G20 : une régulation financière en trompe l’œil depuis 2008<!-- --> | Atlantico.fr
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Les G20 se succèdent, puis passent, mais la régulation financière annoncée piétine.
Les G20 se succèdent, puis passent, mais la régulation financière annoncée piétine.
©Reuters

Promesses d'avenir économique

Le G20 s'ouvre ce jeudi à Cannes. Depuis 2008, les propositions pour réguler le marché financier se succèdent. Pour quels changements concrets ? Bilan.

François  Leclerc

François Leclerc

François Leclerc est chroniqueur de "L'actualité de demain" sur le blog de Paul Jorion ainsi que dans La Tribune.

Il est également l'auteur de "Fukushima, la fatalité nucléaire", aux éditions "Osez la République sociale!".

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Les G20 se succèdent, puis passent, mais la régulation financière annoncée piétine. Elle semble promise à être le parent pauvre de celui qui va s’ouvrir à Cannes, d’autres préoccupations plus urgentes ayant pris le dessus.

Jean-Pierre Jouyet, le Président de l’Autorité (française) des marchés financiers (AMF), résumait dernièrement la situation en estimant qu' « il y a aujourd’hui un excès de pouvoir des marchés financiers sur les choix politiques ». Lord Adair Turner, Président du Financial Services Authority (équivalent britannique de l'AMF) et membre du Conseil de stabilité financière (FSB), s’était quant à lui interrogé publiquement sur « l’utilité sociale » de la plupart des transactions financières, ce qui avait fait grand bruit.

En septembre 2009, le G20 de Pittsburgh avait déclaré nécessaire de « veiller à ce que nos systèmes de régulation des banques et des autres établissements financiers contiennent les excès qui ont conduit à la crise », décrits comme un surendettement important, des investissements massifs dans des actifs financiers risqués et des bonus astronomiques. Qu’en est-il aujourd'hui ?

Faire le point sur l’état des mesures de régulation adoptées depuis, impose de pénétrer - quitte à parfois s’y perdre - dans le maquis des réglementations toujours en cours d’élaboration, et ce des deux côtés de l’Atlantique. Ce qui permet de constater que les blocages priment sur les avancées, qui sont singulièrement réduites. Le constat est difficilement contestable : Wall Street et La City, les deux grands centres de la finance mondiale, sont pour l’instant parvenus à repousser l’essentiel des assauts qu’ils redoutaient.

Des réglementations inachevées

Aux États-Unis, les 2 500 pages de la loi Dodd-Frank attendent toujours des milliers de décrets d’application, qu’une pléiade d’organismes de régulation rédige laborieusement, dans la crainte qu’ils soient contournés. Soumis à des restrictions budgétaires par la majorité républicaine de la Chambre des représentants, leurs moyens sont limités.

En Europe, soumis à des vents contraires, Michel Barnier, le commissaire européen au marché intérieur et aux services, s’efforce actuellement d’avancer sur le terrain des OTC, ces instruments financiers négociés gré à gré qui sont un des principaux vecteurs des dérèglements et des effondrements financiers.

Mais les mesures qu’il préconise, afin de réformer la directive européenne Marchés d’instruments financiers, sont loin d’apporter la transparence, risquant de laisser - dans la pratique - intact leur pouvoir de nuisance. La question était de savoir si leurs transactions devaient s'opérer par des marchés réglementés ; une autre option est préconisée, qui n'apporte pas les mêmes garanties.

Il en est dans ce domaine comme dans tous les autres : « le diable se cache dans les détails » est une des expressions favorites des financiers, qui savent de quoi ils parlent. Les mailles les plus serrées des réglementations les plus contraignantes se révèlent encore trop lâches, ou pouvant être contournées en s’appuyant sur d’inévitables exceptions, dans lesquelles il suffit de s’engouffrer.

La récente adoption par le Parlement européen d’une motion interdisant les positions « nues » sur les Credit Default Swaps (CDS) portant sur la dette souveraine, l’illustre parfaitement. Une position « nue » consiste à s’assurer à des fins spéculatives contre un risque que l’on ne court pas, en l’occurrence un défaut sur des titres de dette que l’on ne possède pas, aboutissant à peser sur leur taux et à favoriser un défaut in fine.

