est plutôt du côté de la Grande-Bretagne. Il y a de gros soucis mais c'est plus lié à des problématiques internes. Le référendum écossais n'a pas réglé la question séparatiste, mais l'a plutôt amplifiée, et la fera revenir. D'ailleurs la dernière élection s'est jouée là-dessus. La question écossaise ne cessera pas de revenir, et un éventuel référendum de sortie de l'UE, irait encore plus dans ce sens-là. Tout est possible dans ce domaine.

Christophe Bouillaud : Comme je vous l’ai dit, le départ du Royaume-Uni casserait complètement le discours ordinaire sur l’UE qui progresse toujours. Il n’est déjà pas en très bon état, mais là son décès serait acté. Cela obligerait à regarder les choses plus froidement en tenant compte des intérêts présents des uns et des autres, le futur existerait encore moins qu’aujourd’hui. Pour l’instant, ce jeu des intérêts reste tout de même un peu caché, or il serait tout à fait clair si le Royaume-Uni sortait ou sortait à moitié en ne gardant  au final que ce qui l’arrange. Tous les autres Etats seraient incités à faire de même. Cela serait la victoire finale de M. Thatcher et son célèbre "I want my money back" des années 1980.  La "crise des dettes souveraines" a déjà démontré ces dernières années l’égoïsme ou la courte vue des Etats "créditeurs", cela serait encore pire. Par ailleurs, il n’est pas sûr du tout que le Royaume-Uni survivrait à un Brexit. Les électeurs écossais seraient en effet incités à réclamer un nouveau référendum d’indépendance. Et en plus, le problème épineux de l’adhésion d’une Ecosse souveraine  à l’UE serait ainsi résolu, puisque Londres ne saurait y faire obstacle dans ce cas. Il y aurait aussi le cas irlandais : la pression pour une réunification de l’Irlande ne ferait sans doute que monter. Ces éléments font d’ailleurs que je suis persuadé que David Cameron essaiera de jouer finement pour ne pas en arriver à être le dernier Premier Ministre du Royaume-Uni, ce qui serait tout de même le comble de l’échec historique pour un conservateur britannique.

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