Lundi de Pentecôte : la journée de solidarité ou comment gouverner par tableur Excel en ignorant la réalité <!-- --> | Atlantico.fr
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Le lundi de Pentecôte devait être un jour travaillé a profit d'un organe de solidarité pour les personnes âgées.
Le lundi de Pentecôte devait être un jour travaillé a profit d'un organe de solidarité pour les personnes âgées.
©Reuters

Vieilles lunes

A l'origine de la journée de solidarité, instituée le lundi de Pentecôte, l'idée semblait simple : faire de ce jour chômé un jour travaillé mais dont la rémunération serait reversée automatiquement à un organe de solidarité pour les personnes âgées. Une erreur de raisonnement qui a mené à de multiples modifications de cette loi.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Nous avons tous en mémoire la gestion hasardeuse de l'épisode de grande canicule de 2003 et de sa surmortalité chez les personnes âgées. Aucun audit simple et crédible ne fut alors mené et, à l'inverse, certains politiques osèrent tenter de culpabiliser les Français qui ne s'occupaient pas "assez" de leurs aînés. Cette idée de culpabilité a choqué et reçu une vive désapprobation de bien des spécialistes dont le bouillant urgentiste Patrice Pelloux ou le posé Professeur Bernard Debré.

Une loi anti-culpabilité collective ?

Un an après, une loi – dont l'élaboration fut conduite par le Premier ministre Raffarin en personne – devait apporter la solution. Un dispositif supposé simple (loi du 30 Juin 2004) : nous allions tous travailler le lundi de Pentecôte et le produit de nos heures serait versé dans une caisse spécifique pour les personnes âgées.

Dix ans après, force est de constater que la France est mal partie dans la gestion des coûts financiers que va engendrer ce que l'on nomme le quatrième âge.

L'application de la loi de 2004 reposait sur un principe énoncé par l'article L14-10-4 du Code de l'action sociale et des familles : le versement d'une "contribution de 0,3% qui a la même assiette que les cotisations patronales d'assurance-maladie affectées au financement des régimes de base de l'assurance-maladie".

Une cagnotte convoitée

Chaque année, on évalue à 2,5 milliards les sommes collectées afin d'aider les personnes âgées en résidentiel ou à domicile(financement de pièces climatisées, recrutement de personnel pour les maisons de retraite, etc) ce qui représente donc un total d'un peu moins de 26 milliards depuis 2004. Or, à plusieurs reprises, l'AD-PA, structure qui réunit les directeurs d'établissements pour personnes âgées et ceux agissant dans le secteur des services à domicile a affirmé que "près de 3 milliards avaient été détournés de leur objectif central" et ainsi repris par l'Etat. L'inoubliable ministre Michèle Delaunay (qui avait osé dire qu'elle avait sa "liste" de noms à suggérer pour un exil fiscal vers la Russie tel celui de Gérard Depardieu...) avait été contrainte de le reconnaître.

Une idée simple qui ne résiste pas à l'épreuve des faits

Le principe se voulait simple : le lundi de Pentecôte n'était plus un jour férié et tous les salariés devaient travailler sans être rémunérés. Mais très vite, les choses se sont compliquées. Les stagiaires et les indépendants étaient exclus de la mesure. Et surtout, face au tollé des uns et des autres, le Gouvernement a accepté qu'une convention collective ou même un accord d'entreprise permette de choisir un autre jour férié, hors exception du 1er mai.

L'introduction de cette apparente souplesse n'a eu pour conséquence que d'engendrer la cacophonie. Nombre d'écoles ont indiqué, par exemple, qu'elles resteraient fermées le fameux lundi ce qui a posé plus d'un problème de garde aux parents dont l'entreprise était ouverte !

Une journée flottante s'est installée selon les entreprises : abandon d'une journée de RTT, travail de 7 heures additionnelles réparties annuellement, travail additionnel de 1 minute 52 supplémentaire quotidienne à la SNCF... Bref, ce fût un chantier innommable pour ne pas recourir à un autre terme.

Par ailleurs, les choses se sont envenimées au plan juridique puisque certains syndicats estimaient non valide le principe d'un travail non payé. Dans un arrêt important relatif à la retenue sur salaire d'un fonctionnaire absent, le Conseil d'Etat énoncé que cette journée de solidarité ne constitue pas du travail forcé et qu'elle " fait partie des obligations civiques normales" ( CE, 9 novembre 2007 ).

Clairement la loi Raffarin ne résistait pas à l'épreuve des faits : ne pas avoir mesuré que la maille était plus fine qu'il n'y paraissait et avoir acté une telle idée sans consultation crédible et sans étude d'impact relève du caractère hors-sol de certains décideurs.

Aujourd'hui, 10 ans après sa mise en application, on remarque que le poids de cette journée est réparti très inégalement entre les entreprises, les salariés, les retraités…qui paient le prix de cette journée ?

Par la loi du 16 Avril 2008, l'Etat et le législateur ont confirmé "qu'à défaut d'accord collectif, l'employeur peut définir unilatéralement les modalités d'accomplissement de la journée de solidarité après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel s'ils existent."