Toute forte et symbolique qu’elle soit, cette mesure risque de ne pas produire ses effets attendus, si l’on étudie ses modalités détaillées. Notamment les cas d’exemption, en raison des « risques corrélés » (risques financiers intrinsèquement liés) à celui de la dette publique, pour laquelle un intervenant sur ce marché est exposé s’il contracte un CDS (Credit Default Swaps). Une porte restée grande ouverte à la suite d’un compromis destiné à faire adopter la motion.

Un problème de clarté

Le Comité de Bâle et Conseil de stabilité financière (FSB) peuvent se prévaloir d’avoir presque abouti dans leur travaux avec Bâle III, un ensemble de mesures visant à renforcer les fonds propres des établissements bancaires, ainsi que leur liquidité. Sans toutefois encore apporter toute la clarté requise à propos de l’éligibilité ou non de certains actifs aux fonds propres. Des dispositions complémentaires relatives à une liste de 28 établissements systémiques seront rendues publiques à l'occasion du G20 de Cannes, sous forme d’un renforcement supplémentaire des fonds propres.

Devant la menace d’effets systémiques financiers dévastateurs, qu’il semble donc impossible d’analyser et de prévenir, la philosophie de ces mesures se limite à leur opposer une solide muraille. La question sera de savoir si cette dernière se révélera assez haute !

La régulation du système bancaire fait parallèlement l’objet de réflexions - après avoir abouti aux États-Unis, suite à l'adoption de la loi Dodd-Frank - à propos de la séparation, selon des entités distinctes, des activités de dépôt et de prêts de celles de banque d’affaire.

La « réglementation Volcker » attend à ce sujet que ses boulons soient serrés, mais il est déjà estimé que ses dispositions seront contournées. Au Royaume-Uni, la commission Vickers nommée par David Cameron a préconisé des mesures de cet ordre, mais leur application a été repoussée, et leurs modalités laissées au bon vouloir des banques elles-mêmes.

L’idée qui préside dans les deux cas est de protéger les banques de dépôts, et de laisser les financiers risquer par ailleurs leur propre argent et celui de ceux qui leur confient. Non sans candeur, car le secteur financier régulé et le monde du shadow banking sont reliés par de nombreuses passerelles, et cette séparation est illusoire. Les banques étant les premières à s'appuyer sur la difficulté de séparer leurs activités pour mieux la refuser.

Le shadow banking, ce grand oublié...

Le secteur du shadow banking est par ailleurs le grand absent du dispositif. Selon la Federal Reserve américaine, il est estimé que ce monde non régulé brassait en 2008 vingt mille milliards de dollars, à comparer avec les onze mille milliards du secteur bancaire régulé.

Les chiffres du FSB (Conseil de stabilité financière) sont encore plus impressionnants, le secteur étant passé de 27 mille milliards de dollars en 2002 à 60 mille milliards en 2007. Les gigantesques écarts relevés entre ces estimations reflètent plus que toute autre démonstration l’opacité extrême de ce secteur financier, par ailleurs prédominant. 

Certes, le G20 de Séoul a donné mandat au FSB pour présenter des recommandations afin de mieux encadrer la finance grise, mais il faudra attendre la fin de l’année prochaine pour en prendre connaissance. Renforcer la surveillance et la régulation de la myriade d’entités de toutes natures actives au sein de ce monde inconnu est plus qu’un pari difficile, c’est un véritable défi !

Les paradis fiscaux sont, avec les hedge funds, les principaux symboles du shadow banking. Dénommés dans le jargon de l’OCDE « juridictions non coopératives », leur liste officielle a fondu comme neige au soleil à la faveur d’un artifice qui leur a permis de signer entre eux des accords de coopération juridique, douze étant requis pour en être rayé.

Menée par l’OCDE, la bataille pour la transparence financière et fiscale, que son secrétaire général Angel Gurria présente comme en passe d’être gagnée, ne serait-elle pas un trompe l’œil ? Pour mémoire, il est estimé que 55% du commerce international et 35% des flux financiers passent par les paradis fiscaux, d’après l’avocat fiscaliste Edouard Chambost. Les deux tiers des hedge funds y seraient domiciliés, selon Daniel Lebègue, président de Transparence Internationale France et ancien directeur du Trésor.

Mettre bout à bout les grands chapitres de la régulation financière aboutit à un constat peu réjouissant : le monde financier continue pour l’essentiel de fonctionner comme avant, et les proclamations définitives des G20 qui se succèdent ne constituent qu’un faible viatique pour ceux qui les adoptent.

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