Le piège français se poursuivait : il pouvait y avoir accord par entreprise, accord négocié ou imposé. Ceci, depuis dix ans, a provoqué des inégalités entre les entreprises et donc directement impacté la vie des salariés. Cas fréquent du conjoint qui travaille le lundi de Pentecôte et pas l'autre, etc.

Par ailleurs, la CSA (contribution solidarité autonomie) a été étendue, depuis le 1er Avril 2013, aux retraités et aux non-salariés avec la création de la CASA : contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie.

A noter que les allocataires d'une pension d'invalidité sont désormais soumis à la CASA ce qui en dit long sur la conception de la vraie justice sociale de Messieurs Ayrault et Moscovici, qui étaient au pouvoir en 2013.

De surcroît, il faut savoir que de 2004 à 2013, les députés et sénateurs n'avaient pas à verser cette CSA du fait qu'ils perçoivent une indemnité de fonction et non des traitements. Le fait que la CASA vise l'ensemble des personnes bénéficiant d'une régime obligatoire d'assurance-maladie devrait avoir apporté un peu d'équité...

Donner finalement la liberté aux entreprises de décider comment procéder avec cette journée révèle l'échec des parlementaires à comprendre les réalités du fonctionnement de la société : comment alors légiférer sur ces questions ?

Le 13 Juin 1993, Claude Bébéar indiquait à l'Heure de Vérité (France 2) que "l'Etat écoute trop les macro-économistes et pas assez les micro-économistes".

La journée de solidarité est typiquement une illustration de ce jugement décidément pertinent. Tout a été décidé d'en-haut. Puis face aux blocages, on a introduit de la liberté qui s'est muée en désorganisation.

Songeons que cette année, 3 salariés sur 10 travailleront le lundi de Pentecôte et qu'il s'agira presqu'exclusivement de travailleurs du privé. Les administrations, le système éducatif, etc seront fermés à l'exclusion de quelques grands services publics, type SNCF.

Il me semble qu'un raisonnement visant un accord de branche serait ici une piste sérieuse de solution. A quoi sert qu'une usine donnée travaille, si son sous-traitant ne la livre pas ce jour-là, faute d'activité.

D'autres lois ont été proposées puis finalement abandonnées car trop en décalage par rapport au monde réel, comme le CV anonyme, mesure abandonnée après quelques années d'une non-application criante. Quels sont les exemples emblématiques de ces lois fumeuses ?

Une loi importante aux effets délétères

L'Histoire a des vertus. Et je souhaite commencer à vous répondre en citant une triste loi qui a abouti.

On peut ainsi se souvenir que les deux assemblées avaient adopté le principe du quinquennat par révision constitutionnelle et que Georges Pompidou, en 1973, devait finalement – en sagesse - refuser de soumettre ce projet au Congrès ou au peuple par voie référendaire. Quand on constate les méfaits du quinquennat (par opposition au septennat non renouvelable), on peut qualifier cette idée et la loi de 2000 de regrettable donc de fumeuse. L'application est criante au point de figer bien des forces vives du pays.

L'instabilité législative et les hoquets de la loi

Parallèlement, il est essentiel d'évoquer l'instabilité législative. Tous, dans nos domaines, nous devons établir le constat de l'empilement des textes et du mouvement de balancier qu'ils induisent. A ce sujet, il est utile de relire une proposition de loi constitutionnelle (N° 2327) du 29 Octobre 2014 visant "à créer un environnement fiscal stable et compréhensible pour les particuliers et les entreprises". Ce texte de trois articles comporte notamment une ambition fondée : "Toute disposition augmentant le produit d'une imposition existante ou créant une imposition nouvelle ne peut avoir pour effet d'augmenter le produit global des prélèvements obligatoires".

L'inflation des lois et leur application imparfaite

Nombre de juristes ont décompté des lois frappées de caducité qui ne sont pas abrogées et participent à la pesanteur de notre droit.

Pesanteur accrue par le nombre, le "volume" de lois promulguées. D'autant que le taux global d'application des lois votées s'établit à moins de deux tiers (64%) selon un rapport du Sénateur Assouline (lire ici: http://www.senat.fr/rap/r13-623/r13-623_mono.html).

Par défaut de rédaction ou de publication des décrets, bien des lois demeurent d'application partielle voire parcellaire. C'est d'ailleurs le futur sort probable du texte Macron qui imposera la publication de décrets dont la rédaction aura nécessairement été interministérielle.

La primauté de l'Exécutif

Un point méconnu est à souligner : si 67% des dispositions découlant d'un projet de loi gouvernemental font bien l'objet d'une application juridique, ce chiffre tombe à 48% lorsque la mesure vient d'un amendement de l'Assemblée et de 23% si elle vient du Sénat. Clairement, l'Exécutif a les moyens d'assouvir ses réticences.

Autrement dit, la discussion parlementaire – socle de notre démocratie représentative – est très sérieusement écornée par la pratique ce qui nuance la portée opérationnelle des heures de débat en commissions ou dans les deux hémicycles.

L'exemple de la complexité de la loi DALO

En matière de logement, la loi DALO était supposée être une avancée sociale. Face à la pression de la demande, son application est illusoire et amène à se demander si certains textes ne relèvent pas, au fond, du jugement du Cardinal de Richelieu :

"Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c'est autoriser la chose qu'on veut défendre" (Mémoires).

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